La nuit

Stéphan Mary

 

3h40. J'aime beaucoup écrire la nuit. La nuit feutre les bruits du quotidien, enveloppe la journée dans un crépuscule bienfaisant. Le silence est rempli de sons étouffés, l'imagination reprend sa place, légère musique de rêves et de désirs. Le silence se satisfait d'un linge très léger, d'une nuisette de mots et de rimes, d'anagrammes qui font chanter la langue, silencieusement, respectueusement. La nuit a ce pouvoir magique de me sortir du tohu-bohu de la journée afin de me ramener à moi-même, me prolonger dans la dimension inaltérable d'une solitude bienvenue. Les images encore fraîches des heures qui précèdent se substituent aux sons par trop audibles de la ville, de son cortège de décibels stridents et envahissants, de cette course échevelée qui chaque jour m'emmène vers les angoisses de lendemains inconnus. Demain serais-je toujours là ? Le coeur va t-il tenir ? Les nerfs tiendront-ils ? La tête, le corps, le coeur qui vieillissent au son de la petite et grande aiguille tic tac tic tac

Tic tac

Tic tac qui ne sont plus les mêmes la nuit car il suffit de couper court aux folles rumeurs invasives du temps qui passe ; Prendre calmement place dans son propre espace-temps, s'occuper de soi ; Prendre soin de celle qui, tout à côté, se berce dans un sommeil réparateur, planant, reconstituant. Prendre soin de l'enfant qui fait des bruits de succion rassurant, petit poucet endormi au pays des elfes et des fées. La nuit propose une musicalité différente, attrayante. Elle se sert du silence comme d'un diapason qui rythme les heures de la longévité sans brutalité, avec bonhomie. Les lignes se déplient, les mots se déploient, prennent leur envol au fil d'une partition dans laquelle je peux lire intensément les émotions entrecroisées d'hier et d'aujourd'hui.


La nuit je pense à toi, l'inconnu-e qui n'arrive pas trouver le sommeil, qui arpente les sillons de ton cerveau en mille morceaux. Elle se nomme l'insomnie, ennemie qui s'acharne à te laisser debout plutôt qu'allongé-e, qui te persuade que le sommeil n'est pas pour toi, pauvre chose désarticulée dans ton monde envahi par trop de pressions, de cauchemars, de terreurs nocturnes qui te happent dans le sillage de la mort du jour. Tu veux dormir, tout ton être te réclame quelques heures de repos mais rien à faire, si tu te recouches, tu vacilles sans limites dans les affres d'un corps qui ne fait que tourner sur lui-même, à la recherche d'une quiétude qui ne viendra pas. Tic tac tic tac

Tic tac

Un bruit, non pas strident, non pas dérangeant. Le bruit familier d'un miaulement par exemple, qui perturbe le silence mais ne fait que rappeler que la dame a aussi son existence, sa faune, ses fauves et ses proies, ses bandes et ses solitaires. La nuit offre d'autres vies, d'autres bruits. Là une voiture qui passe, plus loin quelques voix qui oublient qu'il fait nuit et se partagent le champs du silence en éructant des sons à haute voix. Tout comme cet inconnu qui depuis longtemps ne fait plus la différence entre le jour et la nuit. Il déambule en s'adressant au fruit de son imagination. Il l'invective et la supplie, la hait pour mieux l'aimer.

Ne pas être seul. Oublier que la nuit peut revêtir de son étrange manteau les endormis et les noctambules, les sereins et les angoissés. La nuit tous les chats ne sont pas gris et j'en entends des qui soupirent d'aise et de délectation alors que d'autres transpercent le voile du son à grands coups de cris hurlés ou de larmes étouffées. La nuit sert l'artiste, le fou, le prisonnier, le malade, mais aussi le soignant, le surveillant, le bienveillant, l'oeuvre. J'ai également vu au coin de la rue le-la prostituée qui arpente sans but son mètre de nuit. La nuit ne fait pas de différence entre la différence et l'indifférence, majestueuse et voluptueuse ou volcanique et calamiteuse. La nuit poursuit son ouvrage de dame nocturne en tressant le temps différemment, imperceptiblement, le temps de vies parcourues d'images réelles ou éthérés, délicieux mixte de réalités et de rêves, incroyables aventures endormies ou éveillées.

La nuit est l'amante des songes, pleine de formidables illusions en noir et blanc et/ou en couleur, parcourue de frissons emplis d'émotions et d'envies, de pensées et de réalisations. Au crépuscule de l'obscurité, la nuit déroule son tapis d'étoiles et de constellations, laissant la lune s'acheminer sans bruit sur les rêves des touts petits.

  • La nuit comme je la ressens également... des mots et des images bien choisis! Bravo!

    · Il y a plus de 11 ans ·
    Pascal 3 300

    Pascal Germanaud

  • Joli.

    · Il y a plus de 11 ans ·
    Princesselune essai2jpg orig

    @ Linoacity

  • La nuit est un autre monde ! Les bruits prennent leur envol ! Bruits de rue ! Ici, bruits de meubles qui craquent habités peut-être par un esprit farceur ! Le ciel étoilé est magnifique en ce moment et on a envie de dormir sur l'herbe enveloppé dans cette nuit "éclatante"...Ce texte m'a entraînée fort loin, il est beau et plein de poésie ! Merci...Et c'est vrai que les mots viennent tout seuls, la nuit, dans le silence et le face-à-face avec soi-même....Je m'en vais à regret !

    · Il y a plus de 11 ans ·
    Ma photo

    theoreme

  • Très beau, j'aime ces mots choisis pour exprimer le plaisir de se détendre dans le silence, qui permets de rêver aux rimes qui seront écrites pour notre plaisir.Bravo, Lanac & Zoé, puisque deux ne font qu'un, par amour. Yvette.

    · Il y a plus de 11 ans ·
    Moi

    Yvette Dujardin

  • Bel hommage, et je ne suis pas étonné qu'Alice accroche !
    Bravo.
    Personnellement, mon moment préféré pour l'écriture, ce sont les fins de nuit, les jours naissants...
    Mathieu / Poupoum

    · Il y a plus de 11 ans ·
    Sdc12751

    Mathieu Jaegert

  • Merci pour ce texte, d'une belle teneur poétique...
    J'y vois la nuit défiler, ici ou ailleurs, avec tout ce qu'elle représente....

    · Il y a plus de 11 ans ·
    120x140 image01 droides 92

    bleuterre

  • Superbe cette ode à la nuit, j'accroche à ce style d'écriture vous va à ravir !

    · Il y a plus de 11 ans ·
    Img 3458

    Alice Neixen

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