Cette fois-ci, c'est la bonne

Hier après-midi, j'ai vécu une drôle d'expérience. J'ai été manipulé. J'imagine alors trois types de réactions. Les uns s'étonneront que je puisse encore l'être après tout ce que j'ai connu comme coups tordus. Je devrais être blindé et être en mesure de me prémunir contre les retournements de cerveau. Mes amis les plus intimes qui me connaissent sur le bout des doigts, à savoir mon for intérieur, ne s'en formaliseront pas. Ils savent qu'au fond je suis bonne pâte et que je la graisse souvent avec candeur. Quant à la troisième catégorie, l'immense majorité, celle de mes lecteurs, ils prendront un air goguenard, se contentant de la superficialité de mes calembours pour me cataloguer. Ils m'imagineront allongé, une serviette sur les reins, entre les mains expertes d'une masseuse chinoise qui se propose d'approfondir mes points d'acupuncture.

Rien de tout cela, je suis allé me faire hypnotiser pour arrêter la cigarette. Je l'avais déjà fait en octobre. Ça  avait super bien marché. Sauf que j'ai replongé trois semaines après la séance. En effet, je n'avais ressenti aucune envie de fumer en sortant. Quand je me retrouvais à côté d'un fumeur, aucune envie incompressible ne me prenait. Puis un collègue qui était sur le point de se faire gicler par mon boss, dont la psychorigidité a  toujours besoin  d'une victime sur laquelle s'acharner, m'invitait souvent à faire des pauses. À la trentième proposition de cigarette, j'acceptai en me croyant le plus fort.

Après avoir replongé pendant dix mois, j'ai donc décidé d'y retourner. Je n'ai aucun doute que cela fonctionne. À supposer que je respecte un simple principe sous forme de lapalissade, celui de ne pas en reprendre une.

Une fois dans le cabinet, on est très vite entré dans le vif du sujet. L'hypnothérapeute se souvenait de moi et je connaissais les moteurs qui me permettraient d'arrêter. Je lui demandais lors de la séance qu'il me rajoute un petit garde-fou, celui de me suggérer le dégoût de la nicotine si la malencontreuse idée ne me venait de coller une tige entre mes lèvres. Je sais que j'ai également une motivation qui devrait me permettre de tenir, une fois que j'aurais eu un petit coup de pouce subconscient. Trois connasses de collègues ont arrêté par cette méthode en fin d'année dernière et elles n'ont pas refumé depuis. Il y a va donc de ma fierté de ternir cette fois ci, un puissant moteur qui m'a rarement lâché.

Une fois confortablement calé dans le siège, la séance commence. C'est relativement simple. Il suffit de se laisser guider par la voix apaisante de praticien et de respirer calmement. Il me suggère de lâcher prise, de ne pas me laisser perturber par la petite musique intérieure. N'allez pas croire que vous avez totalement perdu contact avec la réalité. C'est d'ailleurs ce qui a été le plus troublant lors du premier rendez-vous. Vous gardez une complète conscience de votre environnement tout en étant calé sur votre siège, un peu comme un astronaute qui se prendrait 4G d'accélération. C'est un peu comme-ci vous étiez spectateur de votre corps et que durant quelques minutes on le prenait en charge. N'allez toutefois pas penser que vous êtes totalement à la merci du premier charlatan. Si on vous force à aller contre vos convictions, ça ne fonctionnera pas et vous vous réveillerez.

Pour moi, tout s'est bien passé. J'étais totalement relâché. J'ai visualité cette putain d'addiction au tabac sous la forme de la Grande Faucheuse me retenant par un bras squelettique. J'ai brisé le lien qui me retenait à elle en lui brisant d'un coup net son membre. Je me suis alors senti apaisé et serein. Puis il a pris en main mon inconscient. Je n'ai pas encore testé puisque ce matin, malgré un léger manque nicotinique, je ne ressens aucune envie de prendre une cigarette. Si jamais l'envie me venait, je devrais avoir dans la bouche un goût de poisson séché comme je l'ai suggéré à mon inconscient.

Si ça marche et plutôt que de faire appel à une castration chimique, je lui demanderai de travailler sur ma libido. Je lui proposerai de me programmer pour que mon palais détecte une nauséabonde odeur d'égout s'il me venait l'idée d'engager ma langue en des voies extraconjugales. Il n'est toutefois pas certain que je ne me réveille alors soudainement de mon hypnose. Comme je vous l'ai expliqué précédemment, elle n'est pas possible si elle est en désaccord avec mon inconscient.