de la rentrée, de Sarko et du Nouveau Testament
Anne Bert
Brad regarde le prof balayer des yeux la classe de 3ème très vite. Sûr qu'il ne doit pas en mener large le prof face à ces trente cinq ados sauvages prêts à en découdre; comme en proie à un vertige l'enseignant se raccroche à quelques regards lécheurs qu'il ne quittera plus de l'année, smic de la reconnaissance.
Une boule au creux de l'estomac Brad a envie de gerber en écrivant son emploi du temps sur son cahier de texte; du lundi au vendredi il trace la grille de sa prison, avec les heures de promenade en rond dans la cour. Il observe méchamment les blondasses trop maquillées, converses et jean de marque, le string en bandoulière qui gloussent en choeur derrière leurs mains mais se lamineront mutuellement pour accéder aux félicitations, merci papa merci maman de m'avoir fabriquée si conforme, pro formatée, brillante, mignonnette, les babines retroussées. Futures cheftaines qui se feront lécher les pieds par tous ces nullards de mecs qui ont naguère exploité leur mères. Elles ont un bureau Ikea dans leur belle chambre au calme, des parents qui lisent l'Express et regardent Envoyé Spécial, leur expliquent les maths et fignolent leur rédaction, leur parlent avec des centaines de mots différents.
Ya pas, les dés sont pipés. C'est comme si des bourges débutaient l'apprentissage du bridge dans le même groupe que des joueurs confirmés.
Son estomac se serre, ses boyaux se tordent ; il pense à Gavroche qu'il a vu à la télé dans un film, puis à Sarko et à l'épître de Paul qu'il a lu dans le Nouveau Testament de sa grand mère trouvé dans le grenier de la dépendance de la ferme où elle avait fini sa pauvre vie. Brad avait ouvert ce bouquin au hasard pensant que c’était les dernières volontés de sa mémé, et était tombé pile poil sur un passage de ce testament à la con qui a définitivement mis son moral à l'undergroud :
'il y en a parmi vous qui mènent une vie désordonnée, sans rien faire ; nous leur donnons cet ordre, qu'ils travaillent dans le calme et qu'ils mangent le pain qu'ils auront eux- même gagné, si quelqu'un n'obéit pas, notez-le et n'ayez aucun rapport avec eux pour qu'ils en ait honte ; si quelqu'un ne veut pas travailler, qu'il ne mange pas non plus'
Brad s'était senti maudit à l'instant de cette lecture , lui et sa lignée pour cent générations.
Ses vieux devaient être fichés comme l'ordonnait Paul, puisqu'ils ne fichaient rien depuis que l'usine avait été délocalisée il y a deux ans, ils vivaient dans le désordre, à la charge de l'Assedic qui allait leur couper les vivres.
Et la honte, c'était bien pour lui de pourrir dans cette cage à rats de cette putain de cité.
Sa grand mère était morte depuis belle lurette, il ne connaissait pas ce salaud de Paul ni le notaire de sa mémé qui avait du imprimer ce fichu testament.
Mais il était sûr d'une chose, Sarko devait le connaître, parce qu'il ne cessait de répéter qu'il fallait travailler plus pour gagner plus,travailler dans la peine et la souffrance ; c'était son credo à Sarko, un pote au feu Paul.
Il avait lu d'autres pages de ce Nouveau testament, c'était plein d'horreurs, un mode d'emploi de la vie écrit par un sadique : "esclaves obéissez à vos maîtres avec crainte et tremblements"
un vrai programme électoral inspiré du Seigneur , toujours d'actualité, qui devait assurer la paix aux puissants et aux riches, pour mener le troupeau d'ouailles abêti à la bergerie.
Brad avait entendu dire que la religion était l'opium du peuple, mais le Seigneur devait se faire du soucis, l'opium du peuple maintenant c'est Sarko, le berger du peuple, qui boutait hors du troupeau le mouton noir et la brebis galeuse. Brad n'entendait plus le prof qui criait pour demander le silence. Pauvre prof, il était triste pour lui.
Parait qu'il fallait que Brad prenne l'ascenseur social pour s'élever jusqu'à la liberté et au pouvoir, fut-il petit. Il suffisait qu'il écoute ce que ce prof tentait de raconter dans le chahut pour arriver à faire de la lévitation et fuir cette fourmilière de ratés pour accéder au nirvana.
Un job minable et chiant qui fiche les boules le matin dès le réveil, un petit chef pervers, devenir propriétaire d'un pavillon de banlieue à crédit sur 30 ans, une femme, deux enfants, un chien, un chat, deux bagnoles, quatre portables, un ordinateur, les vacances aux Baléares en avion à low-cost. Tout un programme de rêve quoi !
Surtout devenir propriétaire. Ca avait fait marrer Brad d'entendre une bobo parisienne à la télé s'extasier dans un orgasme exotique en expliquant son plaisir de rouler sur un VELIB cet été qui ne lui appartenait pas, cette expérience inouïe et osée de marxisme. On s'encanaille comme on peut.
C'est fou ce que l'homme est imaginatif, créatif, audacieux, pas servile, aventurier, nomade.
Il creuse sa tombe, s'y installe avec les siens, la borne, défendant bec et ongles ses limites, s'y enracine et attend sa mort en regardant la star-ac à la télé et les feux de l'amour ( sa mère dépendante à la série depuis vingt ans l'avait ainsi appelé Brad ) en clonant sa progéniture sur son modèle. Le samedi il va religieusement au temple de la consommation à Auchan et le dimanche chez Gifi en rêvant d'acheter toutes ces saloperies fabriquées par des enfants chinois. Si une assurance tout risque pouvait être possible, il s'endetterait pour la souscrire. Surtout ne rien risquer qui puisse faire échapper à ce paradis.
C'est ça le nirvana.
En attendant l'ascenseur qui devait l'élever, Brad prendrait les escaliers ce soir pour rejoindre son taudis, vu que l'ascenseur est en panne depuis des mois dans son clapier.
Il a un haut le coeur, ferme les yeux et rêve de revenir dans l'utérus de sa mère, embouché au cordon, tortillé, ficelé et naître mort-né. Faut savoir synthétiser disait son prof.
@ olivier Memling : Bonbon rose est un texte que j'ai écrit sur commande pour le concours de nouvelles 'osez 20 histoires de sexe sur Internet" C'est un jury qui sélectionne les nouvelles retenues, d'ailleurs la délibération à du retard, beaucoup, puisque les résultats ne sont pas publiés encore. Sinon, je n'ai pas observé que les textes érotiques étaient moins lus que les autres, c'est à peu près équivalent au texte "de la rentrée etc...". mais, tout le monde ne goûte pas les textes érotiques, je ne pense pas que ce soit une question de peur,surtout sur Internet...
· Il y a plus de 12 ans ·Anne Bert
j'apprécie que vous soyez présente sur ce site
· Il y a plus de 12 ans ·avec un texte qui sait trop bien donner malaise
donnez donc ici d'autres meilleurs de vous
je n'ai pas aimé "bonbon rose"
au demeurant peu lu
j'ai d'ailleurs constaté que sur mes textes il y a d'autant moins de lecteurs que j'indique "réservé au plus de dix huit ans"
les fréquentants de WLW auraient-ils peur ?
Apprivoisez-les
Olivier Memling
J'ai vraiment adoré, c'est bien mené, sincère et touchant. Merci
· Il y a plus de 12 ans ·zinkannie
Super texte... L'écriture mise au service de la pensée intelligente. Bravo !! CDC.
· Il y a plus de 12 ans ·junon
beaucoup d'emotion..une realité qui fait mal au ventre ! j'ai adoré .merci
· Il y a plus de 12 ans ·sylvian-morera
triste miroir de la réalité quotidienne...très bien décrit et tant décrié !!! Bravo !
· Il y a plus de 12 ans ·lhauboit
Faut savoir synthétiser disait son prof. Il faut savoir optimiser me disait mon dernier patron ... puis au bout de trois quart d'heure d'entretien brusquement il me demandait si je l'écoutais... alors je lui répétais les trois derniers mot de la dernière phrase , plus c'était impossible.. je ne rêvais que d'une chose : qu'il se barre avec sa ferra-ri qu'il aille faire chier sa femme ...
· Il y a plus de 12 ans ·Pawel Reklewski
noir c'est noir, superbe texte l'avenir est-il rose, on rêve en bleu!!!
· Il y a plus de 12 ans ·franek