Brûler

Pierre Magne Comandu

On ne sait pas si c'est un homme ou une femme à une femme ou à un homme. Ce sont des paroles.


Je suis là. Voilà. Je suis là. Sous la douche quand je ne suis pas là tu me manques. Sur le lit je m'étends.

Je sors à peine de la douche mais sous la douche même pour un instant tu me manques. J'ai brûlé. Sous la douche à l'instant j'ai brûlé. Sur le lit maintenant je veux juste te laisser un flot de paroles, l'eau dans tes oreilles, l'eau éteint mon feu, l'eau nous apaise.


Tes doigts. Donne-moi tes doigts. Je m'allonge, laisse-moi m'allonger sur le lit.

Oh, pas si vite. Tes doigts. Juste tes doigts.

Laisse simplement tes doigts glisser. Je ne veux pas… jouer, ce soir. Pas ce soir. Il y a des soirs où je ne fais pas l'amour, il y a des soirs où je n'ai pas la force. 

J'ai juste envie de me sentir, là sur ton ventre. Là, pousse-toi un peu, feignasse.

Pousse tes cuisses, pousse-moi tes fesses sur le bord du lit, là au-dessus du sol. Lévite-toi, vole, envole-moi.

Il n'y a que la nuit, on ne voit plus d'étoiles sinon toi et moi. Mieux que toi et moi, même. Nous, même.

Avec tes lèvres épaisses, ton nez un peu retroussé, les deux sillons qui rejoignent tes lèvres, ton front large. Ton visage entre, il ressort. Il montagne, il vallée. Il pénètre, il respire. Laisse-moi mes mains sur tes joues. Laisse moi les couvrir la largeur de ton visage.

Elles ferment tes yeux. Elles relèvent tes cheveux châtains, les boucles de tes cheveux.

Ma paume qui embrasse le dessus de tes lèvres, une goutte d'humidité, un peu l'odeur de l'intérieur de ton corps maintenant sur mon doigt.


Ma voix, nue je te murmure. Une sorte de poésie contemporaine au fil des fleuves de mon amour et de ton corps. Ton corps au fil des murs bleus de ton appartement, ta moquette bleue, le vent froid de la nuit d'été violette, la fenêtre ouverte. Mon ventre mouillé, lumineux de l'eau brûlante quoi y coule. Ton corps fort, feuille de papier épaisse retournée, le verso. Mon livre, mon histoire, quatrième de couverture.


Souvent je t'imagine très loin de moi, toi. Je t'imagine étoile, je t'imagine inaccessible, je t'imagine image. Souvent je t'imagine derrière un écran, je t'imagine souvent si tu étais nominée aux Césars, souvent j'imagine que tu brilles et que tes yeux sont solaires et ton odeur brûlante. Et que ton odeur, je ne la connais pas, mais je l'imagine. Et toi j'imagine que tu ne me connais pas. 

Que je me délecterai de tes films, tous les spectateurs tomberont amoureux de toi. Que j'embrasserai l'écran, que je me ruinerai pour te voir à toutes les séances. Chaque heure. Toutes les séances. Chaque jour.

Que je suis ver de terre face à toi et je pourrais tout faire, toujours pour te regarder, t'embrasser. 

Que j'aurais besoin de te rêver. Mais tu es là, ce soir, mon rêve est là. 

Mon rêve je le caresse, j'embrasse ses fesses, ta joue, nos langues, mes lèvres.


C'est toi mon rêve maintenant. Maintenant, il est déjà réel.


Mes lèvres embrassent l'eau de ta bouche.


Je ne sais plus comment je te dis ces choses-là, je ne sais plus s'il y a un sens, si cette fois je te parle comme je parle toujours. Peut-être que je prends le temps pour ces mots, ce que je te dis je pourrais l'écrire. C'est beau. On dirait presque de la poésie contemporaine. Mais non. C'est de l'amour.

Dans nos bras j'oublie.


J'oublie le temps d'avant. J'oublie ces gens qui m'ont parlé. J'oublie les mots qui ont tué mes amours. J'oublie que tu ne sais rien d'eux et que dans mes mots leurs noms n'existeront plus, que rien n'est précis dans ce que je te dis et que peut-être ça n'a aucune importance . Du premier septembre aujourd'hui il n'y a plus que la nuit que nous passons ensemble, on finit un mois et on en commence un dans notre obscurité. Le mois s'est éteint en douceur, le mois commence en beauté. 


Demain il fera jour, demain on aura peut-être oublié cette nuit, ces mots-là. On profitera du jour, le matin, le café. Les rayons du soleil levant sur la verrière de la gare. Les façades plates en pierre rouge, les pavés des canaux d'Amsterdam, depuis notre fenêtre. On oublie tout de plus en plus vite.

Dans la chair de tes bras j'oublie que demain il fera jour. J'aime tes bras. Tes bras sont plus pâles que le reste de ta peau. Tes bras ont la lumière, je les saisis, je les empoigne. Laisse-moi les empoigner, les sentir. Je les aime. La lumière de la chair pâle de tes bras et de quelques grains de beauté. Petits grains de beauté, papillons de couleur venus se poser dessus, sur tes poignets, et ton avant-bras. Nous sommes des éphémères. Nos lumières et nos papillons s'attirent. On jour on viendra mourir en masse au pied de nos bras, lampadaires, à l'aurore. Éphémères.


Pendant notre courte vie de papillons de nuit il n'y a que toi que j'aime, il n'y a que toi que je vois.


J'ai compris cette nuit entre deux mois que si je te perds, je me perds. 


Oui, tu diras que je parle et que je parle encore, j'ai dit à d'autres qu'ils parlaient et qu'ils parlaient encore.


Ton échine, sèche, qui longe les lignes de ton dos encore frais. Ma chaleur. Ton bleu.


Oh. Tu ne veux plus que je parle. 


Je ne parlerai plus.


Je te regarderai.


Je te sentirai.


Si tu me détournes les yeux je te regarderai toujours, les yeux dans les cheveux.


Si tu me détournes la bouche je goûterai toujours notre odeur, mon nez plongé dans ton flanc gauche. La délicieuse saveur de ton flanc gauche.


Si tu me détournes les oreilles je te parlerai toujours. Dans les gouttes de la pluie qui s'évapore. 


Dans le flot des rivières. Dans l'océan, la Manche. La mer. 


Je plongerai la tête, penchée sur mes plages de galets. Murmurer ton nom dans la mer.


Si tu te détournes de nous je te suivrai. Dans l'eau évaporée. Nuage au-dessus de toi, ombre au-dessus, je te suivrai en étant ton ombre jusqu'au fond des océans.


Si tu te détournes de moi je t'aimerai.


Mais tu m'aimes encore, je t'aime.

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