La Superbe

anna-c

Même L'Invincible , un jour, a été désarmé C'est donc ainsi que les Hommes meurent

Comme il n'était pas vraiment  moche, -selon les critères de son époque-, depuis toujours, il s'était plus ou mois senti « plutôt pas mal », même plutôt beau certains jours quand il prenait le temps de s'arranger un peu, de peigner son épaisse tignasse brune, et de s'apprêter élégamment. Pour peu que la lumière fût bonne, et colorât sa peau de teintes chaudes et moirées, le voilà qu'il se sentait aussitôt et particulièrement à son avantage et cela le rassurait diablement, il faut le dire !

Il n'était pas vraiment pauvre non plus. Il avait fait son chemin dans la vie, et ma foi, il n'était pas peu fier de sa petite réussite,- selon les critères de l'époque-... Tout y était, pouvoir, prestige, argent, relations, voyages, maison, maisons, femme, femmes, enfants...

Du coup son ego n'était pas mince. C'était un bel ego, un peu gras, épais, souvent surdimensionné. Mais selon les critères, c'était normal. Et même souhaitable. Sinon à quoi bon la réussite !?

Un ego de pauvre est moins spectaculaire, on sait cela, un ego de pauvre ne gonfle pas, et ne se prend jamais pour ce qu'il n'est pas. Il est plus facile de garder un ego modéré quand on n'a pas le choix. Quand on n'a pas le sou, pardon. Quand on a raté le coche.

 Bref, ce n'était pas son cas. Son ego était sans égal.

 

Bien sûr, comme il n'était pas bête, -disons, pour n'offenser point nos amies si chères,- comme il n'était pas sot, il savait très bien que sa réussite et cette gloire n'étaient , tout comme le nom qu'il portait, et comme le prénom qu'on lui avait donné, il savait que tout cela n'était que fiction, decorum et emballage. Et quelquefois il admettait même que ce n'étaient que des béquilles, dorées certes, mais de simples béquilles, pour l'aider à traverser l'absurdité de la vie. Vanité tout était vanité,  se plaisait-il à soupirer parfois dans de fulgurants instants de lucidité. Ce qui le confortait plus encore dans ce sentiment narcissique de supériorité et de conscience aiguë de lui-même.

En bref, il savait parfaitement reconnaitre en ces moments rares que toutes ses constructions, et ses empires n'étaient qu'impostures, nées du hasard, forfaitures, dans le grand théâtre du monde tel qu'il était, avec ses ficelles et ses marionnettes stupides et vaines ! Etait –il lui-même marionnette ou marionnettiste ? Acteur ou spectateur ?

Ce qu'il avait appris au fil du temps, notamment ces dernières semaines, c'était qu'il pouvait, c'était qu'il était susceptible, oui, susceptible,  d'être tout simplement mortel.  Tout ce qu'il avait bâti serait détruit. Anéanti. Et  il le savait. Il sentait bien à présent la mort s'approcher. L' époque, il faut le dire, était propice.

Cependant, contre toute attente, en son for très intérieur, il ne pouvait le croire !

Il continuait d'espérer, même en sachant, qu'il continuerait de vivre. Tous les autres mouraient un jour, évidemment, mais pas lui. Forcément.

D'ailleurs n'était-ce pas vrai ? Il  avait vu mourir au fil des ans, autour de lui des tas de gens. Proches, moins proches, famille, amis, voisins,  collègues, étrangers... Il suivait consciencieusement leurs corbillards, à chaque fois, jetait un peu de terre au fond du trou, comme tout le monde, ou bien il se recueillait plus ou moins devant le cercueil que l'on emportait vers les flammes cathartiques d'une crémation résolument Fen shui,- comme le souhaitait à nouveau et ardemment  l'époque-.

Oui, il avait passé une partie de sa vie à enterrer les autres, d'autres que lui en quelque sorte, et si celui-ci mourait, ou celui-là , ou un autre, ou une autre encore, force lui était de constater qu'il demeurait , lui, précisément, bien vivant !

Oui, tous les autres mouraient, mais pas lui ! C'était une forme de certitude qu'il portait chevillée au corps. Il avait beau aller dans les cimetières, il avait beau être navré de la disparition des autres, il finissait toujours par rentrer chez lui, dans sa belle demeure impassible,  se servir un verre de cognac ou d'autre chose, comme pour fêter « çà » ! Il célébrait en fait,  la mort d'un autre, moins chanceux, et en même temps, sa propre vie, bien vivante,  à lui !

Il était bien, et définitivement,  la preuve qu'il avait raison de croire en son immortalité.

 

C'est pourquoi ce matin là, certain de son fait, totalement immunisé contre l'idée de la mort, défiant et bravant toutes les sacro saintes règlementations et attestations, obligations et interdictions, anticonstitutionnelles ou pas, ou pire, il décida en claquant la porte de sa maison, d'aller, comme d'habitude, prendre un petit café  au troquet du coin, puis d'emprunter le métropolitain bondé, à l'heure de pointe, et de se risquer à une proximité chaleureuse avec sa collègue de travail, comme à leur accoutumée.

 

 

 

Cependant qu'en sournoise coulisse, et en grand secret, la Mort, elle, avançait masquée . Elle.

 

  • Je découvre ce texte.... il faut que tu récrives... Absolument !!!!

    · Il y a presque 2 ans ·
    Tyt

    reverrance

  • Je crois que la prise de conscience de la mort, donne une motivation à la vie. C'est en me projetant sur mon lit de mort (y'a maintenant plus de 10ans) que je me suis dit vouloir répondre à toute mes envies pour ne pas partir frustré. En ce sens je comprend que l'individu dans le Haïku hésite avec l'immortalité hahaa.

    Dans un recueil de proverbe il y avait une image d'un enfant tout sourire avec la phrase "je veux être tout ce que je peux devenir"

    · Il y a plus de 3 ans ·
    Img 20210901 wa0045

    jeffrey-gandhide

  • "Ou même à la grande rigueur ne pas mourir du tout", chante Brassens.

    "On m'a proposé
    Ce matin d'être immortel
    Mais j'hésite un peu"

    Haïku astrovien, début du XXOe siècle, en commentaire à un récit anna-c-ien plein de suspens.

    · Il y a plus de 3 ans ·
    Oiseau... 300

    astrov

    • Bonjour Astrov, je constate que je n'avais pas lu ni repondu du fait, à votre contribution
      Alors merci en retard
      Je vous espère encore immortel

      · Il y a environ 2 ans ·
      Image de femme baroque

      anna-c

  • bravo Anna pour ce portrait savoureux d un égotiste de son temps . ton très bon texte me rappelle un proverbes " va où tu veux meurs où tu dois "

    · Il y a presque 4 ans ·
    Photo0250

    ciel-d-ete

    • Merci Ciel d'été avec des mois de retard, qu'importe le temps au fond.. Ciel d'été au coeur de l'hiver cela seul reste vrai

      · Il y a environ 2 ans ·
      Image de femme baroque

      anna-c

  • Allez, vivons
    Gracias a la vida

    The show must go on chante Mercury alors on continue

    · Il y a presque 4 ans ·
    Image de femme baroque

    anna-c

  • La mort s'avance et on ne sait pas quand elle va fatalement croiser notre chemin...enfin certains très malades la voit rôder, mais ne veut pas y croire, on se sent tous tellement immortels....
    En ce moment, je lis un livre - j'ai presque fin i d'ailleurs - de Valérie Perrin : "Changer l'eau des fleurs". C'est l'histoire d'une femme meurtrie par la vie qui est gardienne d'un petit cimetière.. Il y a des moments émouvants, des petites anecdotes qui rendent cette lecture vraiment très attachante.

    · Il y a presque 4 ans ·
    Louve blanche

    Louve

    • Changer l'eau des fleurs….une si jolie image, j'adore
      c'est un peu comme "Donner du pain aux oiseaux", qu'on retrouve dans une chanson connue
      quelque chose d' un quotidien mélancolique mais rassurant non ¨?
      De ces gestes simples qui font la vie vivante !!!

      · Il y a presque 4 ans ·
      Image de femme baroque

      anna-c

  • Superbe ce texte !...
    j'aurais mis en bande son "la superbe" de Benjamin Biolay… ça fait longtemps que je n'avais entendu Manset :-))

    · Il y a presque 4 ans ·
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    Maud Garnier

    • Merci Maud, oui Biolay pourquoi pas ?
      Mais j'aime Manset dans ce tempo certes un peu lugubre
      mais c'était dans l'air du temps :)

      · Il y a presque 4 ans ·
      Image de femme baroque

      anna-c

  • Ce n’est pas parce que l’on voit mourir, de toute part, autour de soi, que l’on est obligé de mourir aussi par facilités conventionnelles. Ne pas admettre la mort est plus facile à penser que de l’admettre, ce qui est un non-sens à la conscience. J’ai trouvé ton texte très bien écrit. Bonne journée. :o))

    · Il y a presque 4 ans ·
    Photo rv livre

    Hervé Lénervé

    • Hervé quand tu philosophes c'est pas du pipeau, et tu as diablement raison, pas utile de faire comme les autres,
      soyons fous

      · Il y a presque 4 ans ·
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      anna-c

  • Bien ficelé ! A+ !

    · Il y a presque 4 ans ·
    Autoportrait(small carr%c3%a9)

    Gabriel Meunier

    • je viens juste d' aller me tremper chez Aurélie Roumy; la décapante , à côté je me sens une vieille dinosaure ! bon il faut de tout pour faire un monde


      A pluss

      · Il y a presque 4 ans ·
      Image de femme baroque

      anna-c

  • je sais c'est pas drôle !

    · Il y a presque 4 ans ·
    Image de femme baroque

    anna-c

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