Eclats
clemence-leasther
Mais pourquoi avoir choisi cette veste stricte ? Pourquoi ce soir ?
Elle avait disparu une semaine pour oublier les conflits et s’éloigner de la tension quotidienne. Elle voulait respirer sans culpabilité. L’annonce avait été brève et sans appel. Je serai de retour le 27 février. Il avait hurlé, tenté de la retenir, mais il n’avait aucune prise. Ses genoux avaient heurté violemment le sol. Elle avait souri, puis plus rien. Emilien s’était relevé, péniblement, il pleurait.
Les larmes avaient alors réveillé la sensation aigue d’une souffrance dévorante. Le souvenir amer d’une vie passée, les images fugaces d’une insouciance sereine, des regards, des paumes ouvertes,… à jamais perdus. La rupture l’avait brutalement enseveli.
A l’intérieur pas d’alcool. C’était la règle. Il avait du attendre le levé du jour et l’ouverture des portes pour dissoudre le mal.
Bien sûr, il avait fallu trouver une remplaçante. Un peu plus jeune, peut-être un peu plus belle, elle s’était glissée dans la place avec volupté. Elle était le point de mire qui scintillait dans le foyer.
Lui observait la prétentieuse qui profitait de l’absence. Il était distant, agressif dans ses mots et ses caresses. Il forçait son esprit à désirer cette nouvelle que l’éphémère réjouissait, mais chaque nuit il perdait le combat.
Le jour de son retour, il arriva en retard au rendez-vous. Il la découvrit souriante et grave. Les hommes la regardaient déjà avec envie. Elle portait une veste stricte qu’il ne lui connaissait pas. Et il ne fut plus tout à fait sûr que ce fût elle. Elle qu’il attendait depuis une semaine. Les images se superposaient, les traits se déformaient, les visages se heurtaient. Son doute devint une certitude empreinte de panique.
Cette vie rêvée entretenue à coups d’images et de mauvais vin se disloquait pour ne laisser que l’écho brutal du vide.
Il n’était plus capable d’aimer, ni le souvenir qu’il avait noyé dans l’oubli, ni le mirage romantique, le puzzle fragile qu’il avait élaboré depuis des mois. depuis toujours.
Plus personne à aimer
Un homme seul qui survit, c’est un insecte éphémère qui croit, derrière ses paupières closes, que le jour brille encore.
A cet instant, Emilien regarda l’obscurité.
Adeline, comme chaque soir, lut les titres qui défilaient sur le prompteur.
« La nuit dernière un homme de 41 ans, sans domicile fixe, s’est donné la mort dans un foyer d’hébergement à Toulouse. C’est le 15ème suicide d’un SDF en France depuis le début de l’année. Notre dossier reviendra sur les conditions d’accueil et d’accompagnement de cette population ».
En régie, on envoya les premières images pour satisfaire l’appétit hypnotique des téléspectateurs. Sur les écrans et les rétines s’incrustèrent la façade du foyer et la fenêtre par laquelle Emilien s’était envolé.
Retour en plateau. Plan serré sur Adeline.
Elle portait un chemisier violine légèrement décolleté (les résultats des études de satisfaction de la veille avaient condamné sa veste Lacroix).
La fin est extra ! T'assure grave !
· Il y a environ 14 ans ·Daniel Macaud
Je confirme : l'écriture me plait vraiment.Les thèmes développés me touchent beaucoup. Merci pour ce bon moment de lecture !!!
· Il y a environ 14 ans ·leo
Quand les détails importent plus qu'une vie humaine. Merci Clémence pour ce texte qui ne laisse pas le lecteur indemne.
· Il y a environ 14 ans ·bibine-poivron