Echos d'ultrasons

Stéphan Mary

Professionnellement, la dissonance trébuchante me rassemble dans le chaos déstructuré du cosmos. Dans la douleur de l’effort, je réunis ingénieurs et amis pour la chasse à l’électron libre. Je cherche les quelques forces qui sont en moi pour réunifier la matière. Il y a de longs moments de silence sous la voûte céleste, parcourus d’ultrasons que nous captons grâce au signal astronomique. Lorsque sonne l’astrolabe, nous savons qu’il est temps d’ouvrir le sas. Un bon astronaute possède une connaissance profonde de l’architecture des masses et de la cosmologie. La première suppose un Q.I. qui passe le mur du son, la seconde un physique d’athlète. Chaque inspiration nécessite de la concentration, chaque expiration participe au chaos.

Tout allait bien dans l’antimatière quand surgit l’Etre. L’Etre est un instinctif qui broie silencieusement ses victimes avec sa mâchoire de Pitt bull. Tout est en ordre pour sangler l’écho dans sa couche sonore quand tout à coup, il nous surprend. D’abord un borborygme puis, entre deux sanglots, il chuchote « Est rêveur qui ne sait » mais la fin de sa phrase expire avec lui dans un dernier souffle. Solitude de l’astronaute. Nous comprenons que rien ne sera jamais plus comme avant.

Mais nous avons l’état d’esprit à jouer collectif à temps plein. Quand je dors c’est toute l’équipe qui dort. Quand je mange, l’ensemble de l’équipage mange. Cela suffit pour survivre. Solidarité de l’astronaute.

Je suis le patron, c’est affaire de tempérament. Tout compte dans la capsule. Un jour ce peut être une sortie pour vérifier la structure, un autre jour pour jouer dans l’immense espace temps constellé d’étoiles. Emerveillement perpétuel de l’astronaute. Vous avez choisi une sortie, vous l’avez préparée et vous ressentez déjà ce sentiment si délicat qu’est l’infini mais patatras, une pluie de météorites. Frustration esthétique de l’astronaute en écho.

Le spationaute est un être bizarre dont il faut apprendre à se solidariser. Il y a quelques hommes qui sortent de la norme quand tous les autres sont si banals. Il faut le savoir, si une pluie de météorites secoue le vaisseau, seuls quelques femmes et hommes sauront le sauver. Bien sûr il y a eu de grands chercheurs qui ont travaillé avant moi sur l’atomisation d’une armée de blindés. Pour eux chaque fraction est un code à déchiffrer.

Il y a aussi le déferlement de molécules organiques humaines qui vous font honte. L’un des scientifiques avait produit de l’hélium lunaire. Un autre, que dis-je, l’autre, son jumeau, avait menacé d’intoxiquer l’équipage sans raison apparente. Echonnerie de l'homme imprévisible.

Parfois l’astronaute doit savoir s’arrêter quand l’horloge du vivant sonne midi. La raison et la foi s’en mêlent en sursauts désordonnés. L’inattention est la pire ennemie. Je me souviens avoir résolu le pari Pascalien « Qu’on me prouve que Dieu n’existe pas ». L’astronaute peut faire une brillante démonstration, incapable - incapable est il -  d’être dans l’instantanéité ; incapable, ce qui est encore pire, de retrouver les bases de l’équation divine.

Puis l’astronaute erre de galaxie en galaxie, soucieux d’écrire pour un monde qui peut encore être sauvé. Echosystème manifeste d’un message en ultrasons…


Sensiblement je me laisse aller à sentir mon corps se détendre dans l'eau bienfaitrice du bassin spatial. Je fais la planche, je ferme les yeux. Je pense à Elle, ses mains sous mon corps pour m'apprendre à flotter, ses mains qui glissent de mes épaules à mon bassin, de mon bassin à mes fesses. Elle me dit "Détends toi. Je vais doucement te lâcher. Ne fais rien, respire calmement. Tu peux dormir avec l'eau".

J'ai appris à flotter. Je flotte. Je suis totalement détendu. Mes jambes descendent lentement, m'emportent vers l'avant. Mon corps bascule. Je laisse faire. Je sens le mouvement, je ressens mon centre de gravité. Je bascule toujours. Mon visage est dans l'eau. Je suis en apnée. Je me repose. Toujours relever la tête avec douceur, jamais à bout de souffle. Je peux rester un petit moment comme ça, un laps de temps de quiétude, de calme.

J'ai envie de cette image, de l'ambiance minérale sur un air de bar de jazz. La voix de Billie Holiday berce les sons étouffés, bruits de verres qui se cognent, rires discrets là, juste derrière.

La porte s'ouvre, je la regarde sourire.

Je peux dormir avec l'eau porté par le chant des sirènes. Echo radar invisible de l’inaudible…

 


Amoureusement, je porte le pinceau à ma bouche et pénètre lentement l'antre du silence empli de sons. Le goût m'imprègne de couleurs horizontales, irriguant mon intérieur de cieux azuréens parcourus de cumulus blancs, des cumulus étoilés de beau temps ; l'esquisse d'un tableau à la Kandinski parcourue de lignes longues et obtuses dans lequel se dessine une porte, abstraction faite d'une courbe en filigrane qui exprime la rondeur d'un sein, le sien peut-être. Sûrement. Je me re-connecte à ma mémoire olfactive en goûtant son odeur.

J'incline mes 20 centimètres qui séparent mes lèvres de sa bouche. J'ai le sentiment d'être au présent. Je m'en sens convaincu. Combien de temps nous étions nous connus il y a deux ans ? Trois, quatre jours ? Quelques mois ? Mais pas plus. En combien de temps connaissons nous son autre ? Combien de temps avant que l'effet miroir ne s'interpose entre le jeu et le je tue le temps ? Combien de temps l'appétit des corps fera t-il fie du temps qui passe, avant que l'aiguille des secondes ne se stabilise, entraînant l'histoire vers d'autres versants versions... Le pli et le déplie lacanien, la bobine de fil que l'on déroule méthodiquement entre le moi et toi. Peu importe. Je suis dans l'écho de l'intervalle.

Je me sens au présent, libre de goûter l'air frais à petits coups de langue. Je savoure le décollage d'un nouveau souffle, mélange pertinent de la mort acceptée, la rupture en contraste avec le passé enfin digéré. Le temps d'un moment je pose mes valises et j'apprécie de sentir mes bras soulagés, mes épaules soulevées par deux fils bien droit. Ma nuque est souple, son corps et son esprit également. Nous nous immergeons dans le moment de la réassurance quasi aquatique du désir prégnant.

L'aube se lève, donnant une nouvelle lumière aux doubles rideaux tirés sur l'extérieur. Je frissonne de plaisir, mon être assouvi par la gaieté et la tranquillité du moment. Echographie invisible de l’enfantement…

Temporellement, c'est le printemps, il fait beau. Je secoue ma pelure de tristesse avant de m'aventurer dans l’espace terrien. Quelque chose a changé.

Le fond de l'air est frais

Le bord de mer est bleu

Quelque chose a changé

Quelque chose a changé et je n'y peux rien ! La disparition de mon autre m'a profondément ébranlé jusque dans mes convictions les plus évidentes. Echo en ultrasons de l’impuissance. Tout est si fragile. L'absence définitive laisse un goût amer, désagréable mais là, présentement, quelque chose a changé. Les larmes comme reflet d'une histoire foutue ; les sanglots ravalés, les hoquets secs, les spasmes dans l'estomac, la gorge nouée, les épaules ramassées, les cernes sous les yeux, les lèvres sèches, les mains maladroites tout ça ne m'atteint plus. Quelque chose a changé.

Je regarde mes congénères mais j'ai l'intime sensation que je n'appartiens pas à un groupe social quelconque. Cet autre là-bas, ce pourrait être moi mais ce n'est plus moi. Je ne me reconnais plus dans cette gigantesque muraille humaine. Quelque chose a changé. Je ne regarde plus les filles et les femmes de la même façon. Je ne me noie plus dans le regard bienveillant décroché par une inconnue souriante. Je n'emboîte plus le pas à cette autre que je suis sans savoir jusqu'où. Quelque chose a changé.

J'ai toujours ma caméra sur moi mais je ne dégaine plus mon objectif de la même façon. Je filtre mes émotions terrestres. Je suis moins loquace. Mon amie me dit "Tu as la tristesse au fond des yeux. Regarde dehors, il fait beau". Je grimace un vague consentement. Elle parlemente. J'écoute. J'écoute mais je n'entends pas. Je regarde mais je ne vois pas. Quelque chose... en écho aux sensations.

Un bruissement d'ailes, la pépie d'un serin, l'envol d'un papillon. La vie a changé. Le fond de l'air est frais mais le soleil est bleu. La nature est rouge écrevisse, l'eau darde ses rayons lunaires dans la folie de mon consentement. Oui je consens à vivre parce que j'en fais le choix. Oui quelque chose a changé. Echo nymphe de la vie…

 Artistiquement, rien n'est à inventer. Tout a été écrit.

Le compositeur pose ses notes comme autant de chants expiatoires. Il partitionne ses écrits avec l'émotion de celui ou celle qui sait que quelque chose va émerger. Une sonorité, une ligne musicale, une phrase mélodieuse. Ou inversement, un cri, un rugissement dévastateur ou libérateur. La musique devient rage, explosion de sons dissonants, universels.

La musique emballe, aérienne, dans une ballade méthodique de laquelle tu ne peux sortir.

Elle te poursuit, amante obsédante, sans jamais lâcher prise. Elle t'évoque un souvenir, une émotion brève et intense que tu mémorises sans contrôler la puissance des décibels mélodieux ou fracassant. De Bach avec la Toccata, à Wagner pour la Valkyrie, tu te demandes comment en sortir, comment maîtriser ce balancement quasi imbécile dont tu ne peux te libérer. Puis viennent Mozart, Beethoven ou Vivaldi. Cette petite musique de nuit te berce comme l'enfant à qui la mère fredonne une chanson pour l'endormir.

La musique sied à celui, celle, qui sait l'entendre, la comprendre. L'écoute ne souffre pas d'être dérangée, concentrée sur ce moment unique de la première émotion. La musique t'étreint parfois doucement, parfois avec une force, une densité qui te ferait pleurer.

L'écriture musicale, l'idée directrice, cette phrase parfaite qui t'éloigne tendrement du quotidien.

La musique céleste est bienfait. Je repars dans l'espace.

Echos invisibles de la vie…

  • Oui l'é répond à cho dans l'écholalie mais sans trouble du langage. Le rêve est omniprésent, la réalité dépasse parfois l'entendement...
    Merci à vous de vous être laissés tenter par une traversée du miroir

    · Il y a environ 11 ans ·
    La main et la chaussure

    Stéphan Mary

  • Bonjour Stephan (II),

    Très belle fluidité prosodique. Décidément le style durassien te sied à merveille !
    Ici, quand "l'écho là lie", l'écho répond à l'écho !
    J'aime beaucoup.
    Merci Stephan pour ce texte tout en sensibilité, qui nous plonge au coeur de l'être.
    À bientôt de te lire.
    Bien amicalement.
    Bise littéraire, et non moins poétique !

    Paul Stendhal

    · Il y a environ 11 ans ·
    Icone avatar

    Paul Stendhal

  • Bonjour Stephan (I),

    Une noèse qui glisse sur les courbes du temps où l'alliance à l'espace voyage notre esprit aux confins des mythes fondateurs de la cosmogonie identitaire ! Vérité oxymoronique, synthétique et empirique ! Le choc est bien celui où chacun regarde son "identité" en face, sans compromission avec sa conscience, mais dans l'exactitude de sa réalité existentielle, celle d'un paradigme syncrétique. Notre identité, nous remémore qui nous sommes tous, des êtres vivants, emplis de manichéisme. Voilà ce qu'il nous faut assumer, même si cela nous paraît abstrus. Le nihilisme répond ici au parangon archétypal du "tout", paradoxe du chaos primordial, qui résonne en nous, telle une pierre philosophale !

    · Il y a environ 11 ans ·
    Icone avatar

    Paul Stendhal

  • L'impression d'entrer dans un labyrinthe. On s'y perd, on s'y retrouve parfois. Mais le voyage est agréable grâce à ta petite musique envoutante.

    · Il y a environ 11 ans ·
    Image 8 54

    hectorvugo

  • Moi aussi je n'ai pas tout compris mais j'aime ça aussi, saisir le sens d'un texte par petites touches et faire ma propre palette :)
    Quoiqu'il en soit, c'est assez impressionnant !

    · Il y a environ 11 ans ·
    20130820 153607 20130820153847362 (2)

    rafistoleuse

  • Echos d’écritures parcellaires où chacun-e se perd dans l'écho indivisible de l'inaudible. Echos en sourdine. Echo que je n'arrive pas à justifier par une écriture trop intellectualisée. Echos de ressentis sensibles et parfois invisibles à l’œil nu.
    Merci de vos commentaires qui me donnent une ligne plus perceptible de lecture... Merci vraiment

    · Il y a environ 11 ans ·
    La main et la chaussure

    Stéphan Mary

  • J’aime beaucoup ce principe d’évoquer ces différents "échos" un par un ! Surtout que tu es allé(e ?) chercher un peu en dehors des sentiers battus ! Bon par contre, Comme Octobell, j’ai un peu de réserve. J’avoue que j’ai quand même dû lire ton texte plusieurs fois… il demande vraiment de la concentration (et j’ai l’impression que quelques phrases m’échappent encore…). J’aime bien les images que j’ai cru saisir, mais je regrette que le tout ne soit pas plus "accessible".

    · Il y a environ 11 ans ·
    De grandes quantites de pluie vont tomber 150

    odepluie

  • Hummm je suis pas sûre d'avoir tout compris... Non, en fait je suis sûre d'avoir rien compris du tout. Mais la forme en elle-même représente-t-elle un écho ? J'ai l'impression qu'il y a plusieurs idées directrices dans ton texte, plusieurs "personnages", comme si à chaque répercussion de l'écho, c'était un nouveau concept qui commençait. En tout cas, ça me dépasse complètement et je crois que c'est bieeen trop abstrait pour moi. J'ai rien compris, oui, c'est sûr :/

    · Il y a environ 11 ans ·
    Logo bord liques petit 195

    octobell

  • "Artistiquement rien n'est à inventer tout a été écrit"!Cet écho musical,ces vibrations cosmiques même avec leur dissonances seraient donc là pour nos émotions terrestres? C'est comme toujours superbe!

    · Il y a environ 11 ans ·
    13335743 1312598225434973 3434027348038250391 n

    Colette Bonnet Seigue

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