Elle rêve d'un prince

Elle rêve d'un prince,

Qui n'aurait pas oublié les clefs de la voiture dans un avion ou un train,

Quelque part entre Lille et Marseille, tombées de ses mains,

Qui n'aurait pas laissé l'imperméable Armani gris qu'elle lui avait offert,

Sur le dossier du T.G.V. au-dessus des rails et du machefer.

Elle rêve d'un prince qui dirait,

"Ne t'inquiète pas ma chérie, je m'occupe de tout, la vaisselle,

Le RV chez le dentiste du petit dernier, les courses, les devoirs, laisse,...

Après je t'emmène sur mon tapis volant fonctionnant à l'énergie solaire,

Manger en haut de la Tour Eiffel, des beignets de langoustines en l'air,

De fleurs de courgettes ou d'oignons frits épicées si tu préfères".

Elle rêve d'un prince qui s'exclamerait:

"Ce n'est pas un problème, le manque de placards.

Je convoque illico un homme de l'art.

Les injecteurs de ton moteur sont encrassés?

Pas de souci, je vais en acheter d'autres avant de les revisser"

Elle rêve d'un prince qui, le soir, rentrant du bureau, serait souriant,

N'aurait eu aucune réunion prise de tête, aucun retard de train contrariant,

Aucun problème informatique, aurait bien mangé à midi, pas un sandwich

Ou un ignoble plateau repas, plutôt une tête de veau sauce Gribiche,

La prendrait dans ses bras, la faisant tourner comme un derviche:

"Qu'est-ce que tu es belle, qu'est-ce que tu m'as manquée,

Qu'est-ce que tu sens bon. Attends de voir comment je vais te croquer".

Elle rêve d'un prince orphelin dont il ne faudrait pas inviter la mère à dîner

Les jours de fêtes circonstanciées, entendre les remontrances susurrées,

Supporter les caprices déplacés, les dépenses inconsidérées,

Pour finir par appeler son banquier, chroniquement exaspéré.

Elle rêve d'un prince qui comprendrait son amour des plages bretonnes en février,

Dirait "Il pleut, il vente, juste 8°, c'est pas grave, tu es mon soleil, mon hâve,

Ma liberté sans entraves. Viens, on va au Cap Fréhel déguster un homard grillé.

Après on fera les zouaves, sous la couette, je serai ton esclave""

Elle rêve d'un prince nu sous un sarouel, rieur, joueur et détendu,

Qui n'aurait à coeur, que leur bonheur, bien entendu.

Donc elle rêve qu'elle joue avec Yul Brynner dans Le Roi et Moi.

Ce n'était donc qu'un rêve. L'acteur est défunt, le cinéma hollywoodien glamour

N'est plus joué que par des erzats de stars aux regards creux, vides d'amour,

Aux tignasses désordonnées, liftés, maquillés, aux airs balourds.

Ou alors elle avait rêvé de vivre avec un rentier amateur de gondoles,

Très disponible, ayant hérité du pactole d'un roi du pétrôle. 

Autre rêve. Les hommes normaux doivent travailler pour alimenter

Le compte tenu avec des élastiques par un banquier sourcilleux, payer

Les factures, les écoles, les impôts, les fringues, les vacances

Et toutes les charges à provisonner d'avance.

Elle se promet de rêver encore. C'était si bon. Elle continue d'adorer

Les mecs chauves, le homard, les fleurs de courgettes et les plats relevés.

C'est elle qui va organiser un dîner aux chandelles à la Tour Eiffel,

Parce qu'au fond, elle sait bien qu'elle l'aime comme il est, exceptionnel,

Que sa vie à lui n'est pas un rêve, le quotidien étant sans trêves, factuel.

Elle devrait bien pouvoir trouver un sarrouel. N'est-ce pas là l'essentiel?