Donjons et Dragons (2)

cerise-david

Bon okay, je n’avais pas fière allure face à la bande de gros bras, mais j’ai bombé le torse. Le problème était simple, les déménageurs croyant ma demoiselle seule, il malmené ses cartons et ne mettaient pas plus de zèle à la tache qu’un panda à manger ses tiges de bambous. Damoiselle avait déjà payée, en liquide. Je ne suis pas épais, mais je bosse dans la com’, le bluffe çà me connait :

-          Désolé messieurs, j’étais en retard. Je vois que vous avez pas mal avancé.

Silence, ils cherchent à interconnecté leurs cerveaux, chose impossible. Je ne leur laisse pas le temps de répondre, de poser des questions, de percer mon jeu.

-          Bon pour les meubles, va falloir les déplacer parce que je veux tous les cartons dans la même pièce et vu que le salon est aussi grand que ma chaussette…

La carte de l’humour pourri. Çà se détend un peu. Je finis par donner mes instructions et leur demande d’accélérer parce que j’ai un rendez-vous important. Ils passent la troisième et une heure plus tard, tous les meubles occupent la place voulue. Eléonore me sourit gentiment. Je lâche un clin d’œil. Les déménageurs partent, je la tiens par l’épaule. Quand je me retourne mes enfants sont derrière moi, Lola dans les bras d’Eva qui me regarde avec insistance. Et Hugo qui vient me dire :

-          C’est pas une inconnue si tu lui fais des câlins.

-          Non Hugo, c’est notre nouvelle voisine… et…

Je me tourne vers Eléonore et tente le tout pour le tout :

-          A moi de vous demander un service…  mais avant on va se boire un jus bien frais ?

Elle sourit et acquiesce, la voilà assise à notre table, Lola a tenu à se mettre sur ses genoux et joue sagement avec ses cheveux longs. Eva est debout à mes côtés et ne la lâche pas du regard. Hugo, silencieux la dévore des yeux, je sens bien que mes enfants se sentent en danger et tentent de me protéger d’une autre fée. Alors, j’explique clairement la situation, je raconte le départ de leur maman, mon job et mon mi-temps, l’absence d’une super nounou…

-          C’est juste pour une semaine ou deux, sauf si vous avez du boulot, sauf si vous ne les trouvez pas sage ou assez mignon, surtout mon petit bonhomme…

Hugo lève la tête et va pour protester… mais Eléonore le coupe et le laisse bouche ouverte :

-          C’est d’accord, j’ai pas de job encore ici, j’ai besoin de temps pour m’installer et chercher quelque chose de correct. Et puis çà payera le premier mois de loyer…

-          Je suis pas un petit bonhomme !

Voilà comment Éléonore est rentrée dans notre vie. Voilà comment peu à peu, mes enfants ont retrouvés le sourire, et comment tout a changé… Comment je me suis transformé en véritable chevalier. Parce qu’on en a évité des flammes, des pieux, de l’huile bouillante et des bobos ! Je me sentais tellement vivant, la routine s’est évaporée dans un battement de cils…

Nous avons passé notre dimanche après-midi à l’aider à déballer ses cartons, ce fut hilarant de voir Hugo jouer au costaud ! Il a tenu à porter des cartons plus gros que lui, et Eva qui adorable joua le jeu de le flatter sans cesse sur sa force. Eléonore n’en pouvait plus de rire. C’était un courant d’air frais dans les couloirs tristes et humides de notre donjon. J’en profitais pour expliquer à ma nouvelle nounou, ce que j’attendais d’elle. En fin de journée, je pris quelques instants pour rédiger un contrat afin de la couvrir des éventuelles complications et y fit figurer son salaire. Elle rigola et devint rouge.

-          Mais c’est énorme comme salaire pour une nounou. On gagne 2€uros de l’heure en général…

Je m’étais basé sur 12 € de l’heure. L’argent ne manque pas dans notre maison, je répondis qu’elle en profiterait pour acheter de nouveaux meubles. On rigola. Et elle rentra chez elle.

Le lendemain matin fût un véritable délice, les enfants furent sages même si un peu inquiet de me voir partir au boulot, voilà trois semaines que je ne l’ai avait pas quitter… J’ai rassuré tout le monde en promettant de revenir, je croisa le regard d’Eva qui me lança :

-          Maman aussi elle nous a dit çà, avant de partir pour toujours.

C’est Éléonore qui vint à ma rescousse en lui assurant avec douceur :

-          Ton papa reviendra forcément ce soir, parce qu’avec la surprise qu’on va lui préparer il sera obligé de revenir… okay ?

-          D’accord…

Elle croisa mon regard étonné et me mis doucement à la porte en me soufflant :

-          Je gère !

Au bureau, tout le monde fut ravie de me retrouver, on avait pas mal de dossier à gérer et je fus occupé une grande partie de la journée. Ma secrétaire avait le sourire énigmatique de la Joconde mais je n’en sus pas plus. Fatigué de cette longue journée, j’étais pressé de rentrer et puis, j’avais hâte de retrouver les enfants et de savoir comment cette première journée s’était déroulée… en arrivant en bas de notre immeuble, je vis un véhicule des pompiers garé et je fus pris d’un mauvais pressentiment. Mon instinct de chevalier ne se trompa pas. Je trouvai les chasseurs de feu dans mon salon. Eléonore, effondrée, serrait fort Lola contre elle. Hugo pleurait et Eva couru dans mes bras. Les pompiers me demandèrent de m’asseoir et me rassurèrent. La vitre de ma cuisine jonchée sur le sol en mille éclats. Les portes de cet immeuble sont sans poignet, on ouvre avec la clef et on claque la porte pour la fermer. Eléonore était sorti de l’appartement pour récupérer des moules à gâteaux dans son studio pour ma surprise. Eva, curieuse avait suivie et Hugo, ne lâchant plus sa sœur d’une semelle était sorti et avait claqué la porte par réflexe. Lola et les clefs étaient restées à l’intérieur… Je ne grondai pas Hugo, qui pleurait à nous remplir un chaudron. Je rassurai Eva et Éléonore et remercia les pompiers. J’appelais un vitrier qui promit de passer dès le lendemain.

-          En attendant que notre donjon soit réparé, il faudrait quand même penser les faire ses gâteaux !

Le sourire revint sur les visages et très vite, la cuisine fût nettoyée du verre brisé. Eléonore répétait sans cesse qu’elle me rembourserait, je répondis en riant :

-          Il va en falloir des gâteaux pour payer tous ses dégâts…

Je reçus un peu de farine dans le nez et on finit par dévorer les gâteaux tous ensembles devant un Disney.

Les jours passèrent… la vie repris son cours. Eva souriait parfois, Lola ne pleurait plus et Hugo prenait doucement confiance en lui. Éléonore était toujours disponible, et son sourire hantait mes nuits toujours aussi agitées. Je comprenais enfin ce qu'une mère ressent, les mille et une craintes qu'elle peut avoir. Les doigts dans la prise, traverser la rue sans regarder, la fièvre. J'aurais parfois aimé tout régler d'un coup de baguette magique mais aucun inventeur ne s'appelait Merlin. Parfois, je rentrais plus tard. Le bain avait été pris sagement, non sans éclat de rires, comme la fois où Lola s'était oubliée dans le bain. Hilare elle avait pointé sa crotte puis Hugo et avait pour la première fois dit : "Hugo!", suivi de "Caca" (qu'elle avait appris sur son pot avec Éléonore). Puis elle avait continué de répéter ses deux mots, bout à bout, sous les yeux ébahis d'Éléonore et malgré les pleurs inconsolables d'Hugo qui jurait que ne n'était pas lui… Nous avions beaucoup ri, ce soir-là.

Aujourd’hui nous avions fêté la grossesse de ma secrétaire. Elle et son mari avait enfin réussi et attendait maintenant patiemment l’arrivée de leur enfant. Je rentrais donc, un peu tard, au moment du conte du soir. Éléonore et les enfants, étaient enroulés dans une grande couverture sur le canapé et Damoiselle leur contait les histoires des petits êtres magiques qui peuplent encore notre monde en secret. "Au pays où l'amour se fait rare, j'espère encore trouver ce preux chevalier qui viendra me délivrer de ce maléfice qui chaque nuit me transforme en femme-dragon. Enfermée dans mon donjon, au sommet de ma tour d'argent, je l'attends." Mélusine et sa triste histoire, elle aussi vivait dans un donjon. Je restai adossé à la porte du salon et écouta cette histoire… mes enfants avaient l'air tellement heureux. Cette nuit-là, Éléonore resta dormir à la maison. Et les nuits suivantes. Elle trouva un mi-temps et, avec l'accord des enfants, elle rendit son appart et vint s'installer chez nous. Petit à petit, je redevins un chevalier ardent. Et les jours continuèrent de s'écouler, bien à l’abri dans notre donjon.

Quelle ne fût pas ma surprise après 4 mois d'absence, de trouver ma femme dans la cuisine. Éléonore m'avait appelé paniquée à l'heure de la pause déjeuner. Ni une, ni deux j'avais embrayé mon vieux destrier et était rentré éclaircir ce nouveau nuage noir qui menaçait ma maison. Elle était là, pleine d'arrogance. Jalouse d'avoir été remplacée. Jalouse de voir qu'elle n'était plus aussi indispensable à ma vie. Je lui présentai Éléonore mais elle ne posa pas un seul regard sur elle. Elle exigeait de voir ses enfants. Lola, avait rejoint la crèche il y a quelques jours… Heureusement. Je pus déverser toutes les flammes de ma colère et de mon indignation sur cette félonne qui nous avait trahis sans remords et qui, aujourd’hui, venait exiger allégeance. Elle avait amené le courrier du divorce, et je lui répondis que mon avocat serait tout aussi capable de lui répondre. Par courrier recommandé. J'avais si mal au cœur, d'infliger çà à Éléonore qui fut traité de tous les noms qu'une langue de vipère peut cracher de venin. J'étais écœuré mais je ne céda pas. Je pria ma femme de repartir d'où elle venait et de ne plus jamais revenir.

-          Et les enfants? Me demanda-t-elle.

-          Ils ont, je crois, cesser de t'attendre. Et c'est mieux comme çà.

Rageuse, elle claqua la porte et disparu dans un nuage de poussière. Voilà, j'avais passé la dernière épreuve du feu, j'étais devenu un vrai chevalier. Protégeant, sans relâche mon bien le plus précieux… mais je dois avouer que j'eu un peu de peine quand Eva rentra et qu'elle me regarda avec une lueur d'espoir avant de me dire :

-          Ça sent le parfum de Maman?

-          J'en ai piqué une goutte dans le flacon, j'aime bien son odeur. Çà ne te dérange pas? Lui répondit Éléonore.

Le vrai chevalier de mon histoire, c'était elle.

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