La Cage (DEFI N°9)

maddie-perkins

Elle, est terrorisée.  L’obscurité nébuleuse s’opacifie à travers les ramures, et dans la lueur nauséeuse du soleil crépusculaire, Elle est terrifiée. Discrète, elle guette à tout moment le chemin que la silhouette emprunte — cette ombre incertaine à travers les feuillages.

Il, est un Homme comme elle, un patient devrais-je dire.

Mais peu importe.

Il, est folie – visage messianique inspirateur de chaos.

Mais elle y voit de la Beauté.

Violence exacerbée d’un hôpital psy de la côte Est,

Où naît un amour pitoyable dans ses aspirations de Justice éternelle.

 - Rigidité de convictions, commence-t-il, trouble du défi oppositionnel, dépression, état maniaco-dépressif, trouble de la conduite, schizophrénie, personnalité borderline, phobie sociale, autisme — ils ont des noms pour tout, pour tout et même pour ce qui n’existe pas ! Ces maladies ne proviennent que de la tête des psychiatres qui les imaginent.

Le jeune homme lui tourne le dos, il marche et va s’asseoir sur un tronc délabré.

- Selon eux, tout le monde est dingue. Plus de vingt millions d’américains, six millions d’enfants selon leurs statistiques. Tu fumes trop ? Tu es malade mental. Tu bois trop ? Tu es malade mental. Tu es trop gros ? Trop mince ? Trop malheureux ? Malade, t’es malade. Le pire c’est qu’ils sont incapables de se mettre d’accord sur un seul et unique diagnostic, ce qui est normal puisqu’ils les inventent. Quand je suis arrivé ici on m’a d’abord dit que j’étais dépressif, ensuite j’ai eut droit à bipolaire, puis ils ont établit que j’étais probablement schizophrène alors que je ne suis pas schizophrène. Finalement ils ont décidé que j’étais maniacodépressif et que j’avais un déséquilibre chimique, qu’ils allaient me corriger avec un compensateur, t’imagines ça ? Me corriger, ils ont dit, comme si j’étais une putain de machine !

-Tu es en phase maniaque, tu parles vite, tu t’agites.

- Quoi ? T’es un de leurs putains de médecins ? Est-ce que tu es un de leurs putain de médecin ? Non putain non ! Alors écoute-moi.

Elle regarde devant elle, effrayée, fascinée.

- Ils veulent nous soigner mais ignorent les causes de nos sois disant maladies. Des gens meurent — des gens meurent tu sais ? Ils sont censés nous guérir, à la place ils nous tuent, et s’ils ne nous tuent pas, ils brisent la vie des gens qui t’aiment. Ils te piègent, et une fois que t’es rentré dans leur système, t’es foutu, foutu. La façon dont ils nous traitent nous rend inutiles, ils te gardent sous Ritaline ou sous Valium pour empocher plus de fric chaque mois, parce que tu comprends… les cachetons ça coûte cher.

- Tu crois que le système psychiatrique est corrompu ?

- Pas toi ? Tu comprends les psychiatres ils doivent nous faire croire que nos troubles émotionnels sont d’ordre biologique, parce que sinon, c’est comme si leur profession ne servait à rien. Ils essaient de rendre leurs pratiques crédibles en les affublant d’un langage médical qu’eux seuls comprennent puis ils nous foutent dans des cages : comme à Londres ! C’est comme à Londres ! Aboie-t-il. Ils nous mettent de côté ! Parce qu’ils ont peur de nous, parce que notre compagnie leur est insupportable. Ils veulent nous exterminer, nous exterminer ! Deux fois plus de morts dans les hôpitaux psychiatriques américains que dans toutes les guerres de notre pays ! De la mort aux rats ! A mort les rats et c’est ce que nous sommes, des rats !

Sa jambe, sa jambe tremble et s’agite, son pied frappe et martèle le sol. Des rires, des éclats de rire, des sourires sur son visage et des grimaces incontrôlées.

- Tu sais ce qu’on faisait aux gens comme moi avant ? Aux hyperactifs et aux maniaques ? On les plongeait dans l’eau glacée et c’était censé les rendre plus normal. Tu imagines ? Traitement punitif ils appelaient ça. Mais il y en a eut d’autres, bien pire. Certains médecins ôtaient des organes en pensant ôter le mal. Ils commençaient par t’enlever les dents puis les amygdales et les sinus. Tu imagines… ? Et aujourd’hui on veut nous faire croire que c’est mieux, que la psychiatrie s’est améliorée. Les psychotropes, la contorsion, l’isolement… tout ça c’est de la torture. Tu sais ce que je crois ? Qu’ils essaient de redéfinir l’Homme en nous faisant imaginer qu’on n’est pas ce qu’on pense être.

Sa main, sa main s’agrippe au tronc et l’écorce le blesse ; du sang s’écoule entre ses doigts. 

- Ils nous donnent des médicaments, ils nous droguent… Ils nous droguent pour leur profit, tu sais ? Tu sais ce que je pense ? Cette psychiatrie n’est qu’une putain d’association autorisée et bienséante de dealers. Des dealers ! Des dealers oui ! Psychiatres à la con ! Du Prozac Monsieur Redmayne ? De la Ritaline ? Non ! Penchons pour le Valium ! Du Lithium ! Du Tégrétol après tout ! Ou bien non du Dépamide ! Essayons l’Haldol ! Putain d’enculés !

Elle tressaille sur le tronc tandis qu’il se lève et pousse un cri en serrant les poings. Plusieurs fois il tourne sur lui-même, l’observe puis reprend.

- L’autre fois j’étais shooté et le médecin m’a dit : Comment vous sentez-vous ? Putain, à ton avis ? Comment peut-on se sentir après tout ça ! Je le sentais ! Je le sentais ! De la bave, je bavais je te dis. Mes muscles, mes muscles relâchés, d’autres contractés, et putain mon visage... Putain je suis sûr. Déformé mon visage. J’étais différent, un incapable, je n’étais plus moi-même ! Un monstre et je remuais, complètement dans les vapes, je n’étais plus humain. C’est de la torture ! Interner quelqu’un sans son consentement, t’appelles ça comment ? Emprisonnement arbitraire, putain de tyrannie ! Tyrannie du vingt-et-unième siècle ! C’est de l’esclavage, de l’esclavage psychiatrique. Et plus tu protesteras, plus on dira que tu es malade, complètement malade. Résiste et t’auras des liens partout, résiste encore et t’auras le droit à plus de psychotropes. Ils nous poussent, c’est ça ils nous poussent ; ils nous poussent à être violents. Ils veulent toucher une prime, putain d’assurance ! Putain de compagnies... A chaque contention, chaque contention ! Des vampires… ce sont des vampires, prêts à aspirer tout ce qui passe… Ton fric, ton existence ou ce qu’il en reste... Putain faut faire attention, faire attention sinon t’es foutu, ouais foutu.

- Tu ne ressens pas cette impression ? Comme moi, celle d’être aspiré, celle de vouloir rester ici ? Presque en sécurité ?

- Dans une bulle hein ? Dans ce cas c’est qu’ils te tiennent, et j’ai le sentiment qu’ils t’ont eut facilement. 

Elle bronche en le regardant, en désaccord total avec ses affirmations absolutistes.

- Je m’appartiens toujours.

- T’appartenir… ? Personne ne s’appartient ici.

Un rire malveillant éclate et vient ébranler la jeune fille.

L’image de cet homme, c’est étrange. Sentiment double. Dualité. Attraction et recul. Elle a le sentiment de l’avoir déjà connu. Terreur fourbe qui s’acharne et lui décharne l’esprit, esprit trop embrumé. Qui es-tu sosie ? Se demande-t-elle. Représentation d’un homme qu’elle aima en rêve. Et le malin s’est glissé dans l’enveloppe d’un séraphin, pense-t-elle, ‘Brise-moi’, ‘C’est ce que tu veux : me mettre en cage’ — c’est comme dans ma chambre — putain de chambre qui en a la forme, la forme d’une cage. Alors oui, alors : vas-y.

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