J'ai rêvé d'un petit chez nous
enzogrimaldi7
La maison serait pleine de roses et de guêpes, comme je t'y aimerais. Tu aurais l'ombre des noisetiers sur ton visage, puis nous mèlerions nos bouches cessant de rire pour dire notre amour que l'on ne peut pas dire et je trouverais sur le rouge de tes lèvres, le goût des raisins blonds des roses rouges et des guêpes. Francis Jammes.
En Occident, les menaces de famine sont écartées depuis quelques lustres. La guerre n'est plus d'actualité, les épidémies n'ont plus cours (si elles reviennent c'est que l'homme l'aura voulu) et l'Europe devrait démultiplier les possibilités d'emploi.
La Femme, enfin libérée du joug familial, s'est émancipée, et son rôle dans la société s'est accru réduisant les inégalités à grands coups de talon aiguille, à la vitesse du TGV.
Bien que les modes de déplacement et de communication aient explosé, une tendance à l'uniformisation s'instaure: certaines compagnies détiennent un curieux monopole aux allures de dictat qui leur permet de créer de toute pièce des artistes de pacotille.
Quand on détient à la fois les sociétés qui engagent ces pseudos stars, les studios d'enregistrement et les voies de diffusion (media, magasins), il est facile d'imposer son auguste déjection.
Et si les autres ne sont pas interdits à la vente, il faut les acquérir sous le manteau, dans des distributions parallèles aux moyens limités. Des milliers d'excellents musiciens restent de parfaits inconnus pour le grand public.
En matière de cinéma c'est la même chanson: il faudrait d'ailleurs cesser d'appeler cinéma certaines coûteuses productions dont le but n'est autre que le divertissement, à des années lumières de l'Art, faisant injure aux vieux réalisateurs alors que ceux-ci n'espéraient que l'ombrage de leurs successeurs.
Certains domaines artistiques conservent leur inviolabilité car moins médiatiques: théâtre, peinture et danse, malgré quelques comédies musicales au goût douteux et un art dit contemporain non moins ambigu.
Quant au sport, il est inutile de s'attarder sur les méfaits de l'argent dans le monde du football devenu corrompu.
Le défi de l'Homme aujourd'hui est de conserver son essence dans un environnement de moins en moins naturel: on pense ici à une Méditerranée qu'étouffe le plastique.
Et son rêve est d'essayer de construire quelquechose avec quelqu'un à l'écart de cet étrange univers sale aux allures Sin Citynesques.
* * *
J'ai rêvé d'un petit chez-nous On s'y aimait comme des fous
Un petit nid d'amour douillet On y mettait tous les objets
Notre repère à nous, secret D'un bonheur non prémédité.
Pour lui le bonheur c'était d'écouter du Flamenco en buvant du tinto et en se régalant de quelques tapas. Certes il aimait aussi laisser aller son regard sur les beautés qui s'essayaient à la danse. Son coeur s'emplissait de joie à leur vue, grisé par les notes virevoltantes du brillantissime guitariste.
Professeur de Lettres à la Faculté d'Aix, il partageait sa vie entre enseignement et écriture, sans oublier sa passion pour le cinéma, son goût pour la peinture et la musique qui l'accompagnait chaque jour.
Ses derniers travaux portaient sur une étude de Catulle, le célèbre et controversé poète latin dont l'oeuvre sentait la poudre et le foutre.
Elle ne s'autorisait que quelques rares écarts: son art ne lui permettait aucun faux-pas. Etoile à l'Opéra National de Marseille, sa vie était réglée au pas de danse. Noureïev était son maître, elle était à l'affiche de son adaptation posthume de Romeo and Juliet.
C'était une très belle jeune fille, fine, féminine à l'extrême, parfois fragile souvent énergique. Elle adorait regarder les gymnastes olympiques, perfection oblige. Mais le soir, ses fantasmes l'emportaient dans quelques cafés enfumés où jazz et ténébreux musicos faisaient leur loi. Il y avait aussi un talentueux écrivain qui ne cessait de lui mirer sa nuque que découvraient ses cheveux si fémininement attachés.
Ils se sont rencontrés un soir printanier à Marseille. Il y avait un ‘tablao' rue Consolat chez La Rubia, célèbre antre du flamenco phocéen. Il était en retard comme toujours, seul comme souvent. On l'installa près de la table de la demoiselle. Il renversa la carafe de sangria en voulant la servir ce qui la dégrisa. Il déclama sur le champs quelques vers antiques évoquant Bacchus qui l'amusèrent beaucoup.
Plus tard au Pelle Mêle (où le jazz prend ses aises), il fut intarissable sur ce grand 19ème siècle d'écrivains. Elle en loua les musiciens. Il decida d'être sobre en matière de peinture mais ne put que s'épancher lorsqu'elle osa aborder le chapitre cinéma.
Puis la conversation prit un autre ton lorsqu'ils se retrouvèrent une semaine plus tard près des barques du Vallon des Auffes, ce minuscule port situé à l'entrée de la corniche Kennedy, désormais leur demeure.
Leur regard se perdait dans les eaux troubles qu'ils transformaient en source limpide, rien ne semblait résister à la force de leur fusion: deux sensibilités à fleur de peau s'étaient enfin trouvées après s'être longtemps cherchées.
Quelques années ainsi s'écoulèrent durant lesquelles ils visitèrent tous les théâtres antiques et assistèrent à tous les concerts de piano: ils tombaient dans les clichés. Et comme rien ne dure, la jeunesse s'éloigna, l'idylle s'essouffla.
Ils comprirent que l'essentiel se trouvait ailleurs. Leur carrière respective était faite. Le réchauffement climatique les incita à chercher la fraicheur au nord. Plus rien ne les retenait ici-bas, pas même leurs enfants, devenus grands. Ils eurent vent d'une bicoque en bord d'océan. La retraite avait sonné. Cette presque ruine, c'était leur salut.
On dit que les soirs de pleine lune, les rares promeneurs peuvent entendre quelques notes d'un piano désaccordé, et le chant profond de deux voix claires comme une fontaine que porte l'air marin, par delà les rochers, jusque dans les oreilles des sourds.
2006/2018
https://www.youtube.com/watch?v=_D-N7d1yqb8
De toute beauté, leurs cœurs se sont compris... Quelle richesse plus grande peut alors être espérée? Une bicoque, leur palais...
· Il y a plus de 6 ans ·gone
Une bicoque dans un dêcor grandiose vaut mieux qu'un duplex dans les repères de trous à rats que sont devenues les villes.
· Il y a plus de 6 ans ·enzogrimaldi7
Mille fois! J'adore les bicoques... elles sont pleines de merveilleux souvenirs! Nous avons eu notre bicoque, et dieu sait combien nous y avons été heureux!
· Il y a plus de 6 ans ·gone
Très bien.
· Il y a plus de 6 ans ·unrienlabime
Merci.
· Il y a plus de 6 ans ·enzogrimaldi7
Merci... Je relis ce texte qui me transporte. C'est lui qui est pur.
· Il y a plus de 6 ans ·Sy Lou
Je suis émue à la lecture de cet écrit nimbé de mélancolie, de douceur triste.
· Il y a plus de 6 ans ·Sy Lou
Alors, c'est que votre âme est pure.
· Il y a plus de 6 ans ·enzogrimaldi7
Touché ! Je ne sais pas si je suis habité mais je prépare ma retraite en recherchant une petite maison loin de tout ce vacarme nauséabond. Une maison en Autarcie, pays de mes rêves :o)
· Il y a plus de 6 ans ·daniel-m
Autarcie, Alecart, Loindici, Auloin, Horschamps: le continent libre. Merci à vous.
· Il y a plus de 6 ans ·enzogrimaldi7
Quand deux êtres souvent habités, partagent l'intellect , les arts divers ,.. .les sentiments... ils ne peuvent que s'élever , s'enrichir mutuellement ... tres jolie fable narrée avec talent, merci Enzo
· Il y a plus de 6 ans ·marielesmots
Merci. J'ai essayé d'éviter les clichés sans toutefois y parvenir tout à fait. Mais le message, je vois, est passé. Après tout, c'est l'essentiel...
· Il y a plus de 6 ans ·enzogrimaldi7
pas d'époque pas d'âge pour rêver ...
· Il y a plus de 6 ans ·Susanne Derève
C'est votre devise.
· Il y a plus de 6 ans ·enzogrimaldi7