Hoquet

Apolline

Retourner à la lumière et y rester, oui ! C'est possible. Mais c'est plus fort qu'elle. Se mêler dans d'autres lieues, se frotter aux siens, les observer, les entendre, il faut qu'elle trempe dedans. À tout prix ! À tout prendre ! À tout capter !

Ce soir, Elle a décidé de s'introduire encore une fois dans une soirée festive. Comme si elle n'en avait pas assez fait. Comme d'habitude, les hommes matent les femmes et les femmes s'observent en déroulant leurs cils. Les rires s'installent, les mots fusent dans les retrouvailles, suivis de la météo, de l'apéro sans eau. Et puis débarquent enfin de bons petits plats dégustés en évoquant systématiquement en même temps d'autres mets et recettes sans trop savoir finalement si c'est bien l'aliment qui fait saliver sur le moment. Ne pas oublier de lancer des sujets noirs d'actualité et se répéter encore et encore des faits passés. Ensuite, re trinquer. Cette fois, à l'espoir, une mise en bouche qu'on appelle le trou chez les normands et puis l'espoir, juste en ouvrant la bouche, ça ne mange pas de pain, ça fait vivre… Allez, hop hop, débouchons d'autres pinards et faisons tourner les joints, ça, ça fait du bien.  Après tout, le présent, le maintenant, le carpe diem déployé en panoplie de survie, pourquoi se mettre dedans ? Mais quoi ? D'abord pour se mettre dedans, encore faut-il l'apprendre, le saisir et surtout pratiquer le mouvement…

Tel un paquebot : Se poser ensemble à l'intérieur. Suivre le flot, se laisser porter par le plafond de l'instant, lire la couleur de la vague, la décrire au gré d'un simple sourire, du désir, du rêve, écouter le souffle du vent qui murmure à volonté et se répand à toutes les attentions. Goûter le plaisir de l'instant, ne faire qu'un avec lui. Se bercer, confiants et bienveillants.

Elle, elle ne répond qu'à ce voyage de saveurs mais seulement dans sa tête. Sa voix a fait naufrage depuis longtemps. La diction s'embarque en elle pendant que l'addiction l'a soulève, malgré elle, pour être là, à sucer le courant dispersé, autour de la table agitée. Ses grands yeux qui naviguent pour chacun, pour chacune. Parfois, elle fait marcher ses mains et discrètement, titube de sa plume dans ce paquebot de gens de la vie. Avec leur partage qui parait les maintenir dans une sorte de coton chlorophylle, où l'air soi-disant se veut frais et régénérant.     

Mais force est de constater que le partage ne représente souvent que des oppositions, un ensemble de jeux de pouvoir au sein desquels il importe plus d'imposer ce qui ils sont, dans l'image qu'ils se donnent, qu'ils cachent, qu'ils masquent. Mais qui sont-ils réellement au-delà de leurs titres, leurs fonctions, leurs vocables, leurs éducations ? S'ils devaient se révéler, que diraient-ils vraiment pour partager ?

Voici déjà un Hic qui se complique…

Le dessert est arrivé. Les rires se déchainent. Les dialogues se déhanchent. Puis ça y est, on n'y est ! Le gras, le lourd s'acheminent dans des discours de blaguouses version basse-cour. Ça ne vole plus du tout très haut ! Le chant de la volaille est lâché. Le dimorphisme sexuel s'expose plus ou moins marqué d'abord par les mâles : leurs sexes se sont infiltrées sous leurs langues et les voici qui s'en servent à toutes les sauces pour faire rigoler l'assemblée. Les seins des femelles partent au quart de tour et se gaussent, décolletés droits devant.  Même cette paire de nénés arrivée très serrée à l'entrée, (une fan de chest press OU utilisant l'outil de resserrage parce qu'il faut bien s'imposer) va jusqu'à tambouriner volontiers l'épaule du voisin en matant son homme en face. Lui, il louche sur les cuisses de sa voisine qui tire sur sa jupe en raillant qu'il serait bon d'attaquer. .. le dessert quoi. Mais l'émeute se poursuit. Les commentaires machistes et misogynes vont bon train. Sans se démonter, les cuissardes se sont encastrées aux pieds des femmes, l'épée brandie dans la main. La guerre des sexes est déclarée. Une fois de plus. Comme d'hab ! Au cœur même de la souffrance du genre ! Depuis la nuit des temps, le monde plonge dedans, ignorant l'impact de ce cataclysme à figure satanique.  

Voilà donc un autre Hic, celui-là méga toxique. 

Elle en est où Elle ? Ses oreilles bourdonnent. L'ambiance cocotte fort dans son nez. Puis, les mains devant sa bouche, ses yeux se fendent et se figent sur le fameux dessert couleur blanc bec qui se dresse : une omelette surprise… Oh om om….Tout est chaud à l'extérieur. Tout se glace à l'intérieur. Elle ne sait plus où en donner de sa tête. C'est alors que le hoquet se plante dans son gosier. Hic ! Hic ! Comment sortir de ce paquebot ? Elle voudrait vomir, hurler, vomir, encore hurler. Ah Dieu du ciel, arrêtez ce carnage qui fait rage !

Retourner à la lumière et y rester oui ! C'est possible. Alors elle ferme les yeux, très fort. Un nuage noir menace l'horizon. Un verre claque, l'ampoule du plafonnier grésille, le filament craque. Elle a tellement envie d'allumer la brèche. Une pile de livres posée dans la scène se renverse. Elle a tellement envie de communiquer. La pluie s'abat, vertigineuse. Elle a tellement envie de pleurer. Le chat bondit et miaule à la fenêtre. Elle a tellement envie d'aimer. Mais QUI pourrait la voir, l'écouter, la prendre dans ses bras si elle continue d'être illisible pour certains, invisible pour d'autres ?

Une flamme clignote à l'allure d'un gyrophare. Le paquebot va s'incliner. L'équipage va changer. L'océan va se calmer. Voguer jusqu'à son phare n'est plus très loin. Le message est clair : change de voie, change de cap. VA,VA,VA, et puis hic, okay, hic, c'est vrai : « on ne fait pas d'omelettes sans casser d'œufs ».  


(Texte protégé)

  • ça tangue et ça grince...
    Ta plume est de plus en plus juste!
    Une pensée.

    · Il y a presque 10 ans ·
    Un inconnu v%c3%aatu de noir qui me ressemblait comme un fr%c3%a8re

    Frédéric Clément

    • Merci Frédéric, pour ton apparition ici justement...

      · Il y a presque 10 ans ·
      Ange

      Apolline

  • Coucou Apolline. C'est incroyable, j'ai l'impression de relire les fêtes galantes du grand Verlaine, revisitées par la non moins grande Apolline. Bravo !

    · Il y a presque 10 ans ·
    Mouette des iles lavezzi orig

    valjean

    • Ö cher Ami :) "Vos" remarques sont élogieuses !!! "Vous" m'en voyez radieuse :))

      · Il y a presque 10 ans ·
      Ange

      Apolline

    • Vos rendre radieuse, me rend radieux, chère Apolline

      · Il y a presque 10 ans ·
      Mouette des iles lavezzi orig

      valjean

  • Elle est tout simplement belle...

    · Il y a presque 10 ans ·
    Philippe effect betty

    effect

    • Je te salue et ponctue : c'est possible ! :) Amicales pensées à Lilie ;)

      · Il y a presque 10 ans ·
      Ange

      Apolline

  • J'ai collé à tes mots, tes sensations, tes analyses, tes regards, tes saveurs. Super. Je dois cependant avouer que je me suis arrêtée avant la fin, car j'ai besoin d'absorber peu à peu pour mieux en profiter. Je finirais donc demain. Mais comme dit Steph c'est assez génial. Dense, si dense!

    · Il y a presque 10 ans ·
    Bbjeune021redimensionne

    elisabetha

    • J'apprécie tous les tiens (mots) qui s’enveloppent dans la soie de toi. Elisabetha, tu danses aussi sûrement :)

      · Il y a presque 10 ans ·
      Ange

      Apolline

    • merci de ton ressenti.

      · Il y a presque 10 ans ·
      Bbjeune021redimensionne

      elisabetha

  • Carpe diem..

    · Il y a presque 10 ans ·
    Chat perch%c3%a9

    Chat Perché

    • La carpe est d'ac Ö d'ac !

      · Il y a presque 10 ans ·
      Ange

      Apolline

  • Voilà le hic!!!! texte plein d'émotion!!! Que passa? Kiss

    · Il y a presque 10 ans ·
    One day  one cutie   23 mademoiselle jeanne by davidraphet d957ehy

    vividecateri

    • Le hic provient d'un point de côté, je crois....Un kiss entre deux... ;)

      · Il y a presque 10 ans ·
      Ange

      Apolline

    • Hic too!

      · Il y a presque 10 ans ·
      One day  one cutie   23 mademoiselle jeanne by davidraphet d957ehy

      vividecateri

Signaler ce texte