Benco

sophie-dulac

Benco

« Dans ma famille, on donne le nom du saint fêté le jour de la naissance, je suis né un 13 septembre, je m'appelle donc Aimé. J'ai quitté Saint Pierre et la Montagne Pelée à douze ans pour la banlieue pourrie de Grigny. J'ai grandi entre les tours sous la pluie. J'ai plaqué l'école à seize ans, j'ai fini mon éducation dans la rue et devant la télévision. Mon père est mort d'une cirrhose, son foie gangréné par le rhum «  premier prix », miné d'avoir quitté son ile. Mes sœurs sont reparties vivre à Saint Pierre, il faut être crétin pour croire que la misère est moins dure au soleil.

A trop trainer dans le quartier, j'aurais pu mal tourné. Pour faire plaisir à ma mère, mon cousin m'a fait recruter comme manutentionnaire. Costaud et dégourdi, j'ai appris rapidement à manier un chariot de transport, j'ai travaillé un bon moment jusqu'à l'arrivée de Rachid. Il avait un bac pro de cariste, on donne des diplômes aux immigrés maintenant. Comme je ne connaissais pas la bureautique, ils n'ont pas renouvelé mon contrat.

C'était le début des présidentielles, j'ai adhéré au Front. Comme mes journées se faisaient longues, j'ai participé à la campagne d'affichage. Je faisais surtout le guet pendant que les copains placardaient, ma carrure était censée impressionner la racaille gauchiste qui nous piquait allègrement les meilleurs emplacements, surtout l'arrière des grands panneaux de signalisation routière.

De même, à la permanence, j'aidais comme je pouvais, je surveillais les entrées et les sorties et faisais parfois quelques travaux ménagers.

Le 22 avril, nous n'avons pas gagné mais tout le monde était content. Je suis allé commémorer la mémoire de Jeanne d'Arc le 1er mai à Paris avec mes nouveaux potes.

Jeanne c'est notre emblème. Il faut être révisionniste pour ne pas comprendre que la providence divine a toujours été de notre coté.

Dieu lui même a demandé à la guerrière de chasser les étrangers de notre pays. Je ne comprends pas pourquoi il s’agissait d'anglais mais le symbole est resté.

Le Front a toujours fourni de grands combattants patriotes à la France, heureusement qu'il a grandement contribué à organiser la résistance durant la seconde guerre mondiale.

La Présidente du Front, elle même, a la stature d'une héroïne nationale.

Mes anciens copains blacks de la cité disent que je suis un demeuré, qu'avant de s’appeler Marine, la présidente s'appelle LE PEN.

Qu'importe, Jean Marie LE PEN ce n'est pas le diable, il n'a jamais torturé personne.

Mon responsable de section affirme que tout le système politico médiatique diabolise le Front parce qu'il a peur des futurs résultats électoraux.

« Ils savent maintenant que nous sommes aux portes du pouvoir et les heures de l'oligarchie sont comptées » martèle souvent avec aplomb ce cadre costume cravate.

Je ne suis pas borgne et je vois bien que la racaille de Grigny a peur de l'arrivée de Marine, je ne savais pas qu'on faisait de l'oligarchie en zonant dans les cours.

Les adhésions affluent à la section , ils ont même embauché quelqu'un pour l'administratif.

Je fais toujours le ménage et de la surveillance bénévolement de temps en temps mais je ne suis pas totalement dupe.

Je sais bien qu'ici tout le monde me surnomme Benco.

Ils me méprisent. Ils me sourient, sous leur air de connivence, je sens leur condescendance. Quand je surveille l'entrée de la permanence, j'ai parfois l'impression de jouer le rôle du majordome noir comme dans ces vieux feuilletons américains costumés. Devant la télévision, gamin, je refaisais la guerre de Sécession en soldat américain, maintenant je fais le larbin à l'oeil.

Mais je reste patient et opiniâtre, Je sais seulement que quand le Front arrivera au pouvoir, avec le principe de la préférence nationale je serai à nouveau manutentionnaire et Rachid retournera planter des pois chiches chez lui. Le travail ira alors aux encartés République Française, le pays se redressera, j'irai vivre en pavillon avec ma mère et on m'appellera Aimé. »

  • sujet ardu et réussite totale, syndicaliste les réflexions comme celles-là, je les entends tous les jours , une calamité cette défaillance de d'éducation qu'elle soit nationale ou familiale,

    · Il y a plus de 12 ans ·
    Mariage marie   laudin  585  orig

    franek

  • Merci à vous tous pour vos retours !
    @Mathieu : merci il fallait bien lire résistance, et évidemment, tu le sais et je le sais que le Front n'existait pas à cette époque mais Aimé ne le sait pas lui ... Je te rassure, je ne pense pas que Marine soit une héroïne nationale !
    J'avais vu aux infos un reportage sur un meeting du FN, il y avait un jeune black dans les militants, j'ai essayé d'imaginer son parcours.

    · Il y a plus de 12 ans ·
    Flottins orig

    sophie-dulac

  • Tellement réaliste... malheureusement réaliste. Joli coup sur ce sujet difficile en effet.

    · Il y a plus de 12 ans ·
    Francois merlin   bob sinclar

    wen

  • Tout à fait, Jones a parfaitement résumé la chose... très bien écrit, et dramatiquement réaliste malheureusement.

    · Il y a plus de 12 ans ·
    Jos phine nb 7 orig

    junon

  • j'Aimé beaucoup...

    · Il y a plus de 12 ans ·
    Img 5684

    woody

  • J'ai bien aimé et fait écho à Jones.

    · Il y a plus de 12 ans ·
    30ansagathe orig

    yl5

  • Bourdieu disait que quand les dominés adoptaient sans réfléchir le discours des dominants, ces derniers avaient gagné la partie... ou du moins quelque chose dans le genre.
    Et voilà dans ton texte résumé en des mots simples et percutants la dérive et l'aveuglement de types qui ne font plus la différence, qui choisissent le discours de la haine parce qu'il y a toujours plus étranger que soi, parce que dans un monde complexe et angoissant des idées simpl(ist)es expliquent tout sans se creuser la tête.
    Bravo, une belle réussite touchante et délicate sur un sujet pas facile ;)

    · Il y a plus de 12 ans ·
    Dsc00245 orig

    jones

  • Le Front n'existait pas à l'époque de la "résidence"...

    · Il y a plus de 12 ans ·
    Skulltest

    apophis

Signaler ce texte