C'est aujourd'hui dimanche
elisabetha
C'est aujourd'hui dimanche: la première phrase d'une chanson qui rêve à mes lèvres comme un baiser: celui de ma mère. Dans sa cuisine elle chantait toujours, libre, joyeuse, dans un tourbillon d'odeurs naissantes où s'éveillaient nos désirs, notre tendresse pour la vie, notre apprentissage du plaisir.
Si je ne pourrais jamais décrire le bruit de ses clefs ponctuant chaque pas, comme j'ignorerais toujours pourquoi elle en possédait autant- étaient t'elles le se secret de son histoire ou de ses trésors?- je me souviendrais toujours du parfum de ses dimanches .
Les petits oignons sautés, la tomate éclaboussée d'ail et d'huile d'olive, l'odeur du safran et du cumin- tout un bouquet de saveurs où la tradition jouait avec l'audace- laissant vivre des cultures opposées d'où naissait en moi la nostalgie d'un Orient coloré, animé, grouillant, un Orient de fêtes et de rêves où mon enfance s'est bercée.
Chaque dimanche je voyageais dans des pays fastueux et baroques, au milieu des souks et des charmeurs de serpents. Et je voulais devenir comme eux conteur d'histoires interminables et paresseuses où le temps s'agglutinait au miel des mots, gorgé de clameurs et de silences.
Si aujourd'hui des souvenirs s'oublient, ma nostalgie s'enracine, devenue tradition, respiration, création.
C'est aujourd'hui dimanche. L'aube est belle et le ciel encore voilé s'étire dans le calme de cette naissance. Tout à l'heure ce sera la folie joyeuse d'un quartier transformé en village. Jour de marché. Abondance, foule souriante et débordée, enfants qui rient, bonimenteurs à la voix fleurie, musique ringarde. Étalage de couleurs, fruits juteux de soleil, éblouissement de bruits. Ici la vie éclate, se libère, s'enivre. Tout acheter, tout goûter: poésie du désir.
Comment quitter cet atmosphère de fête sans un regret? Une brève angoisse. Le souvenir d'une chanson. Depuis l'enfance, combien d'années où les dimanches furent si beaux et d'autres tristes, avec des deuils et des chagrins?
Mais la vie toujours plus forte. Être femme, être mère à son tour. Et c'est moi qui courre dans ma cuisine, égrène les tomates, respire le parfum juteux de l'huile d'olive. Ici c'est mon univers.
Je caresse de la main et du regard mon poisson, mes légumes, mes fruits. L'eau coule joyeusement sur ma salade. Elle est toute joufflue, croquante, craquante.
Mes casseroles m'attendent. Le repas est prêt.
Je suis fière. L'odeur du coriandre est voluptueuse. Le thon fond dans la bouche. Les enfants en redemandent.
Je leur aurais appris à mon tour le désir, le plaisir, la continuité.
J'ai du talent et de l'amour, et une chanson que je garde jalousement dans mon cœur: c'est aujourd'hui dimanche.
"Je suis fière. Les enfants en redemandent.
· Il y a plus de 8 ans ·Je leur aurais appris à mon tour le désir, le plaisir, la continuité."
bravo j'ai envie de rajouter : mission accomplie.
j'aimerai arriver à me dire ça, plus tard, ou qqch de proche
ça et je voulais rajouter qu'ils ont bien de la chance : car vos écrits sont précieux. moi par exemple tout ce que j'ai trouvé de mes grands parents : des anciennes listes de courses, des cahiers de maths, et des livres de comptes . c'est dur de trouver qqch sur quoi se rattacher . même en cherchant des indices mêmes infimes . alors si vos enfants, petits enfants comprennent l'immense profondeur de vos textes, ils seront réellement heureux .
torpeur
C'est très gentil Torpeur. Peu de chance d'être grand mère(je ne peux pas vivre assez d'années cela avec ma maladie qui ne laisse que peu d'espérance d'années, mais j'ai un de mes fils qui me lit avec fierté, ainsi que ses petites amies. j'ai beaucoup d'amis et de personnes médecins qui suivent mon écriture et c'est un bonheur d'être récompensée par l'affection des autres parce qu'on écrit bien.
· Il y a plus de 8 ans ·elisabetha
Oui, un délice ...
· Il y a plus de 8 ans ·marielesmots
Chère Anne
· Il y a plus de 8 ans ·Pourquoi je ne t'ai pas répondu? Je fais les choses dans un grand désordre. En fin je me suis rendu compte c'est déjà cela. Pourtant j'étais en train de marcher et je pensais à ce que tu disais que mon talent je l'offrais généreusement, je ne vois pas comment faire autrement.
elisabetha
Des dimanches très émouvants ... comment ne pas être nostalgique de cette période ... tu m'as retransportée au Maroc par la même occasion ... excellents souvenirs et beau texte
· Il y a plus de 8 ans ·marielesmots
je ne savais pas que tu connaissais le Maroc. La cuisine juive marocaine un festin de saveurs et de senteurs.
· Il y a plus de 8 ans ·elisabetha
Quelle belle évocation ! ! j'aurais bien aimé connaître !
· Il y a plus de 8 ans ·ton talent , elisabetha n'est pas recroquevillé, tu nous l'offres et c'est un plaisir ! on pourrait peindre ou reproduire cette scène ! d'ailleurs, dimanche prochain....
Anne Vigneau
Superbe ! J'adore ces heures que tu décris si bien !
· Il y a plus de 8 ans ·carouille
Merci Carouille. Je vais te lire tout à l'heure.
· Il y a plus de 8 ans ·elisabetha
Tes passages sont toujours un plaisir ;)
· Il y a plus de 8 ans ·carouille
superbement coloré et appétissant !!
· Il y a plus de 8 ans ·li-belle-lule
Merci libellule. Il faut savoir regarder ce que l'on mange, le désirer presque, pour l'apprécier. Il faut que ce qu'on prépare ait un sens.
· Il y a plus de 8 ans ·elisabetha
En lisant le titre j'ai tout de suite pensé "aux roses blanches", quelle belle description Elisabetha, merci pour ces lignes
· Il y a plus de 8 ans ·ade
Merci ade. Je n'ai fait que témoigner de mon enfance d'abord, et de mon amour pour les choses simples ensuite.
· Il y a plus de 8 ans ·elisabetha
Qu'est que j'aime ta description si vivante et chaleureuse!
· Il y a plus de 8 ans ·hinareva
Merci. Cela me fait plaisir. Montrer la continuité à travers le passé et le présent. Maintenant c'est mon fils qui parfume tout avec le coriandre.
· Il y a plus de 8 ans ·elisabetha
on dirait une foto décrite par un conteur, Dimanche jour de marché je me souviens aussi, et vous en parlez si bien ...
· Il y a plus de 8 ans ·Pawel Reklewski
merci Pawel. Ce texte est immortel. Je l'ai écrit pour cela. Parce qu'on a tous eu une mère qui nous a fait la cuisine et qui nous a nourri de son amour.
· Il y a plus de 8 ans ·elisabetha