Cuvée anisée du matin
Mathieu Jaegert
Faire parler mes collègues donne assez souvent lieu à des scènes surréalistes de bon matin. L'anodine conversation de début de semaine peut très vite déraper en explications de texte douteuses soutenues par des circonvolutions linguistiques périlleuses.
Les dialogues colorés entre sourds et daltoniens sont ainsi monnaie courante. La houle s'empare alors des débats low cost en apparence. "Low cost" car les sujets de départ ne payent pas de mine, ils ne mangent pas de pain, miette de rien. Autrement dit, ça ne coûte pas grand-chose d'en parler.
Et pourtant, une phrase lancée à l'emporte-pièce peut provoquer subitement des remous intérieurs et des vagues déferlantes. Il me suffit de leur adresser une ou deux piques bien senties, de les laisser réagir, et la monnaie de ma pièce ne tarde pas à m'être renvoyée à la figure, par figures de style interposées. Des ellipses leur permettant de choisir la réplique la plus cinglante, ou des métaphores plus largement utilisées ici dans le Sud-Anis. Le plus drôle consiste à les laisser parler, s'énerver, s'enfader, s'engrainer tous seuls. Ils finissent par mouliner des mains et ne plus se rendre compte qu'ils bifurquent vers un jargon plus ou moins local.
Ce matin, quand j'ai contesté, hilare, une tournure de phrase, ma collègue a ainsi rétorqué :
"Et en plus tu as de la monnaie à rendre !" me signifiant qu'elle n'appréciait pas que je lui réponde.
La tournure en question, de l'ordre de l'expression inconnue de mon bataillon alsacien était la suivante :
"Il y a du trèfle..." Et visiblement il s'agirait d'une locution locale, mais locale d'ailleurs. Pas propre au Sud...
Les bouchons nimois se propageant en ces temps de rentrée des classes et des travaux, ma collègue venait d'affirmer qu'il y avait du trèfle en ville, du trafic, du monde ! Des voitures et des cyclistes à ne plus savoir qu'en faire, et de la pagaille "t'en veux pas, en voilà quand-même". Une autre a ajouté : "Des voies clafies de files de voitures et des problèmes à moudre, à tous les coins de rues".
"A moudre ?"
"Oui, à moudre !"
"Ah !"
J'ai alors arrêté là, préférant apporter de l'eau à leur pastis plutôt qu'à leur moulin à paroles ensoleillées.
J'ai changé de sujet. Les femmes aiment bien (en tout cas mes collègues) qu'on les complimente sur leurs vêtements. J'ai d'un coup transformé le dialogue de sourds en conversation de daltoniens :
"Il te va bien ton chemisier !"
"Mon chemisier roze (prononcé comme le "o" de "ordure" ou "troll"), il te plaît ?", puis se souvenant que je suis daltonien :
"Ah pardon, tu le vois de quelle couleur ?"
"Moi ? je le vois ROSE !"
"Ah !"
Je dis "rose" comme çà moi....mais suis pas au Sud-Anis ! Mais oui , plaisir de lecture et saveur des mots !
· Il y a environ 12 ans ·theoreme
Un p'tit gôut de bouchon bien sympa pour cette nouvelle cuvée.
· Il y a environ 12 ans ·corinne-antorel
Ah oui, ici, qu'on en s'engraine, on mouline. On brasse du vent alors qu'on a du grain à moudre... Et pendant ce temps là, y a Meunier qui dort! Un texte qui fait "couleur locale" écrit par un daltonien? Allez comprendre!
· Il y a environ 12 ans ·matheo
Des moulins à moudre
· Il y a environ 12 ans ·yl5
Mathieu, un daltonien qui voit la vie en rose...
· Il y a environ 12 ans ·Chris Toffans
C'est délicieux à lire !
· Il y a environ 12 ans ·janteloven-stephane-joye
:D
· Il y a environ 12 ans ·Sweety
Avé l'axent je dirai, très drôle !
· Il y a environ 12 ans ·lyselotte
Sympathique et bien narré avec la petite touche ironique qui donne effectivement le sourire de bon matin
· Il y a environ 12 ans ·Intrigante
grand sourire
· Il y a environ 12 ans ·Stéphan Mary