.Motissage.

nouontiine

Motissage

Elle se tient debout, désormais, parce qu’elle ne veut plus se laisser fouetter par la vie.

Elle vient de ce pays que l’on nomme la Terre des hommes intègres. Un paysage sec, aride, qui va pourtant à l’essentiel : regard pénétrant, sourire bienveillant, générosité enveloppante.

Elle se sent bien dans ce pays qui l’a vue naître, qui lui a donné pour prénom Nouontiîne : « le secret du bonheur » en langue dagara, l’ethnie à laquelle elle appartient à travers son père. Ce secret, longtemps elle l'a courtisé, désiré, jusqu’à ce qu’elle comprenne enfin qu’il est en elle, le bonheur. À la bonne heure, elle décide enfin de se poser et d’apaiser son coeur.

Trente ans qu’elle arpente une partie du monde, son sac sur le dos, sa petite fille sous le bras, à la recherche d’une alchimie capable d’embellir sa vie. Et puis elle s’aperçoit que l’herbe n’est pas toujours plus verte, plus florissante ailleurs, alors elle pose ses valises dans le Sud, parce qu’il y fait bon vivre et qu’elle aime sentir le soleil miroiter sur son son afro.

Elle aime les mots parce qu'ils (lui) donnent du sens et lui permettent de (s')inventer d'autres vies, au gré de ses envies. Sur son visage se dessinent les traits du métissage. Charnel, culturel. Ballotée entre deux rives, elle met du temps à trouver sa place. Et puis, un jour encore, elle fait chanter richesse et métissage. Une richesse qui l'a ramène à son village, où le temps, à son grand étonnement, semble s'être arrété. On y accède après toute une journée de route par l'unique piste rouge et poussiéreuse qui serpente au milieu de la savane subsaharienne. Elle aime la spiritualité qui se dégage de cette terre assoiffée et espère un jour approcher la sagesse de ceux qui l'ont façonnée, là-bas, lui contant parfois : « Il faut trois ans pour apprendre à parler et toute une vie pour apprendre à se taire ».

Elle se rappelle un jour où, accompagnée de son père et de son frère, elle se rendait au village. Après plusieurs heures de piste, ils s'arrêtent au bord de la route pour visiter un vieil ami du père. Il habite une maison faite de boue et de paille séchée avec sa femme et leurs six enfants.

Ils échangent et se désaltèrent. Lorsque les trois voyageurs demandent au vieux la permission de reprendre la route, ce dernier s'empresse d'aller chercher l'un des poulets dans le petit enclos qu'il a assemblé au fond de la cour et leur tend la bête, des deux mains, la bouche rayonnante. Elle et son frère hésitent à accepter le présent du vieil homme, peut-être par politesse. Ou par désarroi. Leur père tranche et leur détaillera plus tard que le vieil homme ne possède d'autres biens que ces poulets bicyclette*, patiemment élevés et préservés de ce climat ingrat. Une satisfaction dont il tire une grande fierté et qui va bien au-delà de la valeur marchande qu'il pourrait en tirer sur l'étal du marché. Les deux petits remontent songeurs dans la 2 CV d'un bleu ciel cabossé, tandis que leur voyage au pays des hommes intègres commence à peine.

À cette pensée lui reviennent toujours à l'esprit les vers de Khalil Gibran : « Vous donnez peu lorsque vous donnez de vos biens. C'est lorsque vous donnez de vous-même que vous donnez réellement ».

* Nom que l'on donne aux poulets élevés en liberté parce qu'ils ont dû longtemps courir pour trouver de quoi se nourrir. Par opposition au poulet « télévision », élevé en batterie.

Signaler ce texte