La presse est en manque

Cela faisait trois semaines que plus rien ne se passait au pays de François. La presse n’avait plus rien à se mettre sous la dent : pas de meurtre, pas de canicule, pas de noyade. Le pays était aussi calme que le plateau des chiffres et des lettres. Dans les rédactions on s’ennuyait ferme.

Jusqu’à ce mercredi d’aout. Peu après 9h30, un témoin alerte les forces de l’ordre pour signaler un début de conflit dans la cour d’un centre de loisir pour enfants. Très vite la police arrive sur place mais il ne se passe plus rien à l’extérieur. Faisant appel à ses indics, elle obtient plus d’informations : il y aurait bien eu une vive altercation entre Martin, 4 ans et Louis, 5 ans, au sujet d’une construction Lego.

Très vite l’information remonte à la presse et dans les rédactions tout s’organise, des envoyés spéciaux de onze chaines sont envoyés sur les lieux. Itélé est en boucle et ne lâche pas le direct. On en apprend rapidement d’avantage sur les protagonistes : Martin habite le quartier depuis qu’il est né tandis que Louis n’est arrivé que depuis six mois. La police cherche dans ses dossiers si les deux bandits n’ont pas d’antécédents judiciaires.

Sur le plateau de BFM c’est l’effervescence : on a fait appel à un psychanalyste pour établir le profil psychologique des enfants. Son intervention est coupée par un duplex téléphonique : le professeur de CP de Martin est en ligne. Il explique qu’il n’a rien vu venir et qu’il ne comprend pas cette attitude soudaine. Pourtant il se rappelle avoir vu un jour son élève tenter d’emboîter un cube de couleur dans un triangle non prévu à cet effet. Pour le psy il n’y a aucun doute : Jack l’éventreur, Francis Heaulme, Emile Louis, Faudel : tous les plus grands criminels de l’histoire présentaient le même trouble.

Cette information est transmise à la cinquantaine de policiers sur place, mais le chef sait que d’autres enfants sont à l’intérieur et ne veut pas risquer de pertes inutiles. Le journal de 13h de TF1 s’ouvre sur un document accablant transmis par des voisins : le petit Louis à 2 ans dans son jardin sur un cheval à bascule. La scène est insoutenable.

Dans l’heure qui suit BFM annonce qu’elle a trouvé un lien entre Martin et un réseau terroriste musulman : en effet selon une source officielle son père ferait régulièrement ses courses dans une épicerie tenu par un Tunisien. Information qui sera démentie par Canal+. Le gérant de l'épicerie est tout de même immédiatement arrêté pour « subvenir au principe de précaution » selon le ministère de l'intérieur.

De plus, selon un proche de la famille, Martin aurait séjourné une semaine en Turquie l’année dernière avec ses parents. Sans doute pour des vacances en famille mais le chef de la police déclare « ce peut être une couverture idéale pour effectuer des stages commandos terroristes et apprendre le maniement des armes »

La classe politique s’indigne et saute (comme d’habitude) sur cette occasion pour faire parler d’elle. La droite dénonce une gestion calamiteuse du pays par la gauche et une dérive du système éducatif Français. Jean Marine Le Pen voit dans cette dispute de construction Lego un appel à l’aide des classes populaires à travers la crise du bâtiment et l’insuffisance de débouchés dans la maçonnerie. Nadine Morano reste silencieuse et ne réagit plus depuis son exclusion de Tweeter, à la suite de quoi elle aurait fait une dépression.

A 15h la police n’est toujours pas intervenue mais trois ministres sont sur place. Le RAID est appelé en renfort et prévoit une intervention groupée aux alentours de 16h. Mais à exactement 16h la cloche de l’établissement retentit et glace le sang des hommes armés. Une horde d’enfants se ruent vers la sortie à toute vitesse. Les deux fauteurs de troubles sont interpelés sans montrer aucune résistance.

Finalement après douze minutes de garde à vue, Louis et Martin sont relâchés, il ne s’agissait que d’un malentendu. Ce dernier ayant vomi sur la tour en Lego de Louis, s’en est suivi une dispute qui s’est arrangé lorsqu'il a proposé d'aider à reconstruire le building.

Une fois de plus la presse a bien fait son travail, sans aucun excès. Ou pas.