La jeune fille très riche et le boeuf bourguignon.

astrov

Conte amoral, réaliste et gastronomique.
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Ils étaient super contents, les quatre truands pauvres, fauchés, sans le sou: Le kidnapping avait bien réussi.
Quand la fille était sortie de la bijouterie place Vendôme, ils lui étaient tombés dessus, baillon, menottes, et, zou! dans la camionnette. Personne n'était intervenu. Faut comprendre: Dans ce quartier, les spécialités, c'est braquages et hold-ups. Alors, une nénette qui se débat... Bof...
Ensuite, démarrage sans problème, direction le pavillon de banlieue bien planqué, puis coup de téléphone (sur un portable jetable) à la famille en demandant trois millions d'euros en échange de la fille, pour le lendemain trois heures du matin. Un truc génial, ça: à cette heure, les éventuels flics seraient un peu à la ramasse. Pas bête!


Et maintenant, à huit heure du soir, pour être en forme avant d'aller chercher la rançon, ils allaient se mettre à table devant un boeuf bourguignon qui sentait bon, mais bon...  Leur otage était dans la pièce à côté, menottée au poignet droit (une erreur) à un énorme radiateur, le truc classique. Les quatre malfrats étaient du genre tradition-tradition. Pas méchants. Ils comptaient bien la rendre intacte, la minette, contre la rançon. Classiques,  je vous dis.
Le chef de la bande beugla: "A table les mecs!". Il réfléchit un peu et rigola: " les mecs, demain, ce sera plus du bourguignon! On aura le foie gras et les huitres et le caviar à fond! Demain on saura ce que c'est d'être riche, très riches, on pourra se payer des nanas canon et très gentille!". Les trois autres meuglèrent de joie  (le pavillon était loin de tout, pas de danger qu'on les entende).
Tout soudain, le chef eut un gros coup de gentillesse: " et la fille! Avec le prix de pension que son père va douiller, elle a droit de bouffer. Faut lui servir une bonne assiette avec un grand verre de pinard. Occupe toi de ça, Paulo." (Dans une bande de truands, y en a toujours un qui s'appelle Paulo). L'interpellé, bougon mais bon coeur, grogna: "lui porter la bouffe, à elle?".  "Oui, à elle, et du respect, hein! Tu regardes mais tu touche pas.".


Elle, c'était la petite Julie Gouzain-Deslouiettes,  dix-neuf ans,  blonde, jolie et menue, fille unique et adorée de Gontran Gouzain, PDG de quatre boites d'import-export, directeur de trois labos pharmaceutiques, et Marie-Bénédicte Deslouiettes, qui possédait en Bourgogne deux vignobles classés top niveau, et trois boites de strip à Pigalle (sous un prête-nom). Famille hyper riche, donc, pétée de thunes, la rançon ferait un minuscule trou dans leur fortune, trou qui serait rebouché en un mois de profits. Les quatre truands pauvres auraient pu demander beaucoup plus, mais ils n'avaient pas osé, les pauvres c'est timide.  Pour le moment, la petite, assise sur une chaise avec son poignet droit (une erreur, je vous dis!) menotté au radiateur, avait la mine exacte de la victime angoissée d'un kidnapping. Gentille Julie, toute douce et qui semble terrifiée... (Faut pas m'en vouloir, je tombe souvent amoureux de mes héroïnes!).


Le Paulo, donc, prend un plateau avec l'assiette de bourguignon (qu'il sent bon! Pas Paulo.Le bourguignon), entre dans la pièce- prison de la petite, referme la porte et regarde Julie avec appétit mais, pas touche, a dit le boss. Tout de même, Paulo se souvenait pas que le chemisier de la fille était aussi ouvert, quatre boutons sur les cinq). Bon, regarder c'est pas un crime, alors il regarde, pose le plateau sur une table qu'il approche du radiateur. Et regarde encore, elle est joliment tétonnée la gosse de riches. Il soupire, s'accroupit tout près de la prisonnière et murmure, la voix un peu brouillée: 
" T'es rudement bien roulée! Dis... Je peux tâter un peu?" Oui, c'est lourdingue comme drague, c'est pas joli.
En fait, ce sont ses dernières paroles, au Paulo. Car on ne peut pas qualifier de "mot" le râle-grognement, du genre "aargeuhouaf!" qu'il émet quand la mignonne Julie lui fracasse la trachée-artère d'un coup effrayant de sa petite main gauche aux doigts raidis durs comme du bois, ni le "ourfaargh!" qu'il ne peut retenir puisque la petite main gauche revient et lui broie les vertèbres cervicales avec le tranchant comme un gourdin.  Oui, la petite Julie est gauchère, je vous avais dit que les truands avaient fait une erreur en lui attachant le poignet droit.  Le Paulo trépasse sans discuter. Tout ça a duré trois secondes maximum, sans autre bruit que les râles du mec. Dans l'autre pièce, ses complices n'ont rien entendu et bâfrent en rotant en en rigolant.
La demoiselle fouille le cadavre, trouve les clés des menottes et se libère. Puis elle adresse des pensée tendres et pleines d'amour filial à ses parents si riches et pétés de thunes qui lui ont payé des stages intensifs de karaté, self défense, judo, aïkido, tae-kwondo, auprès du meilleur maître d'arts martiaux du monde, le Sud-Coréen Soo-Tae-Yang, dont les leçons coûtent un prix exorbitant mais sont très efficaces et ont transformé la petite en Rambo puissance dix, sans lui ôter une once de féminité. "Merci mon papa et ma maman si riches!".
Julie continue de fouiller le défunt Paulo et découvre ce qu'elle espérait: un pistolet. Merci encore, parents pleins de fric, pour avoir payé à leur fifille une formation complète sur le maniement des armes auprès d'un professeur fabuleux: l'ex-colonel Horst Teufelstern, aux tarifs démentiels, mais un enseignant parfait: la petite sait monter et démonter n'importe quel arme en moins de douze secondes, dans le noir complet. Alors, ce petit pistolet, vous pensez!  Deux secondes, cela lui a suffit pour l'ouvrir, constater qu'il contient six balles, retirer le cran de sécurité. "Papa, Maman, je vais rentabiliser votre investissement pédagogique." Elle envoie encore une pensée émue à Maître Soo, et plus émue encore à Horst Teufelstern car, non content de lui apprendre les flingues, il lui a aussi ravi son pucelage, à leur mutuelle satisfaction, mais cet enseignement-là était gratuit, bonus, les parents n'en ont rien su et elle était majeure, donc la (hi hi!) morale est sauve.


Julie se détend, puis, concentration, elle assure le pistolet dans sa main gauche (elle est gauchère, vous vous souvenez), retire ses jolies ballerines. Pieds nus, elle s'approche de la porte. Tout son corps devient un bloc de force. Elle chuchote: "Pour ma liberté, mes parents, mes professeurs, et surtout pour le Fric!"
D'un seul coup de talon, elle défonce la porte.  Que dis-je, "défonce"!  Elle la fait exploser en centaines de bouts de bois, pas de la sciure mais presque, puis bondit dans la pièce. (Elle me flanque la trouille mon héroïne, mais j'aime ça!). Le Temps s'arrête, une demi-seconde, pas plus.
Et redémarre. Les trois bandits pauvres se lèvent, les yeux , comme de juste, exorbités,  fixés sur la mignonne petite blonde avec son pistolet. L'un d'entre eux a son verre à la main, un autre la fourchette dans la bouche avec un gros morceau de bidoche, le troisième, bêtement, demande: "Et Paulo?".


Elle le renseigne: "Il est là où vous allez, vite fait, le rejoindre. Vous êtes des pauvres, des minables. Fallait pas toucher à une jeune fille qui a des parents pleins de sous."  Elle avance à pas menus, elle danse... Et elle affirme: "Ben non, vous saurez jamais. Vous saurez jamais ce que c'est d'être riches, très riches."  Ils n'ont pas l'air de piger, les pauvres c'est souvent limités en neurones. Alors, pour justifier la prédiction qu'elle vient de faire, elle leur tire à chacun une balle dans le ventre et une dans le bas-ventre. Un grand sens de l'équité.
Ils tombent sur le sol un peu crade et entament leur triple agonie avec conviction et grognements rauques, très bien synchronisés d'ailleurs. Où l'Esthétique va-t-elle se nicher! Julie a le sens musical et apprécie le tempo. Après avoir posé le pistolet vide, elle va prendre son propre portable que les quatre truands très pauvres avaient laissé sur une table, et appelle sa famille, pour dire que tout va bien, elle est libre et en parfaite santé.  Comme elle ne sait pas où elle se trouve (ils lui avaient bandé les yeux pendant le transport), elle laisse son portable allumé pour qu'on puisse le géolocaliser. Ah! Technique! Progrès! Réservés aux riches, bien sûr.
Une bonne chose de faite. Encore merci, papa et maman aux comptes bancaires énormes, merci Maître Soo, Merci Horst.  Ah! Horst... Ses reins... Souvenir troublé...  L'odeur du bourguignon aiguise l'appétit de la gamine. Elle va récupérer le plateau dans l'autre pièce (faut pas gaspiller), revient s'installer à la table en contemplant les trois mourants gigotants, et enfonce le clou en les engueulant:  "Ouais!Vous saurez jamais ce que c'est d'être super-riches!"  Du coup, déprimés par cette certitude, ils rendent ensemble leurs sales petites âmes de pauvres au Diable qui, lui, est immensément riche, comme chacun sait. Car, quand les riches meurent, ils vont au Paradis et le Diable hérite de leur fortune. Ah? Vous n'étiez pas au courant?


Julie boit un coup de pinard et grimace. Son style à elle, c'est plutôt les bouteilles à cinq cent euros pièces.  Mais, bon, là c'est du jaja de prolo pauvre, un treize degré sans prétention, on fera avec. Elle commence à engloutir la bidoche et les patates avec beaucoup de moutarde. Une bouchée, un coup de vin, une bouchée. Heureuse, satisfaite, elle bouffe. Que tu es belle, ma Julie!   Renversée en arrière, son chemisier très ouvert (je vous l'ai déjà signalé, ne me dites pas que ça ne titille pas votre libido!), fourchette en main gauche, verre en main droite, c'est une Bacchante, mon héroïne!
Puis elle éclate de rire, son verre levé vers le plafond. La bouche pleine, son adorable petit menton dégoulinant de sauce et de vin, elle rote, elle braille:"  Non! Vous saurez jamais comme c'est bon!

Comme c'est Bon d'être riche!  Riiiche!

Et elle sauce son assiette avec un gros bout de pain.


                       (Edouard HUCKENDUBLER,  amoureux gastronome)



  • Alors c'est donc toujours ces salauds de riches qui ont le dernier mot?Merci de m'avoir fait oublier pendant quelques instants qu'être pauvre ne nous prive au moins pas de rire! Excellent (comme le bœuf-bourguignon!)

    · Il y a plus de 10 ans ·
    942463 10201421314515736 1298825630 n

    stonemarten

    • Heureux que cette recette pas morale vous plaise! Dites, si vraiment tous les riches vont au Paradis, le lieu est peut-être à éviter... Boris Vian l'a chanté: "Alors on est descendu chez Satan, et là bas c'était épatant!"

      · Il y a plus de 10 ans ·
      Oiseau... 300

      astrov

  • très drôle, très visuel! j'ai adoré ton" (Dans une bande de truands, y en a toujours un qui s'appelle Paulo)"! ça m'a fait pensé à louis de funès: "les riches c'est fait pour être très riches et les pauvres, très pauvres" ahah

    · Il y a plus de 10 ans ·
    318986 10151296736193829 1321128920 n

    jasy-santo

    • Oui... Les riches mangent le bourguignon, et ne laissent même pas la sauce... Pour la petite Julie, vaut mieux l'aimer de loin! Merci d'avoir goûté à cette nouvelle fraîche!

      · Il y a plus de 10 ans ·
      Oiseau... 300

      astrov

  • Sale gosse de riche! C'est une excellente nouvelle, distrayante, amusante, j'y vois une sorte d'allégorie de notre société: les riches se mettent à manger le bourguignon des pauvres...

    · Il y a plus de 10 ans ·
    P1000170 195

    arthur-roubignolle

    • Oui, Arthur! Tous les jours on évoque des salaires, des bonus-traders, des primes surgonflées, horribles, des PDG à 100 fois le smig minimum. . Brusquement j'ai craqué et fait naître la garce de petite Julie!

      · Il y a plus de 10 ans ·
      Oiseau... 300

      astrov

  • Et de la richesse dans ton écriture, j'ai bp souri merci !

    · Il y a plus de 10 ans ·
    Ange

    Apolline

    • Eh... La petite Julie n'est pas très fréquentable, hein! grand merci, Apolline!

      · Il y a plus de 10 ans ·
      Oiseau... 300

      astrov

  • Histoire très peu morale! Edouard! J'ai aimé te lire... Pauvre petite fille riche... aux jolis tétons. C'est bon le bourguignon! kiss!

    · Il y a plus de 10 ans ·
    One day  one cutie   23 mademoiselle jeanne by davidraphet d957ehy

    vividecateri

    • Oh! Merci ! J'ai écrit la p'tite Julie en un moment de découragement à cause des différences de fortune entre le petit peuple vivotant et les salaires-primes-dividendes-capitaux monstrueux des hyper riches. Puis-je vous resservir un peu de bourguignon, gente Dame Vivi?

      · Il y a plus de 10 ans ·
      Oiseau... 300

      astrov

    • Avec plaisir mon ami Edouard!!! Kiss!

      · Il y a plus de 10 ans ·
      One day  one cutie   23 mademoiselle jeanne by davidraphet d957ehy

      vividecateri

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