Je me voyais déjà

Je me rêve Gainsbourg ou Jean-Paul Sartre. Au niveau de la tronche, ça passe encore. Je suis sauvé sur le fil du rasoir par mes yeux qui varient du gris au vert selon mon humeur et qui trahissent mon caractère, du coquin à une profonde tristesse. Au niveau du physique, je suis comme tout un chacun, je complexe. Je ne suis pas baraqué. J'ai les genoux cagneux, j'ai une démarche qui fait souvent croire que j'en suis et mon grain de beauté sur le bras droit n'arrange rien.

Heureusement, mon ego me permet de trouver un point d'équilibre. J'ai l'immodestie de penser que ma culture est très largement au-dessus du commun des pékins. Depuis toutes ces années où  je pratique l'épigramme, je suis devenu un spécialiste en la matière et je l'utilise comme contre-feu dès que l'on cherche à percer ma carapace sans en avoir reçu ma bénédiction.

Depuis que j'écris et que je publie sur Welovewords, ça ne s'arrange pas. Je ne me sens plus pisser d'avoir été lu près de sept mille fois et de recevoir des commentaires qui me gonflent d'orgueil. Mais ça ne me suffit plus. J'ai beau n'avoir jamais pu blairer Balavoine, le Chanteur me hante. Pour compenser la médiocrité de mes écrits (bien évidemment, ma fatuité ne croit pas un instant à la nullité de ma syntaxe ou à la pauvreté de mes propos d'artiste torturé), je brode avec des jeux de mots que ne renierait pas un comique-troupier. Le pire, c'est que j'y crois. Je ne peux m'empêcher de penser que je suis du même niveau qu'un Desproges.

Pour m'excuser de ne pas avoir de style, j'ai aussi mon alibi. J'ai un travail prenant, je dois m'occuper des gosses. Je n'ai donc pas le loisir de passer mes nuits à coucher sur papier un plan détaillé. Je ne peux admettre que je suis incapable de réfléchir plus d'une heure sans atteindre la surchauffe. Le format des chroniques me va donc parfaitement. Il me permet de faire illusion. Je pipote en annonçant qu'il ne s'agit que d'un tour de chauffe avant d'attaquer l'œuvre majeure qui fera passer les plus grands pour des bouffons.

Bien évidemment, je suis un génie. C'est bien connu, cette catégorie n'est reconnue qu'après sa mort. A la publication de mon chef-d'œuvre, à compte d'auteur, j'espère au mieux une chronique dans le Courrier de Fourmies, le canard de la ville d'origine de ma famille. Mais je ris sous cape. D'ici un siècle, je vous contemplerai de mon Panthéon. On s'étonnera de mes écrits visionnaires, de l'universalité et de l'intemporalité de mes propos. Mes arrière-petits enfants seront invités à des colloques ou un aéropage d'universitaires se délecteront d'anecdotes et se pignoleront à disséquer et à interpréter tous les torche-culs que j'aurai laissés.

La vérité, je la connais. Bien sûr que je rêve un jour de pouvoir écrire un roman. L'ambition n'est pas une tare et être ambitieux n'est pas synonyme d'être vaniteux. C'est un moteur qui fait avancer.

Toi aussi, tu  sais pourquoi j'écris. Je te l'ai dit et je ne t'ai rien caché. Tu peux me lire entre les lignes. Je cours après toi. Je suis malade que jamais de ta bouche je n'entendrai un « Je t'aime ». Alors j'essaie de compenser comme je peux mon physique qui ne correspond pas à tes critères. Je rêve d'écrire le texte qui te transpercera le cœur. Je me dis, pour soigner ma tristesse et plus encore ma frustration, que d'aucun ne sera jamais en mesure d'égaler mes neurones.

En y réfléchissant, c'est mieux ainsi, non ? Dans dix ans, il y a une forte probabilité que nos corps soient bons à mettre au rebut. Peut-être alors reprendras-tu  mes textes. Riras-tu, pleureras-tu ? Aurons-nous tenu notre parole de rester malgré tout amis ?