Je l'aime, Maman.

Myo'

Maman, ça me donne envie de vomir, tu sais.

Maman, tu m'as toujours dit que l'amour était beau. Tu me lisais ces contes où des filles démunies devenaient de grandes princesses grâce à l'amour. Ta voix dansait, illustrant à merveilles ces histoires et tu me chuchotais qu'un jour, j'en vivrais une. Tu aimais scander que la vie était belle et que l'amour était son fruit le plus sublime. Et tu riais, Maman.

Tu avais raison, Maman. Je suis tombée amoureuse, mais je ne suis en rien devenue une princesse. Je suis pire que toutes ces pauvres filles, Maman.

Comment j'ai pu en arriver là, Maman ? Dis moi, qu'est-ce qui a déconné ? L'amour, c'est censé être facile, non, c'est bien ce que tu chantais ?

Il faut voir comment elle me regarde, Maman. Avec son air satisfait et ce sourire aux lèvres. Je n'en peux plus, elle me transforme en cannibale. Je veux la dévorer, Maman, tellement elle est belle, mais c'est elle qui me bouffe, elle détruit mon âme avec sa bouche en cœur et ses petites dents. 

Un jour, elle m'a jugé du regard, puis à décrété que j'étais grosse. Je ne mange plus, Maman. On voit mes os se dessiner sous ma chaire. Ce n'est pas assez, Maman, ce ne sera jamais assez. Je veux qu'on puisse les effleurer, qu'on puisse saisir leur beauté en un regard. Ils sont si purs, Maman, tellement purs. Il n'y a que ça d'innocent chez moi, hein, Maman ?

Maman, je suis si blême, on croirait une malade. Mes cheveux me semblent mornes, on croirait qu'ils sont morts, Maman. Tu serais heureuse, de les voir sans artifices, ça te ferait plaisir, j'en suis sûre. Tu sourirais Maman, de ton sourire trop large qui te mange le visage. Moi, ce sont les cernes qui me mangent les joues, Maman. 

Je ne vais plus en cours Maman, je ne sors plus. J'ai abandonné mes amis Maman, et ils n'ont même pas protesté. Je me fous de tout ça, je me fous des gens et des vies qui s'éteignent à la télé. J'en ai même oublié la cruauté du monde, Maman. Il n'y a plus qu'elle. C'est suffisant, Maman, bien trop suffisant.

Elle me laisse la journée et rentre la nuit en chantonnant. Le parfum sur sa veste change à chaque fois. Elle me regarde et me chuchote que je suis belle. Puis, elle s'agenouille, elle m'embrasse en effleurant mes tatouages du bout des doigts. Quand elle fait ça, elle me transforme en œuvre d'art, Maman. Elle me donne l'illusion d'être importante. J'aime quand elle me susurre ses doux mensonges, ses fausses promesses. Et toujours, elle repart. Ça me fait peur, Maman, j'ai toujours l'impression qu'elle ne reviendra pas. 

Je reste dans l'appartement, Maman. Je suis ivre et droguée en permanence, mes tympans saignent sous la musique trop forte. Je déteste ça, Maman, mais j'en ai besoin. Je ne veux pas entendre l'innocence de mes pensées, ça me détruirait. Je rêve de me noyer dans ma douche, Maman. Je passe des heures à regarder mes poignets, à me demander à quoi ça ressemblerait de se les vider. 

Maman, j'aime quand elle rentre et son visage qui s'illumine à la vue de ma détresse. J'aime quand elle soupire et quand elle me prend dans ses bras pour me cajoler en chuchotant que ça va aller, qu'elle sera toujours là pour moi. J'aime y croire, Maman. J'aime quand elle prononce mon prénom, comme si elle avait du poison sur le bout de sa langue. 

On la croirait heureuse, Maman, on croirait que ça l'enchante de me voir ainsi. Alors, je souffre Maman, pour lui faire plaisir. Et je suis heureuse aussi. Je pourrais avaler des lames de rasoir pour un de ses sourires, je pourrais mettre la ville à feu et à sang pour entendre qu'elle m'aime. 

Maman, je t'en pris sauve moi. Je l'aime tellement, Maman, tellement que ça fait mal, tellement que je la hais. Maman, Maman, arrête mes sanglots. Je veux juste un chocolat chaud, Maman. Prends moi dans tes bras, Maman, et fais moi croire que la vie est belle. Tu ne comprends pas, Maman ? Ma vie est belle, puisque ma vie, c'est elle. Je ne la mérite pas, Maman, je ne mérite rien.

Je ne t'aimerais jamais autant que je l'aime, Maman.

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