L'amour aux temps de l'entropie
enzogrimaldi7
Des corps enchevêtrés, grisâtres symbolisant la guerre apparaissent sur un fond nuit sombre: des couleurs qui évoquent la poussière des effondrements et le massacre. Quelle autre fresque que Guernica représente le mieux l'inexorable dégénération qui nous attend selon le bon vieux ''second principe''?
Conçu en 1937 en réponse à un épisode navrant de la propension de l'homme à démultiplier sa propre disparition, Guernica montre, outre un fidèle reflet de son temps, une œuvre, à la base composée d'études éclatées, qui forment un démantèlement.
Combien d'amants sacrifiés à Guernica? Combien d'histoires, combien d'enfants de l'amour, occis? Tant de destins brisés dans ces affrontements témoins de la folie destructrice de l'homme, rare être doté de cette tare à une échelle planétaire. A Hiroshima, Verdun ou Dresde, il égale la peste, le choléra et la grippe espagnole.
La thermodynamique qui nous embrase est aussi celle qui nous achève. Tout commence et tout fini. Un refrain bien connu qui tient à une loi physique implacable qui mesure ce qui se desquame, la décrépitude, l'éloignement, la fin, l'oubli réunis sous un seul et même mot: entropie.
Vivre est déjà un défi en soi dans un univers où tout est voué à s'engloutir selon la théorie du ''second principe''. Ainsi notre folie meurtrière apparaît d'autant plus absurde. Quant à l'amour, le vrai, pas celui qu'on fait pour s'illusionner, celui qui pousse deux êtres à se retrouver coûte que coûte car plus rien d'autre ne compte, c'est un miracle.
Dans la théorie de la communication, l'entropie est un nombre qui mesure l'incertitude de la nature d'un message donné à partir de celui qui le précède. (Elle est nulle lorsqu'il n'existe pas d'incertitude.)
Au delà des phéromones, des accointances culturelles et de la part du hasard, la rencontre réside dans le langage. Et là encore une forme d'entropie conceptuelle s'immisce dans la danse, comme un ricochet de l'entropie physique, comme si cette dernière ne faisait pas déjà assez de dégât.
On s'aime toujours d'abord par les mots, tel un dialogue surréaliste qui émane de deux esprits qui s'aliènent pour le meilleur et pour le pire jusqu'à ce point de non retour où les corps fusionnent enfin.
Pour que l'histoire survive, il nous faut nous inventer une narration qui va régir la relation et tenter de lui donner de l'allure et un cap. Jusqu'à ce que cette narration cède à la menace incessante d'une concurrence dialectique via internet notamment, comme une forme d'entropie qui vient la parasiter jusqu'à parfois l'annihiler.
La communication au sein du couple se disloque peu à peu et le processus de dégradation propre au ''second principe'' s'enclenche inexorablement jusqu'à la rupture. On parle alors d'explosion ou d'implosion selon le scénario et les forces en présence.
Certains diront que la vie est faite pour traverser plusieurs expériences amoureuses. D'autres objecteront que l'on n'est fait que pour une seule et vraie histoire, à condition de trouver l'alter ego sachant que l'entropie nous attend malgré tout au tournant avec son petit air de faucheuse.
Des questions demeurent: à combien de destructions et de constructions peut-on survivre? La fin d'un amour nous rend il plus fort pour appréhender le suivant? Existe-t-il un lien narratif, un sens entre toutes nos histoires ?
Si l'amour est comparable à l'art, voilà une chance de faire le miracle de créer un chef-d'œuvre et tant qu'il y aura des atomes crochus, nous nous devons de perpétuer ce rite insensé d'aimer.
2019
Illustration: Entropy 1, Lewis Barker
Musique: Entropy, Max Richter
https://www.youtube.com/watch?v=b_YHE4Sx-08
Irréversibilité... C'est beau et triste. Cesse-t-on jamais d'aimer ? Du premier amour au dernier, une trace de chacun au plus profond de nous. Cela pourrait formé un tableau éclaté comme Guernica ou les vitraux d'une église avec le soleil qui joue et fait ressortir un amour puis un autre. Souvenirs...
· Il y a plus de 3 ans ·sophiea
Remarquable contribution. Merci. En effet, en ces temps délicats où en plus l'architecture de base a sombré dans le mode hôpital, les cathédrales, quand elles ne brûlent pas, sont devenues des lieux de refuge où les vibrations antiques, associées aux couleurs que vous avez citées, nous sauvent de nos turpitudes.
· Il y a plus de 3 ans ·enzogrimaldi7
Trop de bibliothèques ingurgitées finissent par nuire le cœur et l'étriquent sur un disque rayé qui n'apportent hélas aucun sens du naturel. C'est compliqué de ne plus servir ses étagères.
· Il y a plus de 3 ans ·C'est un choix tout comme le désabonnement. :)
Apolline
Retirer l'bonnet pour aller voir juste à côté et récolter des cœurs. C'est triste à pleurer mon Ami...
· Il y a plus de 3 ans ·Apolline
mais l'art n'est-il constitué que de chefs d'oeuvre ?
· Il y a environ 5 ans ·Susanne Derève
Il faut de tout pour faire un monde, oui.
· Il y a environ 5 ans ·enzogrimaldi7
Je suis assez d'accord avec cette réflexion ; elle me semble cependant trop tranchée, sans nuance. Il semble que tous ces phénomènes soient inexorables, que chacun suive le même destin, un destin qui se répète inlassablement à l'échelle de l'Humanité.
· Il y a environ 5 ans ·Sy Lou
C'est un sujet bien trop sensible pour être débattu par messages interposés. Nous ne ferions qu'ajouter à l'incertitude de leur nature et donc aggraver l'entropie. Mais je ne désespère pas d'en parler un jour de vive voix avec certains d'entre nous ici. Merci.
· Il y a environ 5 ans ·enzogrimaldi7
L'amour est à la néguentropie ce que la relation de couple est à l'entropie.
· Il y a environ 5 ans ·dechainons-nous
Bien vu. Même différence, donc, entre s'enchaîner et se déchaîner.
· Il y a environ 5 ans ·enzogrimaldi7
:)
· Il y a environ 5 ans ·dechainons-nous
L'amour arrive, nous surprend et puis sans crier gare il s'en va ou se transforme. Mais s'il se transforme, ce n'est plus la passion....ou on l'accepte et c'est enfin l'apaisement ou la vie n'est que tourments. Mais la passion est si belle à vivre !!
· Il y a environ 5 ans ·"Tout commence et tout fini.."
Louve