Drôles de têtes

tolum

Le lundi, tu fais ta tête de mule, tu te lèves du pied gauche, les yeux butés, le regard torve avec de petits éclairs chafouins qui traversent les êtres et les choses. Tu ne vois rien, tu fronces les sourcils, tu te coiffes comme l’as de pique, tu mets les deux pieds dans le même sabot, et chaque fois que tu parles on dirait une vieille haridelle asthmatique qui a du mal à grimper la côte. Il ne faut rien te demander.

Le mardi, tu es tête en l’air, tu mets tes vêtements à l’envers, tu perds tes clefs, tu cherches en vain ton téléphone mobile, tu  enfournes le  linge dans le lave-vaisselle, tu verses le vinaigre dans les verres à pied… Bouche bée, à gober les mouches, les yeux écarquillés, tu susurres, tu murmures, tu es dans la lune, tu vaticines, tu ratiocines, tu brailles, tu dérailles, de midi à quatorze heures tu dis tout et son contraire, tu es relativement intéressante.

Le mercredi, tu te réveilles à l’aube et tu fais ta tête brûlée. Tu veux absolument m’emmener faire un jogging forcené. Tu veux de l’aventure, dire au gouvernement qu’il doit  déclarer la guerre aux tyrans. Tes yeux clignotent comme les signaux des voitures de pompiers. Tu as la pêche, ta bouche est un torrent de projets, tu veux tout croquer, tout avaler. Quand j’ai de la chance, tu me gratifies d’un grand  sourire qui me laisse espérer un peu de tendresse après deux heures de course harassante.

Ce qui nous conduit  au jeudi, le jour unique de notre tête-à-tête depuis 50 ans… tu as ta tête des bons jours,  le teint frais, élégante, à peine maquillée, un parfum de jeune rose, la grâce d’une nymphe grecque. Tes yeux rayonnent, illuminent mon âme, tes paroles suaves enivrent mon cœur.

Le vendredi, pour bien montrer que tu es une  athée militante et que tu ne veux manger ni maigre, ni casher, ni hallal, tu fais carrément ta tête de lard. Les yeux bouffis, entre bovins et porcins, car dès la fin de nos amours du jeudi, tu as commencé à  plonger  ton nez dans le gros rouge, et ton petit-déjeuner est une publicité vivante pour la charcuterie bas de gamme, tu parles gras, tu sens le chenil, tu te  piques de revenir à la nature, le violacé de tes joues rendrait jalouse une cuve de beaujolais.


Le samedi,  immanquablement tu me prends pour tête de  Turc : je suis un minus, un grossier personnage, un raté, un moins que rien, tu n’aurais jamais dû m’épouser, j’ai gâché ta vie, je n’ai aucun humour, j’ai du ventre, je ne sais pas m’habiller, je ne connais rien aux vins ni à la cuisine, je conduis mal, je ronfle  et n’ai aucun ami fréquentable, malgré cela je dois avoir des maîtresses dans toute la ville, qu’est-ce qu’elles peuvent bien me trouver, ces créatures… Ah, si  tu n’avais pas le sens du devoir, il y a longtemps que tu aurais pris tes cliques et tes claques !

Le dimanche, c’est le pompon, le bouquet !!! Tu montres vraiment ta face de rat. Teint livide, œil hagard, haleine de putois, tu te laisses franchement aller ! Ta coiffure ? On dirait un vieil héron tombé dans un pot de V 33. Et bonjour l’ambiance, tu noies le monde entier dans ta bile, tu craches ton venin, tu baves ton fiel, éructes piques et crosses, tu as la dent dure, premier prix au concours  des peaux d’hareng…


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