Elyzabeth
janteloven-stephane-joye
Elysabeth, Babeth, Elysa, Lysa, Lysbeth, Elsa…elle ne savait même plus, par instants quel était son vrai prénom…lequel lui ressemblait encore, comme si elle ne savait plus qui elle était ou si elle l’avait déjà su, comme si sa vie lui échappait ou même qu’elle voulait s’en détacher, comme si, de toutes façons son existence n’était devenue que le fruit de ce que les autres avaient fait d’elle.
Une poussière d’or, une fleur d’impossible ou une peau de chagrin…voilà ce dont elle se souvenait… ce à quoi elle ne rêvait même plus…et pourtant, elle l’avait bien entendu, bien lu, ça n’avait pas été qu’un mirage, qu’une illusion, qu’une parenthèse dans sa vie trop bien taillée, trop bien organisée, rassurante, certes, confortable et sans soucis d’argent, mais dénuée de passion ou simplement d’amour.
A 34 ans, elle ne savait pas comment elle en était arrivée là, ou plutôt si, mais ne parvenait pas à se sortir de la torpeur, de l’anesthésie dans laquelle les oracles du pas-le-choix et du bon sens l’avaient plongée depuis près de 14 ans. Mais devait-elle s’en plaindre après tout ? Elle savait sa chance, son incroyable privilège de se trouver dans une situation que tant d’autres lui envieraient. Propriétaire à 27 ans, un métier qu’elle adorait, une famille généreuse, présente mais pas trop et le luxe de pouvoir s’offrir la plupart des choses qu’elle pouvait désirer, dans la mesure du raisonnable, il va s’en dire. Et puis, parfois elle avait ce don d’exagérer ou d’empirer les choses, de voir tout plus noir qu’il ne l’était ou plus beau, c’était selon l’humeur.
En ouvrant ses magnifiques yeux lagons et tandis que les premiers rayons du soleil se glissaient, bienvenus dans la chambre en désordre, depuis l’entrebâillement du volet qu’elle venait de repeindre en vert anis, , elle ne put s’empêcher comme trop souvent le matin de se demander pourquoi elle était là, dans ce lit, au côté d’un homme qu’elle aimait à sa manière, mais peut être plus d’amour, si cela avait pu être le cas un jour. De l’homme, du seul qui avait partagé sa vie, sa couche, la fin de son adolescence et qui l’avait accompagné dans sa vie de jeune femme, puis… de maman. Son mari, son meilleur ami sans doute aussi…enfin, cela n’était plus aussi vrai tant les conflits et les désaccords étaient devenus nombreux au fil du temps entre eux.
Son regard embrumé par les sommeils en retard fixait le trait de lumière, attendant qu’il vienne lentement se poser sur sa peau et la réchauffer en un point précis qui se déplacerait de son épaule à son poignet, pour finir le long de la couette qu’elle remontait jusqu’à son menton pour contrarier la frilosité de l’aube. Son voisin de literie dormait à point fermé et n’avait pas encore râlé sur le chat qui commençait à miauler pour crier famine un étage en dessous. Elle le regarda, sans mépris mais sans douceur particulière non plus malgré le fait qu’hier soir encore, ils avaient fait l’amour…presque par habitude, par goût pour le plaisir, mais peut être moins par désir l’un pour l’autre. Enfin, pour elle du moins car elle savait qu’elle avait toujours un corps et une sensualité à faire craquer n’importe quelle personne du sexe opposé, ce qui n’était pas son cas à lui. Pas qu’il n’était pas beau, loin de là et d’ailleurs il avait le charme des hommes plein d’assurance et sûr d’eux, de ceux que la vie avait gâté, choyé, jusqu’à l’indécence par moment, mais n’était pas à proprement parler une « bombe », contrairement à elle donc même si elle avait toujours refusé, autant par conviction que par coquetterie, de se considérer comme telle.
A peine 7h… qui pouvait bien se lever aussi tôt un dimanche après une semaine de boulot aussi intense ? Pas lui en tous cas. Mais pourquoi elle, pourquoi était-elle déjà prête à se lever, pour quelle raison, chaque matin depuis 14 ans, elle regardait ses mails à peine les yeux ouverts ? Qu’attendait-elle, elle la femme qui ne se reconnaissait même plus dans son prénom, dans son corps ou dans sa vie.
Parfois, elle parvenait à se rendormir d’autant plus qu’elle savait pertinemment que cela faisait plaisir à son compagnon. Il n’était jamais contre quelques caresses matinales et elle non plus d’ailleurs, même si elle devait bien l’avouer, son esprit vagabondait parfois vers d’autres torses, d’autres mains ou d’autres nuques. Oh, rien de bien répréhensible, il devait bien faire de même lui aussi et puis…qui n’a jamais eu ce genre de pensées après tout ?
Ce matin, le réveil n’avait pas encore affiché 7h13, qu’elle était déjà dans la cuisine en train de donner à manger à sa Dina, une petite chatte blanche, bagarreuse et sourde qu’elle avait recueilli quelques années plus tôt pour son plus grand bonheur, surtout si on mettait à part bien évidemment ses fameuses sérénades matinales et sa façon bien à elle, toutes griffes dehors de montrer sa reconnaissance envers sa maîtresse. Bien souvent, elle se retrouvait avec des traces de griffures sur toutes les jambes et les pieds, mais bon, au final ça lui importait peu. Longtemps, elle avait eu peur de tout et s’était cachée pour éviter le moindre écueil, le moindre risque, mais ce temps là lui semblait lointain tant elle avait dû surmonter de frustrations ou d’obligations une décennie plus tôt. Et puis, on changeait en devenant parent, inconsciemment, on apprend à moins s’écouter encore et tout se focalise sur son enfant laissant de côté les petits remords, les tracas du quotidiens ou les remarques blessantes qu’on ou qu’il pouvait avoir à son égard.
13… 7h13… un hasard bien sûr, mais un hasard et un chiffre qui lui chiffonnait toujours un peu le cœur. Son portable ne lui avait apporté que des mails attendus, des réponses, des saluts, des questions pour le boulot, des invitations par ci par là. Rien d’excitant, rien de neuf, rien pour accélérer son rythme cardiaque, pas de fleurs bleues, ni de mots plus tendres, ni de patronyme qui lui aurait rappelé en une fraction de seconde qui elle était, ce dont à quoi elle rêvait, ce que toute son âme avait toujours attendu et qui elle aurait voulu devenir.
Elle s’était oubliée, pour le bien de tous, pour le bonheur de tous, pour protéger les autres ou préserver l’équilibre, la stabilité, l’avenir familial, pour le sauvegarder lui, lui et elle aussi. Elle avait su faire ça et ne savait même pas où elle en avait puisé la force.
Parce que non, définitivement, ça n’avait pas été un manque de courage de mettre sa vie, sa personne, ses rêves de côté pour satisfaire ceux qui l’entouraient, pas un manque de caractère non plus…mais plutôt un incroyable don de soi, une générosité aveugle qu’elle paya au prix d’un océan de larmes cachées. Parce qu’elle était comme ça, et que si on faisait l’effort de passer au-delà de l’armure ou de la bulle dont elle s’habillait chaque jour et dont la beauté constituait une pare-feu supplémentaire, on découvrait une femme étonnante, pleine d’excès, mais silencieuse, d’une profonde gentillesse, mais cassante parfois, pleine d’humour mais qui était capable de ne pas sourire de la journée. Une femme au cœur d’or, trop grand même parfois pour elle, quelqu’un qui préférait toujours s’effacer que se mettre en avant alors que tout en elle attirait la lumière, une femme-fleur à fleur de peau, mais qui préférait taire ses douleurs, ses chagrins, ses doutes, ses peurs pour ne pas ennuyer ses proches. Une femme différente, capable d’égayer la plus ternes des journées ou d’assombrir la plus ensoleillées des matinées …et une maman d’exception aussi.
Son café était trop chaud, comme souvent, mais elle le tenait fermement car depuis quelques années, elle avait trouvé le moyen d’éviter les quelques catastrophes quotidiennes dont elle était coutumière. Etait ce le fait d’être devenue mère qui l’avait soudainement rendu plus adroite ou moins gauche, c’était fort probable, mais toujours est il que l’expresso qui se renverse sur le clavier de l’ordinateur ou sur ses pantoufles, et bien cela semblait être devenu de l’histoire ancienne permettant à son cher et tendre d’alimenter encore quelques moqueries lors des diners familiaux.
Elle s’en fichait bien, et même mieux, elle était la première à s’en amuser. Elle n’était pas la seule à être maladroite ou malchanceuse, elle avait presque connu pire qu’elle et ses souvenirs là, lui manquaient aussi.
Dans toutes ces absences, ses attentes, ses souvenirs, ses chagrins, elle avait laissé des morceaux d’elle, des parties de sa personne qu’elle avait sacrifiées sur l’autel de la raison…et si des années durant, elle avait su en faire fi, par moment et de plus en plus souvent elle ressentait le besoin de reconstruire le puzzle, le grand échiquier de sa vie, la mosaïque de son âme.
Et dire, qu’elle savait que quelque part, il avait au moins, au moins autant souffert qu’elle…
en voyage ou en retraite littéraire? J'espère que non.
· Il y a presque 11 ans ·elisabetha
...en retraite "temporaire" sans doute... mais parfois s'éloigner de ces "mots" est sans doute nécessaire... pour vivre d'autres maux parfois, c'est vrai...
· Il y a presque 11 ans ·janteloven-stephane-joye
Très beau texte, très bien construit, il y a effectivement matière pour une suite tout aussi passionnante que le présent texte.
· Il y a presque 11 ans ·valjean
Merci infiniment, la suite est en chantier...depuis si longtemps...
· Il y a presque 11 ans ·janteloven-stephane-joye
Comme tous, j'attends une suite :)
· Il y a presque 11 ans ·myos
Merci Myos, toujours aussi adorable et indulgent avec moi.
· Il y a presque 11 ans ·janteloven-stephane-joye
Un plaisir de lecture, un texte bien mené, s'oublier par choix des conventions peut-être ?? différences de milieux sociaux ?? le passé nous rattrape souvent !! Ce texte me parle beaucoup et il faut une certaine dose de courage pour vivre qui l'on est réellement, c'est si bon après !! Une suite j'espère ??
· Il y a presque 11 ans ·marielesmots
Merci beaucoup Marielesmots pour votre soutien et vos lectures... Je ne sais pas pour la suite, mais c'est adorable... Il es des choses complexes...
· Il y a presque 11 ans ·janteloven-stephane-joye
très beau texte, plutôt énigmatique en fait... :-)
· Il y a presque 11 ans ·moi, j'ai pensé à un drame vécu à 20 ans, tel qu'un avortement par exemple. Une suite serait la bienvenue!
Karine Géhin
Merci Karine, c'est gentil... mais je ne sais pas pour la suite...
· Il y a presque 11 ans ·janteloven-stephane-joye
une description fouillée qui ne peut rester sans suite ... je la réclame également ... une femme idéale ... voilà qui cache quelque chose . Tu n'es pas un adepte de la Lisse-Attitude ...
· Il y a presque 11 ans ·une question : dans la dernière phrase, le "il" c'est son mari ou au autre "il" ? Celui par qui la suite arrive ?
woody
...un autre, L'autre !
· Il y a presque 11 ans ·Merci beaucoup en tous cas pour l'appréciation et la demande de suite...
janteloven-stephane-joye
il y a une suite? Tu m'as dépassé dans la fouille psychologique. Je suis moins méticuleuse. Très beau style, portrait un peu trop lisse même si tu expliques bien qu'à l'intérieur c'est une rebelle. j'ai beaucoup aimé la phrase"la mosaïque de son âme".
· Il y a presque 11 ans ·elisabetha
Merci beaucoup Elisabetha. Là encore, je ne sais pas si cela amènera une suite ou pas...
· Il y a presque 11 ans ·janteloven-stephane-joye