Je suis une libertine

sadnezz

Je suis une libertine. Déjà je le devine, à cet instant précis vous vous classez dans l'une des deux catégories distinctes qui font de vous une personne intéressante ou intéressée.  C'est un fait. Je vous pardonnerai cette faiblesse, moi qui en suis pétrie de pieds en laisse. Taisez vos aprioris, vos bandantes idées ne sont que trop mes plus fidèles ennemies, lisez plutôt ce qui vous parait laid lorsque me parait beau.

Les profanes m'enferment dans leurs idées préconçues, mais je le confesse, ma vie est décousue... Au lit seulement. Imaginez qu'une libertine marche sur deux temps. Droite et bien mise sur un fil d'Ariane, je parade discrète drapée de mes arcanes. J'aime les hommes, plus que de raison. N'y voyez pas là le symptôme d'une exclusive liaison, je ne laisse pas mes dames en reste. Il faut savoir contenter tout le monde, et soi plus encore sous le revers de la veste.

Je suis mariée, épouse aimante et attentionnée; terrible caractérielle. Exigeances et envies se font toujours plurielles. Soeur de ces messieurs, lorsqu'ils m'ont tendu la queue, à moins que lassée, amante de passage bien vite effacée. Confidente sur l'oreiller de leurs souvenir, il n'est pas de plaisir qui ne ravive la volubilité du désir. Je suis celle qu'ils veulent le temps d'une nuit, d'un mois ou d'une année, du moins c'est ce que je me plais à leur laisser penser.

J'ai le bras long, la cuisse légère, ne vous y trompez pas: jamais mes moeurs ne sont adultères. J'ai su me faire aimer avec mon inextinguible liberté. J'ai donné la vie, sans jamais y renoncer. Voyez, l'on peut aimer autrui sans pour autant s'oublier. Aux quatre coins du pays s'étale mon panel d'amis. Vous les appellerez amants sans doute! C'est un principe dû à votre catégorie. Je suis libertine,  épanouie du haut de mes stilletos vertigineux, le plaisir pour seule route.

Lorsque je monte dans un train, lorsque je rejoins Paris, Strasbourg, mes maris, je suis conquérante. Il n'est pas un regard qui saurait me pousser sur sa pente. Je souris aux passants, réajustant mes bas ou mes cheveux longs, je vis mon propre roman, j'égrenne le temps. Et diable que c'est bon.

Comme une fleur aux apparats dangereux parfois je me pare de candeur, je me met en représentation. Naïve à souhait, j'appate le chaland, le nigaud qui m'aidera à tuer mon ennui. Mais attention. Il est souris, je suis minet. Cruelle et spontanée j'aime aussi à avoir des jouets. Ma blondeur attire autant que trompe, et cela me plait. Je ne suis qu'une femme. Une femme liberée.

Je cours les nuits décadentes, j'honore des rendez-vous qui n'ont plus de secrets. Je corsète mon dos, ma démarche est lente. Je ne sais jamais vraiment ce que je vais donner. Mon humeur est aussi volage que les alliances qui tombent. Oui... Parfois le lit d'amour n'est que sinistre tombe. Une blague malsaine à laquelle je sais rire. Je me ris des faiblesses que je sais provoquer, vous l'aurez compris, je ne suis guère à fréquenter.

Ma fierté en bandouillière je dis où, je dis quand, j'aime troubler les égos et leurs trop figés rôles. Offrir une rose à un amant, servir du baise main à un homme; c'est si drôle. Je change de sexe au besoin, petit escargot curieux de ses propres jeux. S'il me plait de m'en aller sans demander, j'aime aussi parfois m'éterniser. Les corps d'autrui je ne saurais renier. Je me plais à me faire peur parfois, funambule d'attachements heureux. Mais l'humaine que je suis est peureuse du drame, il faut savoir orchestrer des fuites sans retour, et acquérir la sagesse des ans. D'aucuns diront que je me la joue grande dame, que je gaspille le temps, mais moi, moi... Je n'ai jamais que 20 ans.

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