éloge funèbre d'une bouteille de Whisky

charlie

Campbell,


Jamais, jamais je n’aurais imaginé que tu mourrais au bout d’un jour et que j’aurais à prononcer ton éloge funèbre. En réalité, on savait très bien que tu casserais ta pipe assez vite vu l’état de sécheresse qui habitait nos foies déshydratés au moment de ton achat.

 

Quand on t’interrogeait sur la mort tu disais : « elle arrivera à un moment où l’alcool coule à flot et où le besoin de boire l’emportera. J’aimerais mourir dans un irish coffee, sur les Highlands écossais, par un temps pluvieux… » Question météo, cher Campbell, tu as été exaucé. La pissée qu’on a essuyé hier en ton honneur était digne des plus grosses vessies des meilleures vaches normandes. Pour l’Irish coffee pardon, on n’est pas des tapettes à mélanger notre café avec de la chantilly non mais !

 

Au moment où la nouvelle de ta mort s’est répandue, il s’est passé au fond quelque chose d’étrange. Il y a eu comme un grand vide. Ce fut comme si chaque dijonnais découvrait brusquement à quel point l’alcool pouvait rendre con, surtout la nuit, surtout quand on confond ses cordes vocales avec une trompette un soir d’impro dans un bar de jazzmans.

 

Figure-toi, Campbell, que nous nous étions habitués à ton goût, à cette odeur de tourbe brulée qui envahissait nos gorges, à tes colères vicieuses et à tes effets dévastateurs sur nos plus vulnérables neurones.

 

Toi qui puisais dans la terre ta force pour nous y foutre (à terre), tu resteras comme le compagnon de nos soirées et de nos ivresses les plus inavouables (hein Greg !). Il t’arrivait parfois d’être mélancolique, jamais nostalgique, mais c’était seulement quand notre passion pour les breuvages puissants nous guidait vers des liqueurs plus claires et plus fruitées. Il faut dire que le Rhum fait aussi des ravages...

 

Tu aimais passionnément l’alcool et tu prenais grand soin de ne jamais en boire. C’est l’ironie de l’histoire, tu tombes la première et nous, bandes d’alcooliques (mais pas dépressifs), nous chercherons dès la prochaine soirée, une prochaine victime à compter dans tes rangs…

 

Alors, puisque tu es une parmi la liste de toutes les bouteilles que nous avons sacrifiées sur l’autel de la fête, de l’amitié et de la joie, pourquoi cette oraison funèbre qui, précisons le tout de même, est la première que nous faisons à une poupée de verre dans ton genre ? Parce que grâce à toi, nous avons vécu ce que nous ne vivrons jamais une deuxième fois. Et qu’au privilège de l’inédit, nous répliquons par celui du respect…

 

Qu’il nous soit permis de te dire toute notre amitié (même si c’est nous qu’on t’a bu).

 

Tu vas nous manquer.

 

Tu manqueras à chacun d’entre-nous.


Vive l’Ecosse.

Et vive la cirrhose.

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