De l'écho dans la voix

Léo Noël

Restriction d’écriture : décalage en peau de chagrin (ce qui signifie que la même histoire sera raconté plusieurs fois, chaque fois dans une version plus courte, et effectuant un décalage du drame vers le comique)

L’homme qui croyait se connaître

Tant de souvenirs passés ici : « Chez le pépère » ça s’appelle. Le bar des potes, finalement. Il fait déjà nuit et lui, il regarde la porte avec nostalgie, sans trop oser avancer, de peur de découvrir que le temps a placé un nouveau patron derrière le bar, ou alors des jeunes boutonneux, accrochés à un flipper, qui fument des filles à travers leurs cigarettes. Il se demande même s’il ne ferait pas mieux d’en rester là, de ne pas aller plus avant, et puis tant pis pour le voyage. Mais le voyage est déjà oublié, il ne sait même plus exactement quand il estt arrivé, ça fait peut-être bien une heure, peut-être plus, qu’il ne bouge pas, caressé par des sentiments contraires. Il attend sûrement que quelqu’un décide à sa place.

C’est ce qui est arrive. Doucement, des gouttes de pluie viennent tinter sur sa tête, l’enlevant à sa torpeur tranquille. Il pousse alors la porte pour s’abriter. D’abord, il regarde ses chaussures, puis le carrelage au sol, sans trop oser lever la tête. Il ferme les yeux. Il s’avance de quelques pas. Lors de sa procession, il entend des verres que l’ont secoue, il entend des voix, embrumées dans un écho à peine perceptible, mais suffisant pour créer une confusion sonore. Des sons flous. Alors, il a garde ses yeux fermés, et continue à marcher. Les sons deviennent de plus en plus clair. Un vague frisson traverse sa mâchoire lorsqu’il reconnait la voix du patron de l’établissement. Ce bon vieux Joseph. Et puis Carlo est là aussi, avec Merlu et Fanfan tout près. Il ne veut pas y croire, pas encore. Il ouvre les yeux lorsqu’il percute le rebord d’une table.

Tous se tiennent là, devant lui, occupés par des histoires. Ce sont eux, rien de plus certain. Il expire bien fort. Cependant, un détail semble différent. Impossible de mettre la main dessus, mais quelque chose a changé, quelque chose ne va pas. Peut-être un évènement troublant, quelque chose dans les gestes, ou dans les regards.

Il croise le regard de Carlo, un instant, puis quelques secondes.

« Carlo ! s’esclaffe-t-il. »

Regard hagard du quidam. La réaction ne laisse pas de place au doute : Carlo ne le reconnaît pas. Depuis combien de temps déjà était-il parti ? Peut-être bien longtemps finalement. Il s’approche de Carlo tout sourire, décidé à faire ressurgir le passé.

« C’est moi, Carlo. C’est moi… »

Un silence terrifié. Un néant inacceptable et incompréhensible s’empare de lui. Il se sent comme aspiré dans le vide. Il ne se souvient pas son nom.

« Ben on voit bien que tu es toi, mais qui tu es, toi ? » qu’il demande Carlo en faisant rire les autres.

Lui, il se retourne vers ceux qui sont accoudés au bar, espérant que l’un d’entre eux va le reconnaître. Pas une étincelle, pas une étoile dans leur regards, à peine quelques interrogations du coté de Joseph.

« Mais je connais tout vos noms : toi tu es Joseph, toi c’est Arnaud mais on t’appelle Fanfan, et toi c’est merlu, parce que tu n’en pêche pas une. Vous ne me reconnaissez pas ? » s’esquinte-t-il à expliquer.

Les autres ne rigolent plus. Ils le regardent effarés. Joseph mets ses mains en avant pour faire signe aux autres de le laisser parler. Il a l’air fâché mais reste très calme.

« Bon, commence le patron, on trouve pas ça très drôle. On va dire que je vais faire comme si t’étais pas au courant et que t’as juste voulu nous faire un bonne blague d’accord ? »

Lui, en face, ne comprend rien.

« Le ptit pote que t’imite là. Ben c’était un très bon copain. C’ÉTAIT tu comprends ? »

Il ne sait pas quoi répondre alors il tente :

« Pourquoi c’était, je…il vous a fait des crasses ?

-Crois bien qu’on aurait préféré. Il s’est fait sauter dans sa voiture, il transportait de la dynamite pour la mine. »

Il ne le regarde pas pendant qu’il explique, il est fixé sur la photo noir et blanc qui est accroché derrière le comptoir, et que Joseph désigne avec son pouce. Il semble y reconnaître quelque chose. Il se sent devenir livide.

« Qui est l’homme sur la photo ? »

Et Joseph qui s’énerve :

« Le pote dont je te parle. Philippe, le pauvre. »

Les autres lèvent leurs verres et baissent leurs têtes.

Il les regarde et comprend qu’il n’est ni Philippe, ni l’homme de la photo.

Il regarde ses mains, touche son visage.

Il regarde à nouveau ses mains et les voit disparaître.

Il n’arrive pas à retoucher son visage.

Il veut parler mais…

Il…

L’homme qui croyait…

Le gars se tenait là, dépenaillé comme un pingouin, l’air aussi paumé qu’un étranger dans le métro de la capitale. Il fait le lampadaire, mais en plus petit, depuis on ne sait pas trop combien de temps. Il a pas l’air de le savoir non plus de toute façon. Devant lui, il y a le bar des potes. Des lustres qu’il est pas venu, alors il se demande si les gars sont toujours là, à raconter des crasses sur la vieille Monique, et à se mettre du vin rouge jusqu’à le faire déborder par les oreilles.

Il se met à pleuvoir. Il doit pas trop aimer la pluie parce qu’il pousse la porte du bar. Il rentre, mais bon, attention, il regarde pas de suite. Il se la joue suspense le gars, genre il regarde pas droit devant lui, il écoute d’abord, il renifle aussi. On dirait bien le même endroit. Il avance en se disant qu’il sentira mieux tout ça les yeux fermés. Du coup, il se prends un coin table, forcément. Il continue les yeux ouvert en se disant qu’on ne le baise pas deux fois de suite. Il ne sait pas ce qu’il perd.

Les potes sont là. Joseph le patron, Fanfan sans sa tulipe, Merlu le moche, toujours moche. Il y a juste qu’on dirait que c’est plus exactement les mêmes. Notre gars, il va voir Carlo, se plante devant lui et il attend en montrant ses dents comme s’il voulait les montrer au monde entier. Carlo il comprend pas, mais bon c’est un bon gars Carlo, alors il sourit aussi, puis même il lui demande ce qu’il boit.

Le gars le regarde un peu déçu,? et il fait :

« Hé les mecs, c’est moi… »

Puis le trou, pfuit comme ça, il a oublié comment qu’il s’appelle.Alors il demande :

« Comment je m’appelle déjà ? »

Les mecs, bien obligés, ils se marrent.

« Tu sais à qui il me fait penser ? qu’il dit Fanfan, toujours sans sa fleur, il me fait penser à Philippe, tu te souviens ?

- Ah ben voilà ! C’est moi lui. Enfin Philippe je veux dire, ça doit être moi ! qu’il dit le gars tout fier.

- Pas possible, qu’il dit Joseph, le pauvre Philippe à voulu faire une blague en balançant un bâton de dynamite dans le fossé, il était bourré comme un coin. Alors il l’allume, nous on le regardait depuis là tu vois, avec sa tronche hilare, puis il le balance par la fenêtre… »

Silence.

« Puis la fenêtre était fermé, conclut Merlu, putain c’est con quand même. »

« Alors je suis pas Philippe ? »

« Bah non. »

« Bon. Désolé. »

Puis il disparaît.

Le grand inconnu

Grand benêt, la gueule ébouriffée comme s’il venait de se faire sauter la gueule à coup de dynamite. Il rentre dans un bar parce qu’il pleut. Il reconnaît ses potes, ils sont tous là, il disent que Monique elle pourrait marcher sur le cul si les routes étaient pavées de bites. Alors ils rigolent. Le gars il rigole aussi, alors les autres se retournent, et ils lui demande ce qu’il fout là.

Ben lui il pige pas, il fout là parce qu’il a toujours foutu là, rien de plus rien de moins. Il leur dit : « c’est moi… » Les autres ils se marrent parce qu’il le connaissent pas.

Il y a une photo sur  le mur alors le gars il dit que c’est lui. Enfin il dit que lui, c’est la photo. Enfin, vous comprenez. Et puis comme les autres, ben ça les fait pas rire, il disparaît.

Blague

C’est un gars, qui rentre dans un bar et qui fait : « C’est moi ! ». Puis tout le monde se fout de sa gueule parce que c’était pas lui.

  • Très bel "exercice de style" façon Oulipo. Queneau n'aurait pas désavoué.

    · Il y a presque 12 ans ·
    Photo du 57301621 05    15.55 orig

    le-fox

  • Janteloven, merci de coeuriser, merci de barbariser, merci d'écrire
    Elsa, tu as le même nom que ma colocataire, mais ça n'a aucun rapport...
    Layla, si seulement nos textes pouvait nous nourrir autrement que spirituellement (un big mac svp, vous prenez les biographies ?)
    Wen, c'est gentil, mais comment peux-tu être admiratif de mon travail quand tu postes les bombes que tu postes ?
    Eaven, je crois que ton commentaire est un poème (à vérifier)
    Mystéria, je suis un rat, un rat moche et puant, avec des dents qui manquent...
    Junon, je me demandais depuis longtemps pourquoi tu avais cette coupe de cheveux surr ta photo...
    Mery, oui, je sais .... ^^

    · Il y a presque 12 ans ·
    Rat3 54

    Léo Noël

  • Un petit rat super doué sur ce coup-là. Exercice de haute voltige très bien mené, ébouriffant, et un brin étourdissant pour tout dire ...

    · Il y a presque 12 ans ·
    Jos phine nb 7 orig

    junon

  • mais c'est une tuerie ce truc! bravo!! ma petite souris, tu es doué!

    · Il y a presque 12 ans ·
    Img 0052 orig

    Karine Géhin

  • Très bien fichu, pas convenu (si je puis dire), super réussit, intelligent, m'a bien intéressée et m'a bien plu.

    · Il y a presque 12 ans ·
    Gants rouge gruauu 465

    eaven

  • C'est bien foutu, je suis admiratif, un très bel exercice, bien mené.

    · Il y a presque 12 ans ·
    Francois merlin   bob sinclar

    wen

  • Les textes se succèdent et on reste accroché. J'ai beaucoup aimé Léo... bravo!

    · Il y a presque 12 ans ·
    Locq2

    Elsa Saint Hilaire

  • Franchement Bravo ! Un bel exercice totalement réussi je trouve ! je Coeurise !

    · Il y a presque 12 ans ·
    B3

    janteloven-stephane-joye

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