Bon anniversaire
Stéphan Mary
La femme se lève avec un goût de solitude dans la bouche. Elle aurait aimé que ce soit un jour comme un autre. Un jour à tacher d'oublier encore pour quelques heures son amour séparé, son amour parti très loin là-bas dont on ne revient pas, au pays de la trahison. Cet amour, sa respiration, sa vie s'en sont allés au bras d'une autre, pas plus jeune, pas plus belle, pas plus riche mais certainement plus maternelle, plus dépendante, pas dans la passion non, dans la raison. Une de ces femmes avec laquelle on ne court aucun danger, sûr qu'elle sera là, attentive voire passive, loin de l'enfance et de ses fou-rires puérils. Tout le contraire de la femme.
Elle se lève péniblement et se dirige vers la salle de bain. Elle sait ce que le miroir va lui renvoyer : des cheveux rasés, le teint pâle, le cancer incrusté dans chaque sillon de son visage. Elle soulève son tee-shirt et regarde pour la énième fois la cicatrice, dernière trace de l'ablation de son sein droit. Comme tous les jours elle est bien évidemment en retard et comme tous les jours elle est avant tout en retard avec elle-même. Dégoûtée elle se détache de son image et va boire son premier café avant de se préparer pour endosser le costume de directrice de la communication d'un grand groupe de presse. Elle fait une nouvelle grimace en buvant le café sans sucre. Son traitement lui interdit les trois sucres qu'elle mettait auparavant. Beaucoup de choses lui sont dorénavant interdites mais pas le droit d'aimer ni d'être aimée. Or elle n'aime que son amour parti au bras de l'infirmière, celle là même qui lui plantait dans le bras la perfusion censée la faire aller moins mal, censée la faire aller lieux. La perfusion était efficace. La femme avait même sympathisé avec l'infirmière. A ce souvenir récent elle eut encore une grimace. L'amertume du café, l'amertume du sein sacrifié, l'amertume de cette journée symbole de l'anniversaire de son amour. C'est vrai c'est son anniversaire, son amour a un an de plus. Il faut qu'elle lui souhaite c'est impératif. Elle se lève et se dirige vers son bureau avec une énième grimace. Ce qu'il y a sous la cicatrice lui fait mal. Elle s'installe devant son ordinateur, ne consulte pas ses mails mais clique sur "nouveau message" et écrit :
"Aujourd'hui c'est ton anniversaire et je veux te murmurer avec une douceur absolue à quel point tu me manques. Ce n'est pas le point de fuite d'une ligne aussi droite qu'acérée. Ce n'est pas un ensemble de lignes électriques sur lesquelles les voyelles et les consonnes se poseraient, observant tous ces gens qui marchent trop vite, oubliant le bonheur de s'arrêter le temps d'un baiser, le temps d'un je te... Je te ... tellement, tellement telle une caresse portée par le vent. Ce n'est pas un mensonge distillé dans des points virgules. Ce n'est plus le temps des points de suspension, des points de chute à la fin d'une chanson. J'ai purgé ma peine respectant autant que je le pouvais les silences indispensables écrits sur la portée musicale d'une de tes chansons préférées.
C'est le temps qui file à toute allure emportant avec lui le message du chant des oiseaux dans une mésangerie. C'est le temps d'un espace réservé pour des chuchotements murmurés simplement entre nous qui ne dirions rien ailleurs pour ne pas être abîmés. C'est le temps d'une liberté retrouvée pour aimer en secret dans une fusion inaltérable et cachée afin que les autres plus jamais ne puissent juger. C'est le temps d'une boite à secret qui secrètement serait au cours d'une balade un cœur gravé dans l'écorce d'un arbre souriant. C'est le temps de nous poser au bord du fleuve et de regarder le soleil scintiller à la surface d'un bonheur simple, fort, increvable. C'est le temps des toujours, des plus jamais ça. C'est le temps de la liberté d'aimer, la liberté d'être totalement dans la sincérité. C'est le temps qui passe.
C'est le temps qui peut prendre son temps pour tendrement accompagner la maturité d'un bonheur à jamais inachevé. C'est le temps de l'énergie pour calmer les bobos et mettre fin aux douleurs, ralentir le processus et envisager le temps de la guérison. C'est le temps de mettre fin à la fin et tel un phénix renaître dans l'infiniment grand. C'est le temps, le moment de te souhaiter un bon anniversaire, le temps d'une promesse à jamais respectée. C'est le temps d'une main amoureuse retrouvant sans peine son chemin, oubliant le manque que le temps n'a jamais calmé. C'est le temps de la confiance, le temps de la confidence. Happy birthday my love.
Je te... t'embrasse très tempsdrement."
Elle appuie sur envoyer, éteint son écran et va se préparer. Elle sait qu'elle n'aura pas de réponse et pleure discrètement. Sa journée peut commencer.
C"est magnifique!Pour moi, c'est un coup de coeur.
· Il y a plus de 9 ans ·Merci pour cette très émouvante et belle parenthèse littéraire...
anne-onyme
Merci ! C'est un commentaire qui me touche d'autant que vous ayez eu du plaisir à le découvrir. Oui merci !!
· Il y a plus de 9 ans ·Stéphan Mary
Poignant, mais tout à fait sublime. J'adore.
· Il y a plus de 9 ans ·Douce pensée, MamZ'Aile Plume.
mamzelle-plume
merci beaucoup Mam'Z'aile, pensée douce en remerciement
· Il y a plus de 9 ans ·Stéphan Mary
Waw, fort!
· Il y a plus de 9 ans ·dreamcatcher
Merci :)
· Il y a plus de 9 ans ·Stéphan Mary
Bravo
· Il y a plus de 9 ans ·Platon Chipie
Merci
· Il y a plus de 9 ans ·Stéphan Mary
Que dire après de telles émotions ?? Un écrit tout en maîtrise, bravo Stephan
· Il y a plus de 9 ans ·marielesmots
Que dire ? Mais tu as tout dit :)) Merci et à très vite de se lire sur wlw
· Il y a plus de 9 ans ·Stéphan Mary
Outch... Intimement rès dur mais tellement beau émotionnellement.
· Il y a plus de 9 ans ·Je lui souhaite une belle carrière à celui-là ;-)
wic
Merci beaucoup Wic. Bonne journée à toi ausssi
· Il y a plus de 9 ans ·Stéphan Mary