La voix de l'eau
tolum
Regard
Le soleil couchant a embrasé l’eau bleue. Des sirènes d’argent se sont enroulées dans les vagues pourpres. Tu as surgi sur la plage ombreuse, dans la lumière d’acier du soir, couverte d’un voile scintillant. Femme sans regard, les yeux cachés derrière des lunettes noires…. Déesse de métal impitoyable, guerrière venue pour transpercer mon âme solitaire ?
Tu marchais à pas lents, ondulant dans un nimbe changeant.
Tu t’approchas à quelques pas de moi. Il me sembla que des gouttelettes d’eau ou peut-être des larmes perlaient sur ton visage hermétique. Des oiseaux aux plumes de feu voletaient en arabesques au-dessus de toi. Tu te mis à chanter d’une voix rauque une de ces antiques mélodies que vocifèrent encore les femmes dans la montagne corse ou en Sardaigne.
Je scrutai ta bouche, je buvais chaque note de ton chant, ton visage soudain s’illumina, je ne comprenais pas les mots que tu scandais, mais je lus au fond de toi comme si ton masque noir soudain s’effaçait.
Alors, oui, je vis ton âme pure, l’azur tendre de ton cœur, la lumière fraîche de ton regard, je reconnus en toi la jeune fille qui m’avait donné de l’eau dans la montagne sèche, pour nettoyer mes plaies.
Tu me reconnus et nous commençâmes à parler……
Maman, donne-moi…
« Maman, s’il te plaît, donne-moi quelque chose que tu n’as encore donné à personne…
– Oh, mon pauvre garçon, tu sais, je ne pense pas avoir jamais donné grand-chose à quelqu’un…
– Mais tu m’as donné la vie, Maman…
– Je l’ai donnée aussi à tes frères et sœurs !
– Tu m’as donné ton amour !
– A tes frères et sœurs aussi, à mes parents, à ton père bien-aimé…
– Tous tes sourires… Tous les devoirs, toutes les punitions que tu m’aidais à faire !
– Toutes les mères le font…
– Tous les bons petits plats !
– Ta grand-mère, cuisinait bien mieux que moi…
– Donne-moi ce que tu n’as encore donné à personne…
– Il y aurait bien quelque chose, mais ce n’est rien d’extraordinaire…
– Donne, Maman !
– Je te donne cet instant unique, où je vais mourir, maintenant, seule avec toi, en te tenant la main. »
La voix de l’eau
J’ai chanté faux très longtemps. « François chante comme une casserole rouillée », disait mon grand-père, majestueux vieillard qui, à chaque Noël, faisait résonner la voûte de l’église en entonnant le Minuit chrétien ; « François chante comme une crécelle, comme un corbeau, comme un mouton qui bêle », se moquaient mes frères et camarades d’école, en une symphonie de lazzis faciles.
Ce fut longtemps un handicap car je n’étais jamais retenu parmi les enfants de chœur chantants, ceux qui psalmodiaient aux enterrements, aux mariages, aux baptêmes… et recevaient de belles pièces et parfois de gros billets en récompense. Les parents des défunts étaient souvent généreux… Les parrains et marraines davantage encore, tout émus sans doute d’avoir ondoyé des enfançons sans défense dans l’eau bénite… Mais le summum, c’était les mariages : l’argent coulait à flots, en cascade même, dans les poches des petits chanteurs ; sans compter les dragées en beaux cornets d’ivoire ; sans compter les regards mouillés des petites filles dans leurs habits de fête…
Il fallait que je trouve une solution si je ne voulais pas demeurer le plus pauvre et le moins intéressant des enfants de chœur.
Je découvris par hasard que, si je chantais faux, je pouvais parler juste : j’avais improvisé un petit compliment à une mariée devant la pièce montée et l’exercice avait fait son effet. Cela devint vite ma spécialité lors de toute cérémonie de réciter un poème, débiter un petit discours, ce qui me valut la reconnaissance unanime du public, une certaine lumière dans les yeux des demoiselles, et des récompenses encore plus sonnantes et trébuchantes que celles que percevaient mes concurrents chanteurs.
Cependant, je ne me résolvais pas à demeurer un chanteur faux ! je décidai de m’entraîner régulièrement, mettant en œuvre une méthode discrète, originale, qui me fit progresser lentement : je m’installais au bord du ruisseau qui serpentait dans la prairie où je gardais les vaches ; j’écoutais le murmure de l’eau et je tentai d’imiter ses sonorités liquides, je le suivais quand il devenait torrent, ma voix montait quand il dévalait la pente, se faisait terrible quand il s’élargissait en gros bouillon… Peu à peu, je devins un imitateur de l’eau. Au bord de la mer d’azur en Corse du Sud, ma voix se faisait barcarolle, je roucoulais sur les flots bleus, ma voix inspirée courait sur la vaguelette, entraînant les petits poissons dans une danse scintillante… Elle explosait en écume de graves puissants, vociférant des torrents de mélodies épiques quand la déferlante se brisait sur le rocher de la Vierge à Biarritz.
En Bretagne, je chantais la bruine, la brume, les embruns, les ressacs, les murailles d’eau fracassante, les colères rugissantes, la paix des marées basses et l’abandon des algues languissantes. …
Oh oui ! Quelle belle écriture et quel beau texte, un vrai bonheur ce moment de lecture. Les anciens chrétiens baptisaient dans la nature ! Coup de coeur et au plaisir de vous lire !
· Il y a presque 13 ans ·Edwige Devillebichot
Trois textes absolument magnifiques! J'ai rêvé, pleuré et je me suis souvenu...Merci!
· Il y a presque 13 ans ·yan--2
Puissant...
· Il y a presque 13 ans ·jb0
ET la boucle est bouclée. Merci pour ce beau texte.
· Il y a presque 13 ans ·ysabelle
merci Colette pour ce lien....."maman, donne-moi la main"...combien d'enfants à mendier l'amour quand la main s'absente...
· Il y a presque 13 ans ·je n'ai pas pu aller au-delà...les églises me glacent dans leur odeur de bois. Ainsi parle la voix d'eau...superbe...j'y reviendrai.
sally-helliot
pour finir sur une note de colères rugissantes, c'est tres évocateur comme texte, je plein celui qui n'a pas u la chance que ca mère lui offe un instant unique, que celui de son départ, je ne sais décrire ce que m'inspire, ce texte, j'ai la chance d'avoir une mère comme je souhaite à tous le monde d'en avoir une, j'ai partagé beaucoup de choses avec elle, jusqu'à son réel dernier soufle, j'ai u la chance de pouvoir lui dire au revoir, à travers ce texte je, ce texte est tres beau , et offre la possibilité à chacun de fermer les yeux un instant et de repenser, à ces instant prévilégiés que chacun d'entre nous à pu vivre avec un proche, il y a les mots les lignes et l'entre lignes. ouais merci super.
· Il y a presque 13 ans ·retrojec