Donjons et Dragons (1)

cerise-david

Il a des jours comme çà, des secondes qui s’égrènent lentement. Des instants fugaces qui s’éternisent. Y’a des périodes de doute, de trouble. Y’a le jour J et tout le reste de la vie. Et bien, nous y voilà. L’instant T, le commencement de la fin, le jour où je me suis transformé. Où elle m’a métamorphosé, ouvert les yeux, électrocuté. Du bout de son nez. Le moment opportun pas forcément lumineux et clair, plutôt flou et incertain.

Y’a 4 mois encore j’étais marié et père de 3 enfants. J’avais pour ma femme du respect. Bien qu’ennuyeux notre quotidien nous convenait. J’avais une bonne situation et des responsabilités. Mes enfants me prenaient tout le reste de mon temps. Ma fierté, l’éclair dans mes yeux. Et puis, l’orage qui doucement gronde, ma femme qui me trompe, je l’apprends par hasard, je ferme les yeux. Un soir quand je rentre, elle a disparue. Les enfants sont là. Sages et silencieux. Ils attendent Maman qui a promis de revenir tout de suite, il y a 4 heures ; elle n’est jamais revenue. Elle ne reviendra jamais. Je l’ai vu dans ses yeux, ce matin. Entre une tartine de beurre et une gorgée de café. Y’avait un éclair qui faisait luire ses pupilles, ce goût de la liberté retrouvée… Qu’elle parte. Je sèche les larmes de mes enfants et les rassure doucement. Maman reviendra un jour, en attendant on doit transformer la maison en donjon, parce qu’on a plus notre fée pour nous protéger des dragons. Ma fille aînée me regarde doucement, elle doit se dire que je suis fou. Elle a 7 ans ou l’âge de la douce lucidité. C’est elle qui m’a appris pour sa mère et son amant. Elle me l’a dit comme Evelyne Dhélia vous annonce la météo. Ce soir-là, elle me prend dans ses bras du haut de son petit mètre et me dit doucement :

-          C’est pas grave si Maman revient pas… Parce qu’on a un super chevalier pour nous protéger des dragons… Hein, Papa ?

Elle n’a pas vue les larmes sur mes joues ; j’aime terriblement ma femme. Et sans ma fée du logis, je n’ai pas fière allure en armure mal lustré. Ce soir, je suis seul. Et l’orage tourne encore…

Les problèmes ont commencés à assiégés notre donjon dès les premières lueurs de l’aube ; Eva ma grande va à l’école primaire, je lui confie la responsabilité d’Hugo qui lui découvre les coloriages de la maternelle. Hugo à 5 ans, il est inventif mais timide. Mais j’ai confiance en Eva qui a promis de l’accompagner jusque devant sa classe. Me reste Lola, ma dernière, mon trésor de malice. Précieuse et capricieuse. À tout juste 2 ans, c’est ma femme qui occupait ses journées. Pour aujourd’hui, le chevalier n’a pas de potion miracle. Je prends Lola sous le bras, vérifie une dernière fois qu’il ne manque pas une chaussette à Hugo, que Eva à bien son cahier de lecture et nous prenons mon fier destrier, "Scénic", pour nous rendre à l’école. Je laisse Eva et Hugo devant leurs classes, expliquant à Hugo que c’est un jour spécial, que demain c’est avec Eva qu’il viendra. Je sais qu’il comprend mais son air triste m’indique que cette situation n’est pas celle qu’il affectionne… sa mère lui manque. Eva, plus grande me lâche les mains dès les grilles de l’école franchies. Elle s’en fout de son preux chevalier tout rouillé de cette nuit d’insomnies. Elle a son monde. C’est plus simple pour elle, même si je soupçonne qu’elle attendra sa mère ce soir, juste pour voir. Je passe dans le bureau du directeur, expliquer le changement de situation. Le directeur n’a pas l’air disposé mais je ne quitte pas son bureau avant d’avoir signé la décharge qui permettra à Eva de quitter l’école librement avec son frère, sans la présence d’un adulte ; je suis un père indigne. Et Lola, continue de baver sur le col de ma chemise…

Au boulot, c’est plus simple. J’ai 10 ans de boîte, la confiance de mon patron, le soutien de mes collègues et l’admiration de ma secrétaire. Jeune mariée, elle m’a simplement arraché Lola des bras pour la journée.

-          Vous allez avoir beaucoup de choses à gérer… je m’en occupe.

Je sais qu’elle et son mari essayent d’avoir un enfant depuis plusieurs mois déjà… sans grand succès. Je sais que Lola sera aux anges d’être le centre d’attention pendant une journée. Tout le monde y trouve son compte. Les comptes, avant toutes autres choses. Mon banquier est surpris par ma requête mais je lui exprime clairement l’idée ; je coupe les robinets. Ma femme se retrouvera sans argent d’ici 48h et n’aura aucun accès à mes ressources. C’est la fin du compte joint. Premier coup de lance dans la gorge du dragon. Je m’attends au retour de flammes… je l’espère un peu. Après ces mesures obligatoires, je passe dans le bureau de mon patron pour faire un point sur mon emploi du temps, les dossiers en cours. Je bosse dans une société de communication, le truc dont personne ne se soucie réellement mais qui est bien utile aux grandes entreprises. Bref, je prends trois semaines de congés et mets en place un système de mi-temps, pour les mercredis et samedis, journées des enfants. Mon patron est clair :

-          Prends le temps, si tu as besoin d’un coup de pouce, nous sommes tous là. Et puis, tu es un bon élément, j’ai confiance.

Le chevalier sort le torse bombé. Mais l’effet coup de fouet est de courte durée. Y’a une tonne de choses à faire, à prévoir. Une tonne de problèmes dans ses gros nuages noirs qui doucement entourent mes épaules. Pendant trois semaines, de vacances, je cours plus vite que je ne respire. Mais la vie reprend un sens. Lola se tient sur ses petits mollets, Hugo demande toujours « Pourquoi ? » et Eva est rêveuse. Je suis Papa, Maman, Nounou, Poney, Picasso, Juanita et Roméo. Je suis le miroir de la situation, de toutes les situations. Je ne pense pas, j’agis. Pas de réflexions, que de l’action.

Journée type : 7h, réveil et pti’dèj devant Chasseurs de Dragons. Éclats de rire. 8h, école pour Eva et Hugo qui partent main dans la main. 9h, BFMTV, j’attends des nouvelles. 12h sandwich pour moi, petits pots pour Lola. Après-midi, je cherche une nouvelle maison. J’abandonne. Je cherche une nounou et un chien. Pour les enfants. Et un peu pour moi. 16h, retour d’Hugo, la morve au nez et d’Eva, les yeux brillants.

-          Dis Papa, pourquoi elle est plus là Maman ?

-          Je ne sais pas Hugo, je crois qu’elle s’est envolée. Tu sais c’est comme çà les fées…

Quoi dire, quoi faire. Partir à sa recherche, retourner ciel et terre. Une fée çà peut être n’importe où… Je suis fatigué. Mais faut garder haut le pont levis. Je croise le regard de Lola qui hilare tape de son petit poing sur la table en criant  « Papa, Papa, gâteau ! », alors que je lui redonne pour la sixième fois. Et qu’avec le plus doux des sourires elle le lance à nouveau par terre, je crois que c’est celle qui souffre le moins de l’absence de sa mère. Il y arrive que certains soirs, elle pleure et la réclame avant de s’endormir… alors Eva se lève et vient embrasser sa sœur. J’ai perdu ma fée mais il me reste mes petites princesses. Le combat continuera… les jours passeront.

Ce matin, lorsque je me réveille, trois monstres ont envahis mon lit… Lola est sur ma tête et je me demande bien comment elle a pu escalader les barreaux de son lit. Hugo dort sur mon torse et Eva, me regarde assise au bord du lit, une main sur ma cuisse. Je me relève doucement, les cheveux hirsutes.

-          T’as une tête de hibou…

Elle est très belle, ses cheveux font de gros nœuds, comme ceux de sa mère… Je bouge mon petit monde vers la salle de bain, c’est devenu notre rituel du dimanche matin. C’est mon dernier jour de vacances et je n’ai pas trouvé de nounou… je chasse le reste de mes pensées avec la buée sur le miroir. Mes trois monstres s’éclaboussent dans la baignoire et je suis obligé de sortir Hugo qui tente d’apprendre à Lola les principes de l’apnée. Je l’assois sur le lavabo, le temps pour moi de finir de me raser. Retourner au boulot avec une barbe de trois semaines ne serait pas digne d’un preux chevalier sans peur. Hugo réclame le rasoir ; doucement je lui mets dans la main et le guide… Lola hurle, le rasoir glisse. Hugo me regarde avec de gros yeux et Eva, stoïque, déclare :

-          Voilà, avec une cicatrice tu fais vachement plus chevalier gothique…

La voilà qui sort du bain, prend le coton dont se servait sa mère pour se démaquiller et vient avec tapoter ma joue pleine de sang. Je crois qu’Hugo a compris le danger et repose doucement le rasoir dans le lavabo. Lola nous regarde et explose de rire en tapant ses poings dans l’eau… histoire d’inonder un peu plus la salle de bain. J’ai fini par oublier l’idée de déménager, trop laborieux, et puis, l’appartement est grand et je m’y plais comme au premier jour malgré l’absence de ma femme. C’était son choix. Aujourd’hui, c’est le mien. Ses affaires ont peu à peu été empilées dans des cartons, entassés dans la cave. Son parfum trône encore dans la salle de bain, Eva en mets une goutte tous les matins…

Tout mon petit monde est devant ses tartines quand on sonne. Hugo a hurlé « Maman ! » et s’est rué sur la porte d’entrée. Mais ce n’était pas Maman. Il a laissé la porte ouverte et est revenu s’asseoir…

-          Je peux entrer ?

C’était une toute petite voix, une voix de princesse. Je me suis levé en direction de l’entrée ; face à moi, une jeune femme aux longs cheveux blonds, tressés sur le côté. Une chemise d’homme sur le dos, un micro-short déchiré. Pieds nus, elle était là, plantée dans mon salon.

-          Le petit bonhomme n’avait pas l’air content de me voir… je me suis permise d’entrer, je suis votre nouvelle voisine… j’aurais besoin d’un coup de main. J’espère que je ne dérange pas ?

Elle a l’air gênée, passe une main dans ses cheveux. Hugo profite de mon silence, se relève pour venir se planter devant elle, les mains sur les hanches, prend son air sévère et lui dit :

-          On attend quelqu’un, alors Papa il doit rester là… Et puis, on doit pas parler aux inconnus. Et je suis pas un petit bonhomme !

Il a dit çà le plus fièrement du monde, c’est un truc que j’ai du leur répéter tous les matins avant le départ pour l’école avec Eva. Il avait enfin son inconnue et pouvait me montrer qu’il écoutait attentivement son père. Je n’avais encore rien dit, je regardais tour à tour mes enfants et cette demoiselle en détresse, j’étais sans doute le plus embarrassé des cinq. Elle s’est penchée vers lui, a tendu sa main et s’est présentée :

-          Ok, preux chevalier, je m’appelle Eléonore. Je suis enchantée, je suis ta nouvelle voisine.

J’ai éclaté de rires face au désespoir de mon fils qui ne pouvait pas être plus courageux, il vint se réfugier entre mes jambes et c’est Eva qui finit par se lever pour présenter la famille.

-          Puisqu’il faut tout faire, je suis Eva, c’est moi la plus grande j’ai sept ans, Hugo, le froussard…

-          Je suis pas un froussard !!

-          Hugo à cinq ans et Lola, là-bas, c’est la plus petite, elle a deux ans. Et là, c’est Papa, il est très vieux, il a trente-six ans.

-          Enchantée, Eva ; j’étais venue voir si ton Papa pouvait aller gronder mes déménageurs qui font n’importe quoi avec mes cartons dans ma nouvelle maison, tu crois qu’il peut m’aider ?

Elle a levé les yeux vers moi et Eva a répondu que j’étais un grand chevalier et que j’avais peur de rien et beaucoup de force, alors je pourrais même porter tous les cartons ! Me voilà donc embarqué dans l’aventure qui changera ma vie sans même avoir prononcé un mot. Je confie à Eva la garde de la maison, et accompagne ma demoiselle en détresse jusque devant le camion des déménageurs…

  • vraiment tres bon, l'histoire est bien menee et meme si la situation est un peu triste il y a beaucoup de beaute et d'amour dans ce texte

    · Il y a environ 12 ans ·
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    christinej

  • Par la face rouge du vieux pochard ! Je l'aime bien ce donjon. Bigre, une poussière dans mon œil de chevalier même pas ému par toutes ces histoires de princesses, de chevalier et de fées maléfiques ou merveilleuses ! Et ça, ce n'est pas du tout parce que l'écriture est toujours aussi brillante, fluide, et vivante ! Que dis-je, tu y mets du toi dedans. Enfin, heureusement que j'ai partagé et exprimé mon coup de cœur, car sinon, mon honneur ne se le serait pas pardonné. En avant pour la suite.

    · Il y a environ 12 ans ·
    Dargon d absinthe orig

    Lézard Des Dunes

  • Voila, je trouve enfin le temps de te lire un peu, et j'adore toujours ton style. Simple et direct, ça touche. je vais lire la suite dès maintenant

    · Il y a plus de 12 ans ·
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    Bryan V

  • Très bon début, Cerise, je suis, cela change de tes précédant textes, mais on a envie de voir la suite, bon courage et bonne inspiration.Merci du partage.

    · Il y a plus de 12 ans ·
    Moi

    Yvette Dujardin

  • merci Cerise, c'est fluide et j'aime quand ça coule comme ça...c'est très sympa

    · Il y a plus de 12 ans ·
    Img 5684

    woody

  • PS: mention spéciale pour l'illustration... hilarante !!

    · Il y a plus de 12 ans ·
    Jos phine nb 7 orig

    junon

  • Merci à Wen du partage... je copie, je dis tout comme lui !! Sauf que nous, on n'est pas encore amies façon WLW... on répare ça ...??

    · Il y a plus de 12 ans ·
    Jos phine nb 7 orig

    junon

  • Quand j'ai vu ce texte, je me suis dit : Ben pourquoi elle a pas partagé c't'imbécile ? Bon, ce n'est qu'après que j'ai réalisé que nous n'étions pas (encore) amis sur wlw... Donc ça, c'est réglé.
    Ensuite : Comment te dire Cerise ?
    C'EST MAGNIFIQUE !!! J'adore ton texte. CdC immédiat et partage par ton serviteur. Et juste après, je vais lire le 2ème.

    · Il y a plus de 12 ans ·
    Francois merlin   bob sinclar

    wen

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