Escapade à Disneyland

Caïn Bates

         Disneyland Paris, un parc d'attractions pour les enfants de tout les âges, une récompense pour les enfants, un paysage pour les couples et un plaisir coupable inavoué pour les adultes. Pourtant, je n'en ai pas vraiment gardé un souvenir joyeux.

           Alors voilà, il y a deux ans, mes potes et moi on avait essayé de rester dans le parc après l'heure de fermeture. Notre but était seulement de prendre des photos, rien de méchant. On voulait juste pouvoir dire qu'on l'avait fait, vous voyez?! On est simplement allés de WC en WC, de recoin en recoin, et on est arrivés à rester là jusqu'à ce qu'ils ferment les portails et que l'équipe de maintenance commence son travail. On a été vraiment surpris de ne pas se faire prendre; c'en était presque étrange quand on sait à quel point Disney prend à coeur la sécurité. Nos coeurs battaient comme si nous étions fous et on s'est assis là pendant un moment, cachés derrière une pierre tombale pas loin du Manoir Hanté. On a remarqué que c'était bien vrai: les noms de membres du personnel de Disney étaient gravés sur chacune d'elles. Donc, on a fini par prendre notre courage à deux mains et on est partis rôder aux alentours, en faisant toujours attention de ne pas se faire voir.
         C'était vraiment étrange, on croisait parfois un employé de maintenance ou un garde qui faisait sa ronde, et on se contentait de l'esquiver ou de se cacher à un angle. Ça a marché pendant une trentaine de minutes. Évidemment, on ne pouvait pas continuer ça éternellement, et oui, on s'est fait prendre. Je veux dire, ils nous ont félicités pour avoir tenté et réussi, mais l'histoire ne s'arrête pas là. La première chose qu'on a dit quand ils nous ont pris, c'était "Vous allez nous enfermer dans le donjon?!", et on s'est mis à rire. Le garde a rigolé aussi, on ne s'en sortait pas si mal. Il nous a dit qu'on n'était pas les premiers à essayer de s'introduire après la fermeture, mais il voulait savoir comment on y était parvenus. On lui a expliqué, et il s'est mis à rire en disant que ce n'était pas un mauvais plan.    
        Il devait nous emmener dans les cachots du parc pour une interrogation plus poussée, ce qu'on a trouvé étrange, mais on s'attendait depuis le début à ce que si on était pris, on atterrirait là-bas. C'était peut-être notre plan depuis tout ce temps, on voulait voir les "catacombes" plus qu'on voulait rester dans le parc hors des heures d'ouverture. Alors, il a appelé d'autres employés pour l'aider à nous escorter, et on s'est mis en route vers Toontown. Puis, nous sommes descendus dans un ascenseur qui chutait droit en enfer...

       La première chose qu'on a remarqué, c'était à quel point l'ascenseur semblait cher. Je sais pas si je me fais bien comprendre, c'est difficile à expliquer. L'intérieur était fait d'acier inoxydable, avec des miroirs sur chaque paroi et le plancher était recouvert d'une moquette rouge minable mais il avait l'air cher. Il n'y avait que deux boutons dans la cabine, sans compter les boutons d'urgence: "Montée" et "Descente". J'ai oublié de mentionner qu'ils ne nous ont jamais passé les menottes, ni attaché les mains. Ils ne faisaient que marcher à nos côtés, s'attendant à ce qu'on les suive, ces types semblaient sympas. Comment on aurait pu s'attendre à ce qui allait suivre?! L'ascenseur s'est arrêté et on a emprunté ce couloir immaculé qui embaumait la javel. Il n'y avait aucune porte de quelque côté que ce soit; un couloir entièrement vide et uni.
       On a marché pendant ce qui nous a semblé être une éternité, et plus personne ne parlait. Il y avait moi, mes amis, le gardien et deux autres agents de maintenance. Finalement, on a atteint une lourde porte métallique munie d'un code d'accès et d'un lecteur de badge. Un des employés y a glissé sa carte; l'autre a tapé le code sur le clavier. J'ai vu les nombres qu'il avait tapés: 121566*. Si je m'en rappelle encore, c'est que j'ai découvert plus tard à quel point ces chiffres étaient chargés de sens et quand j'y repense, ça me fait rire. C'est vraiment étrange que j'arrive à rire de ça en y repensant...

      Ils nous ont conduits, moi et mes amis, vers un autre corridor. Celui-ci avait plusieurs portes aménagées de chaque côté. Chaque porte avait une petite fenêtre de plexiglas de 25 centimètres de côté, en haut à droite. On aurait dit le service de psychiatrie d'un hôpital pour être honnête, même si ça lui donnait des allures de prison. On est arrivés à la salle 1901, et il s'y trouvait un unique bureau avec trois chaises apprêtées pour moi et mes deux amis. Ils nous ont laissés seuls ici, fermant la porte derrière eux. On s'est assis sur les chaises comme des gamins obéissants et on a attendu leur retour mais ils ne sont jamais venus. On a patienté presque deux heures, on a vu personne d'autre. Tom s'est approché de la porte et, curieusement, elle n'était pas verrouillée. Il ne l'a pas ouverte cependant, il craignait qu'il y ait un garde dehors et qu'il pense qu'on cherchait à s'échapper. On ne voulait pas chercher plus d'embrouilles alors on a laissé passer encore genre 25 minutes mais on commençait vraiment à s'impatienter et on a finalement décidé de sortir.

        Le couloir était aussi vide que tout à l'heure. Aucun signe de vie, rien. On a commencé à appeler: "Ohé, y a quelqu'un?!". Personne n'a répondu à nos appels. Nous avions remarqué que des caméras de surveillance étaient placées au-dessus de chaque porte, et on s'est demandé s'il y avait la moindre âme qui vive dans cet endroit. On aurait dû partir sans hésiter mais encore une fois, comment on aurait pu savoir à ce moment que c'était le mieux à faire?! Toutes les portes se ressemblaient et toutes portaient un numéro propre.
       Ils n'étaient pas dans l'ordre, les nombres étaient dispersés. Par exemple, notre cellule était la salle 1901, mais la porte suivante portait le numéro 1205. On y a un peu réfléchi et on a fini par supposer que les numéros étaient attribués au hasard. On marchait le long de ce couloir sans vraiment savoir où on allait, ce qu'on espérait trouver ou simplement si ça avait de l'importance, Ju a décidé qu'on devrait juste partir. D'après elle, s'ils avaient vraiment besoin de nous ici, ils seraient revenus, c'était peut-être juste une tactique pour nous effrayer. Ils voulaient sans doute juste nous faire croire qu'on avait été arrêtés, et ils nous attendaient dehors en rigolant. J'étais vraiment las de tout ça. Tom, lui, était resté calme pendant tout ce temps, se contentant de hocher la tête de temps en temps. Il était plus intéressé par les petites fenêtres qu'il y avait dans le coin des portes. C'était pas une bonne idée, j'ai essayé de lui dire, bien sûr, mais on n'écoute pas sa raison quand on flippe comme on flippait à ce moment et là, on flippait à mort.
      Les caméras au-dessus des portes avaient un système de détection de mouvement, et suivaient nos errances à travers le couloir désert. Une petite lumière rouge en-dessous de l'objectif, qui clignotait chaque seconde. On n'entendait pas un bruit, seulement notre respiration. Puis, c'est arrivé, on avait atteint le bout du couloir. Malheureusement, la porte avait un autre code. J'ai essayé celui d'avant (celui que je les avais vu entrer tout à l'heure) mais il était invalide. À ce moment précis, les lumières se sont éteintes et on a entendu les portes... 
       Bon dieu, je les revois encore aujourd'hui. Ces putain de portes se sont ouvertes. Toutes alignées le long des murs, elles ont produit un grincement puis un grand fracas quand elles heurtaient avec force le mur derrière elles. Comme je l'ai dit, après avoir tapé le mauvais code, les lumières se sont éteintes et les portes se sont ouvertes, sauf celle avec le code. On avait aussi remarqué qu'au moment de l'ouverture, un peu de lumière s'échappait par les portes. On est restés là, abasourdis, pendant cinq bonnes minutes sans savoir quoi faire. On a supposé qu'on venait d'enclencher une alarme et que c'était juste le protocole. Une manœuvre normale en cas d'évasion (qu'est-ce qu'on était supposés penser?!). Alors on est retournés sur nos pas en s'éloignant de la porte verrouillée. Pour une raison ou une autre, on s'est mis à paniquer, et on a été pris d'une envie de courir. On ne s'est pas concertés; c'était comme si, à ce moment précis, on avait tous su qu'on devait le faire, l'instinct. Comme un bébé gazelle qui sait quand fuir le lion. On était dans la tanière d'un lion d'ailleurs.
       On n'a pas commencé à regarder par les portes avant d'en avoir dépassé une dizaine. Devant chaque ouverture, se tenait un personnage en costume. On a couru devant des Donald, des Mickey, des Dingo, des Pluto, et tous les autres personnages de Disney. C'était dément, et on a crié aussi fort que nos poumons le permettaient. Je sais ce qu'on dit, "Ne regarde jamais derrière toi quand tu cours", mais je l'ai fait. Ils quittaient leurs cellules, et nous suivaient! Ils ne couraient pas, ils se contentaient de marcher nonchalamment. C'est ce qui rendait ça encore plus terrifiant presque comme s'ils savaient qu'on avait nulle part où aller... Aujourd'hui, je me demande si tout ça n'était pas dans ma tête, juste à cause de la peur et de la pure panique qu'on vivait à ce moment, mais je jure, je le jure sur la vie de ceux que j'ai de plus cher, que j'ai entendu se jouer "It's a small world" à travers un interphone. J'ai une grande peur des poupées, l'attraction m'a toujours effrayé. Et maintenant je les voyais, les petites poupées mécaniques, se tenant dans l'encadrement des portes alors qu'on passait. Les personnages en costume nous suivaient toujours. Les poupées ne nous pourchassaient pas, Dieu merci. Je crois que j'aurais fait une attaque si je les avais vues suivre l'escorte.
        Ça n'arrangeait pas tant que ça les choses. Je veux dire, combien de fois avez-vous été suivi par un groupe de gens costumés, apparemment disposés à vous dévorer vivants?! (Du moins, c'est ce que je me disais pour me persuader de continuer à courir. S'arrêter signifiait se faire dévorer par un putain de Donald Duck. Je sais pas pour vous, mais c'est pas comme ça que je veux mourir.) Tom pleurait, Ju transpirait et respirait fort, j'ai tourné la tête pour voir si on était toujours suivi. Bien sûr, qu'on l'était. Je ne suis plus sûr de combien de portes on avait dépassées à cet instant ou s'il y avait vraiment un personnage différent devant chacune, mais je savais que ce couloir avait une fin et on allait sortir de là rapidement. Plus facile à dire qu'à faire...
       Après une ou deux minutes de course, j'ai à nouveau regardé en arrière et j'ai vu qu'on ne pouvait plus rien voir derrière nous. J'entendais toujours le bruit de leurs pas, mais je suppose qu'on était trop loin pour les voir et qu'ils continuaient de marcher normalement. Le couloir se poursuivait sur ce qui semblait être une éternité et Ju a eu besoin de s'arrêter ou il allait tomber d'épuisement. La porte à côté de nous était ouverte, lumière allumée mais rien dans la pièce. J'ai décidé qu'on se cacherait ici le temps qu'on reprenne notre souffle et qu'on puisse continuer à avancer.

      Alors qu'on fermait la porte derrière nous, j'ai remarqué qu'elle portait le numéro 1966*. Encore une fois, ça ne nous évoquait rien à ce moment. Tom arpentait la pièce, Ju était allongé par terre, respirant toujours aussi fort et j'étais à la fenêtre. Je ne voyais rien dehors. Plus de musique, plus de poursuivants,  plus rien.  Il faisait sombre dans le couloir et c'était difficile d'en être sûr mais, je suppose que j'aurais pu voir des formes, des ombres, n'importe quoi, je continuais à regarder.
      Après de longues minutes, ju nous fît savoir qu'elle était prête à repartir. Tom était le seul parmi nous assez malin pour sortir son nouveau smartphone; aucun signal, évidemment. Il a ouvert la porte lentement, précautionneusement, mais on n'entendait aucun bruit de pas. Plus rien ne nous suivait, mais on a pris le risque. On s'est remis à courir. Ça ne nous a pris bien longtemps pour atteindre la porte. Elle n'avait pas de code, et elle était ouverte. On est entrés dans le corridor d'avant et, Dieu merci, il n'y avait aucune porte. On a couru jusqu'à l'ascenseur. On a pressé le bouton "Montée" et on s'est regardés, encore éberlués par ce qui venait de se passer. Aucun de nous ne parlait. On a juste attendu jusqu'à ce que la porte s'ouvre, on est retournés à Toontown et on a commencé à se diriger vers le portail principal.
       On a fait profil bas, utilisant la même technique d'esquive qui nous avait amenés ici. Les employés de maintenance et les responsables de sécurité étaient toujours là, mais on ne pouvait pas attendre plus longtemps. Finalement, Tom n'a plus tenu et est parti en sprintant. Je ne voyais pas ce qui avait pu le mettre dans cet état jusqu'à ce que je voie que tout le monde dans le parc était immobile, nous fixant, le visage blême. La voix dans les haut-parleurs disait que trois fugitifs s'étaient échappés et devaient être raccompagnés à leur cellule. On a immédiatement rattrapé Tom. Des personnages en costumes ont jailli des ombres, des employés et des gardes derrière eux. Tout le monde nous courait après! Je n'y voyais pas clair, mais je pouvais imaginer la bave dégoulinant de leurs gueules. Ils voulaient qu'on retourne là-dessous. On s'était échappés, et ils étaient furieux. Le portail était si près... 
          Le plus effrayant dans tout ça, c'est qu'on n'entendait rien à part la voix dans l'interphone. Aucun bruit de fond, aucun son de la part des employés, même maintenant alors qu'on courait apparemment pour nos vies. Les personnages, les employés, les gardes, aucun d'entre eux ne nous adressait le moindre mot, aucun ne criait, aucun ne nous disait de nous arrêter. Rien que le bruit de nos pas et, parfois, Ju qui suffoquait. Même après qu'on soit arrivés à passer le portail principal du parc, on a continué à courir jusqu'au parking. La voiture n'était plus là, et on était plantés là sans savoir quoi faire.
         On a continué à pied sur la route, pendant des kilomètres, en s'arrêtant parfois pour reprendre notre souffle. On a continué jusqu'à atteindre une petite station-service, où Tom a réussi à appeler un taxi. Il nous a reconduits à l'hôtel où on dormait, on a payé la course et chacun est retourné dans sa chambre.

     Finalement, le lendemain, on a reçu un appel du bureau d'accueil de l'hôtel et on s'est présentés en bas. Il y avait des officiers de police qui nous attendaient. Ils nous ont dit que notre voiture avait été mise à la fourrière et on a dû payer l'amende. Ils ne nous ont rien demandé de plus, et on ne s'est pas embêtés à dire à la police ce qui nous était arrivé hier. Même maintenant, des gens qui n'ont aucune raison de ne pas me croire continuent de le faire, alors comment le pourrait un homme de loi?! On les a pas ennuyés avec ça. On a juste payé l'amende, et on est rentrés chez nous. Pendant tout le trajet de retour, personne n'a parlé de ce qui s'était passé. Ce n'est que deux semaines après que je me suis mis à chercher les numéros dont je me souvenais. Simple curiosité, je suppose.

 

        Comme vous le savez sans doute, Walt Disney est né le 5 décembre 1901. La chambre où on se trouvait était la 1901, et celle d'à côté, la 1205. De plus, il est mort le 15 décembre 1966*, ce qui était le code que l'employé avait entré pour nous conduire dans le couloir principal. Quelle étrange coïncidence, je me suis dit. Est-ce que tout ça est bien vrai, je n'en sais rien. Peut-être que c'était juste notre imagination. Nous étions fatigués. Il était à peu près 1h du matin quand on s'est échappés. Alors c'est possible que ce soit ça. Il n'empêche, je n'oublierai jamais ça. Je n'y suis plus retourné depuis.

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