Couacs à Pôle Chômage (2)

chloe-n

Après un plan social et une cellule de reclassement (quel vilain terme), me voilà une fois de plus de retour à Pôle Chômage.

Cinq ans après mon premier passage (et malheureusement pas le dernier), seuls le logo et le nom ont changé mais le discours, apprit par cœur, est toujours le même : “On ne peut rien faire pour vous, il va falloir vous débrouiller par vos propres moyens… et blablabla”. Et cela, peu importe ce que vous avez fait jusqu'à lors ou votre secteur d'activité. C'est le début de la crise. On me précise également qu'il ne faut pas que je m'attende à des miracles. Bref, le même disque rayé perdure et récité avec autant d'enthousiasme que de vous aider à retrouver un boulot, peu importe celui-ci d'ailleurs.  

Après plusieurs semaines, pour ne pas dire mois, de recherches intensives, je finis par décrocher un CDD de trois semaines dans un groupe de presse. Les remplacements se succèdent d'un service à l'autre au gré de mes périodes de carence. Eh oui, le paradoxe est quand vous travaillez en CDD, c'est qu'il faut respecter une période de carence entre deux missions dans la même société, qui varie selon le nombre de jours que vous avez travaillés.

C'est donc un matin alors que je suis en période de carence que je reçois un courrier de Pôle Chômage. Un récapitulatif de mes derniers paiements. Et oh surprise : je leur dois la somme de… 2 806,20€. Un trop-perçu sur l'année écoulée à régler dans les plus brefs délais, bien évidemment.

Bien que le relevé que j'ai entre les mains soit presque digne d'un casse-tête chinois, les mois et les jours travaillés y figurent, ce qui me facilite le travail, bien qu'une migraine est loin d'être à exclure en fin de journée. Il me faudra plus de 3 heures pour comprendre ce chmilblick épaulé par une forte dose de nicotine. Au bout du compte, je ne tombe pas d'accord avec leur relevé. D'ailleurs, je me rends compte que je ne vérifiais pas aussi scrupuleusement mes relevés sinon…

J'arrive ce mercredi, à 15h30 dans mon agence. Pas trop de monde, ça va. J'ai à peine ouvert la bouche qu'on me demande de montrer le courrier que j'ai reçu.

— Ben oui, c'est écrit là, vous avez eu un trop-perçu. Vous venez pour régler ?!

Elle est gentille la dame, mais ce n'est pas parce que j'ai plus de boulot, que je suis devenue demeurée (pour rester polie).

— Oui, je sais. Mais je voudrais voir quelqu'un qui pourrait m'expliquer ce calcul.

— Ah… Mais tout le monde est occupé… Je vais voir si je trouve quelqu'un pour vous renseigner. Patientez là, dans le coin.

Après avoir demandé à une personne qui passait, qui elle-même pose la question à une autre personne, me voilà à observer le ballet incessant des demandeurs d'emploi au point d'accueil. Toutes les 10 minutes, je passe une tête pour ne pas me faire oublier. Au bout d'une heure, je n'ai toujours vu personne.

L'agence se vide lentement. Les conseillers commencent à sortir de leur box, certains en soufflant, d'autres en traînant comme s'ils portaient toute la misère du monde. La chargée d'accueil, après avoir débattu avec deux de ses collègues sur les prochains épisodes de Grey's Anatomy, daigne enfin aller trouver quelqu'un. Eh oui, l'heure de la fermeture est proche.

J'entends au loin :

— C'est Micheline qui peut renseigner sur les indemnisations.

— Et elle est où Micheline ? Je la vois pas.

— Ben c'est normal, on est mercredi. Elle est pas là le mercredi. Elle est avec sa fille.

A l'intérieur, je bouillonne. Une heure à me faire poireauter pour rien. P… de communication dans le service public…

L'hôtesse d'accueil revient vers moi :

— …

— C'est bon, j'ai entendu. Elle sera là demain ?

— Oui mais comme elle n'était pas là aujourd'hui, elle va être très débordée demain.

— C'est marrant, chez vous, on doit toujours être à votre disposition. Etre à l'heure, vous fournir toutes sortes de justificatifs et d'explications et quand c'est nous qui vous demandons la moindre explication, y'à plus personne. Alors contrairement à ce que vous pensez, j'ai autre chose à faire de mes journées, comme par exemple, chercher du boulot. Si demain je ne vois personne capable de me donner des explications, je tape un scandale. Et le mot est faible.


Le lendemain, quand j'arrive, Micheline est là mais elle ne peut pas s'occuper de moi car… elle vient tout juste d'éteindre son ordinateur. C'est donc Chantal qui passait par là, qui va s'y coller (ça lui apprendra à traîner dans les couloirs !). Après avoir murmuré un “Bonjour” du bout des lèvres, elle regarde sa montre et me fait remarquer qu'il est déjà 16h30. Je lui réponds sèchement que l'agence ne ferme que dans une demi-heure et que j'étais déjà venue la veille où l'on m'avait fait attendre pendant plus d'une heure parce que personne ne savait que Micheline ne travaillait pas le mercredi !

Chantal me demande si j'ai tous mes justificatifs. Je lui sors un dossier contenant une année de fiches de paie. Son regard indique qu'elle ne sera dehors à 17h. C'est alors qu'une de ces collègues s'arrête devant le bureau et demande :

— Ben t'es encore là ? Je croyais que tu partais plus tôt pour ta soirée ?

— Ouais mais là, j'peux pas, y'à la dame.

— Et tu peux pas t'en occuper demain ?

Là, je m'en mêle :

— Je vous propose quelque chose. (Je prends mon temps, j'aime les effets de surprise et le regard de ma conseillère d'un jour s'illumine). Plus vite on s'y mettra et plus vite on sera dehors. Ca vous va ?!

Les deux collègues se regardent, surprises et dégoûtées. Chantal a enfin compris qu'il est temps de se remettre au boulot. Après avoir passé les deux premiers mois en revue avec une exaspération non dissimulée, sous-entendant que c'est moi qui ne sait pas lire les informations, voilà enfin les mois qui s'enchaînent avec leurs lots d'erreur. Et pas des moindres. Au bout d'une heure, le verdict tombe. Il y a bien une erreur… mais en ma faveur. Non seulement, je ne leur dois pas 2 806,20€ et c'est eux qui me doivent 1 383,30€, qui correspondent à des régularisations dues et non versées. Le pompon arrive quand je demande une explication concernant une telle erreur. Et là Chantal m'avoue que lorsque le centre de traitements de Pôle Chômage reçoit les fiches de paye, il y a juste une personne pour les scanner, puis l'ordinateur fait tout le boulot dont les calculs des indemnités, sans vérification humaine.

Bon, il faut quand même que je repasse le lendemain pour savoir comment le réajustement va s'effectuer. Car maintenant, c'est la responsable de l'agence qui doit vérifier mon dossier.

Conclusion de cette histoire : Pôle Chômage fait confiance à des ordinateurs pour faire rentrer de l'argent dans les caisses mais quand c'est vous qui réclamez, vous avez droit à plusieurs vérifications d'êtres humains (enfin presque…). Et dire qu'il a presque 6 millions de demandeurs d'emploi…

Et pour les excuses ? On repassera, c'est la faute à la machine !



  • Purée, je travaille tous les jours en contact clientèle, si je traitais mes clients comme ça... Que ces "agents" n'aient pas été correctement formés à leur fonction, je veux bien, mais cela ne les dispense de la plus grande correction vis à vis du public constitué de personnes fragilisées sinon financièrement (quoique rares) au moins psychologiquement. A l'inverse, quand j'ai eu affaire à l'agence pour l'emploi puis quelques années plus tard au Pôle Emploi, les choses se sont bien passées. Question de situation géographie peut-être ? Merci pour ce témoignage, je crois qu'il ne faut jamais subir en silence et faire entendre sa voix, qui s'ajoutera toujours à d'autres et le son finira par être assourdissant ! Non mais !

    · Il y a presque 9 ans ·
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    breinmilliner

  • Scandaleux.
    Je ne connais que trop bien Pôle Emploi, s'il me font un coup comme ça, je ne sais pas si j'aurai le courage et la force de m'en dépêtrer comme vous l'avez fait.

    · Il y a presque 9 ans ·
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    Alice Gauguin

  • Ah tiens, moi aussi 3000€ de trop perçu, j'ai dû négocier jusqu'à des instances départementales et heureusement j'ai pour client devenu ami l'ancien directeur régional de ce qui s'appelait alors l'ANPE, créée par Chirac, Pierre-Yves Coudreau, donc pas besoin de négocier avec le petit personnel (qui n'en est pas moins compétent quant à ses attributions) mais j'approuve tout à fait ce texte, je ne leur fais depuis plus aucune confiance et prends désormais un vif plaisir à les mettre en face de leurs propres contradictions.

    · Il y a presque 9 ans ·
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    Aurélien Loste

  • Je découvre ton texte que je relirai à tête reposée, hop en CDC pour ne pas l'oublier et bien le relire, Je n'ai pas fait exprès d'écrire un texte sur le chômage mais je vois que nous nous comprenons.

    · Il y a presque 9 ans ·
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    Alice Gauguin

  • C'est un drôle de système, ou les chômeurs, tout de même victimes d'un système économique, doivent se justifier de leur existence, avec la radiation en guise d’Épée de Damoclès

    · Il y a presque 9 ans ·
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    arthur-roubignolle

    • Comme on dit, on est toujours le con de quelqu'un et là, les demandeurs d'emploi sont les cons de notre belle administration !!
      Merci pour le CDC, ça me touche venant du grand Roubignolle !! Saperlipopette.... Roubignolle...

      · Il y a presque 9 ans ·
      Au rayon des livres

      chloe-n

  • Ahah, bravo, très bien écrit !!

    · Il y a presque 9 ans ·
    Cat

    dreamcatcher

    • Ton commentaire me fait très plaisir et donne envie de continuer. Merciii

      · Il y a presque 9 ans ·
      Au rayon des livres

      chloe-n

  • Très bien raconté cette histoire et tellement terrifiante par sa banalité. Les exemples de ce style sont nombreux dans l'Administration. Ils sont coincés dans une bulle temporelle. Aidons les à sortir de cette prison dorée et faisons leur découvrir ce qu'est la vraie vie...

    · Il y a presque 9 ans ·
    Avatar

    Olivier Bay

    • Merci de votre commentaire. Le problème, c'est qu'ils ont pris pour perpét' et la libération s'appelle retraite.

      · Il y a presque 9 ans ·
      Au rayon des livres

      chloe-n

  • C’est sûr que si on met des Micheline à Pôle Chômage, l’emploi n' est pas prêt de redémarrer. Bon courage pour reprendre le train en route.

    · Il y a presque 9 ans ·
    479860267

    erge

    • Tiens, vous me donnez l'idée d'une nouvelle série de témoignages : "Couacs à la SNCF". Là aussi c'est pas mal dans un autre genre. A voir.

      · Il y a presque 9 ans ·
      Au rayon des livres

      chloe-n

    • Ah ben oui. Dans ce cas, il y a aussi l'éducation nationale. Bon, je vous l'accorde, c'est facile à trouver. Je ne fais pas preuve d'imagination.

      · Il y a presque 9 ans ·
      479860267

      erge

  • Incroyable !!!! Mais une fois de plus j'adore ta manière d'écrire ;-)

    · Il y a presque 9 ans ·
    Ade wlw  7x7

    ade

    • Merci. Ton commentaire me touche énormément.

      · Il y a presque 9 ans ·
      Au rayon des livres

      chloe-n

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