Cent ans d'écriture

salander

CENT ANS D’ÉCRITURE

On pourrait dire que je suis né les pieds devant. C’est presque vrai. En fait, j’ai montré mon cul. Je ne voulais pas sortir la tête la première, c’était conventionnel, déjà-vu, franchement je n’allais pas faire comme tout le monde. Ma mère a dû en baver. On était en 1969, année exceptionnelle pour le vin de Bourgogne.

Je suis resté garçon unique. La faute à un frère mort avant d’être né. Et j’ai continué à faire le désespoir de mes parents en prenant les évidences à contre-pied. Gaucher. Taille et pointures au-delà du raisonnable. Premiers cheveux gris à 22 ans. Réfractaire à la télévision. Pas de permis de conduire. Pour la liste complète, prière de m’adresser un courrier avec enveloppe-réponse.

J’ai couché mes premiers mots à l’âge de 8-9 ans. Ils se sont laissé faire. Assemblés en phrases plus ou moins décousues, ils se sont transformés en histoires fantastiques – méthode pas plus conne qu’une autre pour fuir la réalité. Étourdissants comme l’alcool, aussi violents que la drogue, acérés, délicats, manipulateurs, pervers, assassins… Les mots giclaient de mon cerveau, je les domptais, les attendrissais, les massacrais…

À partir de onze ans, j’en suis même arrivé à les mélanger. Avec une pincée de chiffres. Alternance. Jeux de mots, calcul oral – moins douloureux que les calculs rénaux. Trente ans plus tard, c’est la passe de cinq victoires sur une chaîne de notre petite lucarne préférée, celle que je boude toujours. Parce que les mots sont mon univers et qu’à la télévision, ils dérapent souvent.

Maintenant, j’écris. Les mots m’habitent, sans allusion grivoise, les mots me nettoient, purifient mon âme. Écrire, c’est plonger au fond de soi pour y faire entre le monde. Partir du chaos, terminer en harmonie. Remettre en place les pièces soufflées par les bourrasques de notre enfance. Aplanir le temps. Embellir les souvenirs. Respirer librement, le visage tourné vers la lumière.

Et mourir en paix.

Même si cela doit prendre cent ans.

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