Départ en vacances

veroniquethery

La valse des poupées

   La décision de partir aux Baléares avait enthousiasmé toute la famille et chacun n'y avait trouvé que des avantages. Ma mère, amoureuse du soleil et de la chaleur, évitait ainsi le camping merdique près de Bray-Dunes, où une malédiction voulait que, dès que nous y posions nos bagages, des litres de flotte nous tombaient dessus. Mon père déjà séduit parles plages de sable fin, où de belles touristes pratiquaient, sans pudeur, le monokini. Moi enfin, enchantée de pouvoir poser le pied non loin du piano droit dela chartreuse de Valldemossa,où l'illustre Chopin avait posé les mains.


   Une fois la destination choisie, il fallut trouver l'hôtel. Ma grand-mère maternelle insista pour participer aux frais et il lui fallut se battre avec son gendre afin qu'il acceptât, non de prendre une part de ses maigres économies, mais d'investir le pécule dans un palace digne des mille et une nuits.


   Les semaines qui précédèrent le départ auraient dû être joyeuses, mais il n'en fut rien. Ma mère, en effet, bien qu'elle n'eut jamais pris l'avion, souffrait d'une forme particulière d'aérodromphobie. Sa peur était plus qu'irrationnelle, puisque la catastrophe possible n'était pas simplement que le coucou pût s'écraser -dans un avion moderne, la probabilité d'un crash étant d'une chance sur un milliard,- mais que je fusse la seule survivante de la famille. L'idée que je pusse me retrouver orpheline était, pour elle, plus terrifiant que tout ; car alors, qui aurait pu élever son unique et bien-aimée enfant ?


   Avait alors commencé un bien étrange casting, au cours duquel furent éliminés un à un tous les membres susceptibles de pouvoir m'accueillir. Dans un conte de fées, la marraine est censée être la fée protectrice ; sauf que, dans mon cas, Hugo conviendrait mieux que Perrault. Comprenez qu'avec « ces âmes écrevisses », la pauvre Véronique serait vite devenue Cosette. Le fait que leur fils fut bon pour Charenton ne plaidait pas non plus en leur faveur.Ces Thénardier houplinois furent donc virés, au grand dam de mon père qui adorait sa sœur. Il proposa alors de me placer sous l'égide de son frère. Hors de question que je sois confiée à ce turlupin, pour lequel, pour plagier Baudelaire, l'âme du vin chantait dans les bouteilles !


   On prospecta alors du côté maternel. Le demi-frère aurait pu être accepté, sauf que sa femme était déjà plus malfaisante et jalouse que la pire des marâtres. J'échappai donc aux griffes de cette Mme Miche.


   Ne restaient plus en lice que mes grands parents. Mais, comme je comptais autant pour eux que leur dernière chemise, le testament olographe me confia à ma grand-mère maternelle.


  Au final, l'avion ne s'écrasa pas et nous revînmes bronzés et heureux, joyeux trio, la valise chargée d'éventails et de petites danseuses de flamenco...

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