L'Attachement

enzogrimaldi7

Je t'aime de tous les ruisselets qui coulent dans mon corps et rêvent qu'ils se terminent en semence dans le doux de ton fruit. Je t'aime partout où il se peut que je t'aime davantage, je t'aime où davantage aimée tu ne peux l'être.
                                       Marcel Moreau   Extase pour une Infante Roumaine

Nul besoin de devenir Bouddhiste pour s'intéresser au détachement. Ni d'entrer en religion pour y avoir recours. Dans sa forme la plus aboutie, le détachement conduit le Bouddhiste à s'isoler de tout: agressions, désirs, besoins, sensations, sentiments, pour atteindre le Nirvana; et le religieux de base à se rapprocher de Dieu. Dans sa forme vulgaire, le détachement est la maîtrise de soi en toutes circonstances.


Pour le philosophe le détachement est cette capacité à s'extraire de ce monde fictif dont les lois, lieux communs, habitudes, modèles, doctrines, disciplines, besoins, prisons, lubies…nous enferment dans des scenarios souvent grotesques, parfois tragiques, parfois grandioses, que le désir, ce satané farceur, la peur de la solitude, et la pression sociale, nous contraignent à suivre.


Du coup, il apparaît essentiel d'être l'acteur de sa vie, être sur le devant de la scène, sur l'écran et non face à l'écran. Au niveau du commun des mortels, il s'agit de changer de vie. Pour les génies, l'enjeu est de changer le cours de l'histoire.


Pour le psy, le détachement est la capacité à rompre pour avancer. Du cordon au cercueil la vie est une suite d'engagements et de deuils. Il faut donc toujours trouver la force de partir quand la réalité ne s'accorde plus à nos désirs.


Ceci dit on ne pouvait pas reprocher à Gainsbourg de se morfondre dans quelque pub anglais à ressasser ses moments de gloire avec Bardot. De même, on comprend que le photographe David Bailey ait eu quelques scrupules à se séparer d'Angelica Huston.


Quand c'est grandiose il est plus difficile de franchir le cap. On ne compte plus les couples qui se sont séparés et retrouvés d'innombrables fois. L'absence est le plus puissant aphrodisiaque et l'omniprésence le plus redoutable des somnifères.


Il est des morceaux de musique qui ne nous procurent du plaisir que si l'on cesse de les écouter quelque temps ou selon l'humeur. Il en est de même avec certaines personnes. Notre désir oscille en fonction de notre état d'esprit et nous pousse à apprécier musique ou entourage selon nos hauts et nos bas.


Une fois que l'on a appris à jouer, le challenge est d'interpréter une pièce dont rythme, puissance, virtuosité, richesse et profondeur séduisent cette autre dont la partition complèterait la nôtre.


                                         *    *    *


Dans ce cas de figure exceptionnel il nous faut gérer l'attachement, addiction psychologique et physique pour l'être aimé, manifestation extrême de l'amour qui génère souffrance quand l'autre disparaît.


Il s'agit d'un état de dépendance contre lequel un naturel combat peut s'engager quand on est partisan de la liberté ou contre toute forme de douleur. Ici le bât blesse: peut-on réellement s'engager si on refuse coûte que coûte l'attachement? Doit-on, pour mener le bal à sa guise et moins souffrir, toujours limiter notre attachement?


Malgré tous ses dangers, la relation est l'aventure la plus extraordinaire à vivre. Elle manquera singulièrement de saveur si elle ne fait l'objet que d'un partenariat sexuel, économique, administratif et social. Si elle n'est que prétexte à combler un vide avec quelqu'un de bien sympathique qu'il nous est facile de contrôler pour parvenir à nos tristes fins. Les rues sont pleines de chiens en laisse.


Soyons francs: la seule forme de relation qui vaille la peine exige engagement et passion. Ici l'attachement est inévitable mais il a des vertus. Il nous permet entre autres de nous détacher d'un tas de plaies: parents, errances, dépendance au groupe, solitude. C'est le gage de la profondeur des sentiments. Ce sont des signes qui ne trompent pas. Un rempart contre l'imposture.


Même s'il est possible de s'amouracher sans pouvoir ou vouloir s'impliquer, l'attachement reste une essentielle preuve d'engagement. Cela se palpe. Se révèle sous la forme du don de soi, de folies, d'élans, d'affection, de détresse, de joie, de voracité, de tendresse, d'appel, d'écoute, de jalousie, de compassion, de présence et d'éloignement pour ne pas sombrer dans l'attachement maladif. 


Ce sont aussi et surtout ces petits riens qui nous lient corps et âme. Des petits riens qui l'air de rien sont le ciment d'une relation, une mosaïque d'instants banals mais cruciaux car chaleureux, quotidiens ou imprévus, colorés ou invisibles, discrets, anonymes. Ils fomentent le désir car fragiles, anodins. Ce sont les seuls clichés que l'on tolère quand ils sont inclus dans une histoire hors normes.


Un café oublié, une bouchée de pain frais, un instant volé par inadvertance dans son intimité, un cheveu d'elle découvert dans ton caleçon, son sac laissé sur l'escalier, son linge et le tien sur le même étendage, la page cornée de son bouquin, le bruit familier de ses pas, son parfum dans le couloir, son odeur dans les draps, son silence…


Tous ces petits riens que tu crèves de ne pas partager dans ta sordide solitude, toi, qui ne peut t'attacher qu'à celle qui joue cette musique d'un autre monde, que ce monde mécanique éradique.


Un jour bleu se lèvera sur Petra, la ville du bonheur perdu et tous les touaregs, bédouins, gitans et nomades dans l'âme se retrouveront dans une communion culturelle monumentale, détachés de cet univers sale qui s'effondrera sans bruit. Comme un tas de fumier. Où ne repousseront que des roses. Les roses du désert.

                                                                                            2008

https://youtu.be/kDNk96HSHXA

  • Il est sage de comprendre
    Le rôle de l'attachement

    Ce à quoi l'on tient
    N'est pas la chose
    Mais ce qu'elle nous procure
    À l'intérieur de nous

    · Il y a environ un an ·
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    Fterò Asterioù

    • Sans compter qu'il y est question d'un café oublié...

      · Il y a environ un an ·
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      enzogrimaldi7


  • L'attachement est ce qui permet de vivre. Si la mère ne s'attache pas à son enfant, il meurt. L'attachement c'est vivre avec l'autre. Les moines bouddhistes aussi détachés soient-ils vivent en communauté. On existe par l'autre et avec l'autre. Se détacher pour sortir de la caverne (Platon), prendre du recul, se pas se laisser mener par les passions, est primordial en effet...
    Aimer c'est s'impliquer mais aussi rester discret car dit fusion dit annihilation n'en déplaise à Attachante... Ne pas dépendre de l'autre mais s'enrichir de sa présence. Merci pour votre vision. De quoi parler toute une nuit a minima.

    · Il y a presque 3 ans ·
    389154 10150965509169069 1530709672 n

    sophiea

    • Superbe analyse. Quant aux enfants qui meurent lorsque leur mère ne s'y attachent pas voilà une sacrée tragédie. Et s'ils survivent, leur vie est un chemin de croix...

      · Il y a presque 3 ans ·
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      enzogrimaldi7

    • Hélas

      · Il y a presque 3 ans ·
      389154 10150965509169069 1530709672 n

      sophiea

  • Merci. C'est une riche pensée. :) ....

    · Il y a plus de 5 ans ·
    00

    gone

  • Pour moi, pas d'Amour sans attachement....sans dépendance...
    L'Amour , c'est viscéral ou alors c'est de l'amourette.
    Un texte qui fait réfléchir, qui me parle ...
    Mais peu de gens sont vraiment de grands amoureux ou recherchent vraiment un idéal.
    J'aime beaucoup le passage sur Les petits riens.

    · Il y a presque 7 ans ·
    Oeil

    anne-onyme

    • C'est effectivement ce que dit le texte. Quant aux petits riens, tout est magique, y compris le plus insignifiant, quand c'est profond. https://www.youtube.com/watch?v=msFgncTeDUY

      · Il y a presque 7 ans ·
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      enzogrimaldi7

    • Ça, c'est vrai... Tout devient féerique quand on est vraiment amoureux...
      Merci pour ce beau et fort texte.
      Je vais aller voir votre lien....

      · Il y a presque 7 ans ·
      Oeil

      anne-onyme

    • Merci pour le partage ....très belle chanson du grand Serge .

      · Il y a presque 7 ans ·
      Oeil

      anne-onyme

    • Ah c'est loin d'etre aussi profond que celui qui est en lien a droite et cest pas son meilleur morceau a l'ami Serge mais il évoque avec une certain classe et un charme desuet ces fameux petits riens. Merci pour votre attention.

      · Il y a presque 7 ans ·
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      enzogrimaldi7

    • Je ne l'ai pas écouté mais je vais y remédier...

      · Il y a presque 7 ans ·
      Oeil

      anne-onyme

    • Suivez bien les sous titres. Rumi est un poete du 13eme siecle.

      · Il y a presque 7 ans ·
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      enzogrimaldi7

    • Ah merci je ne connais pas. De quel origine?

      · Il y a presque 7 ans ·
      Oeil

      anne-onyme

    • Persan

      · Il y a presque 7 ans ·
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      enzogrimaldi7

    • Merci

      · Il y a presque 7 ans ·
      Oeil

      anne-onyme

  • « Doit-on, pour mener le bal à sa guise et moins souffrir, toujours limiter notre attachement? »

    Oui

    « Malgré tous ses dangers, la relation est l'aventure la plus extraordinaire à vivre. »

    Trouver un partenaire à la hauteur de nos désirs, solitude, intellect, quelle gageure.

    · Il y a presque 7 ans ·
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    Marcus Volk

    • Si tu réponds oui à la question, ça implique que consciemment ou inconsciemment tu vas éviter celle(s) qui peut vraiment te faire toucher les étoiles. Prudent. Mais tu perds peut être un truc. Quant à la gageure, oui, tout l'enjeu est là. N'est ce pas ce que nous recherchons, parfois toute une vie durant? Il est vrai que cela relève plus du mythe que de la réalité, mais mettre la barre au plus haut, c'est se donner plus de chance de tomber au p!us près du désir absolu.

      · Il y a presque 7 ans ·
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      enzogrimaldi7

    • Oui à la question : certes. Mais si je réponds oui c'est que justement je sais que je ne toucherai pas les étoiles avec cette personne. PIl n'y a pas de hasard dans les rencontres parait-il. Quelle qu'elle soit.

      · Il y a presque 7 ans ·
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      Marcus Volk

  • Je pense que l'attachement est la suite logique de l'amour, du coup de foudre. A la béatitude fait place le quotidien, sinon, l'on vit dans un film, ce qui n'est pas pensable. Après l’attachement, vient l'habitude et c'est là que cela se corse. Perso, je pense que les hommes et les femmes sont fait pour vivre heureux, mais pas ensembles. La notion ou plutôt l'obligation de "famille" nous demande de faire des sacrifices. Il reste alors deux alternatives, jouer le jeu de la famille en vivant une vie par procuration, ou faire le sacrifice de la liberté en accord avec son ou sa partenaire de vie intime, avec toute la notion de respect et d'amour que cela impose.

    · Il y a presque 7 ans ·
    Gaston

    daniel-m

    • Vaste sujet dont il sera question le jour d'une rencontre. J'ai déjà un plan en tête pour ceux et celles qui n'auraient pas peur de tomber le masque...

      · Il y a presque 7 ans ·
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      enzogrimaldi7

  • Adepte du tantrisme plutôt ?

    · Il y a presque 7 ans ·
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    Marcus Volk

    • Je ne me réclame d'aucune doctrine mais je ne suis pas contre celles qui ne s'égarent pas vers l'extrémisme et poussent au bien être. Le tantrisme en est une

      · Il y a presque 7 ans ·
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      enzogrimaldi7

  • Il y avait beaucoup à dire… de nombreuses choses ont été dites… et très bien exprimées ! Merci…

    Pour ma part « attachement et amour » sont deux choses bien distinctes… J’ai besoin de « ce et ceux » que j’aime pour me rappeler pourquoi « je suis ici » et pourquoi « j’existe », mais je vis très bien si on m’enlève ces petites choses du quotidien, auxquelles je ne me suis « qu’attachée » pour simplement essayer de vivre avec mon temps !

    « L’Amour » le vrai, l’inconditionnel, le fusionnel fait d’une alchimie parfaite… il n’y en a qu’un, même si le verbe Aimer se décline de plusieurs manières en des degrés différents…. « j’aime mes enfants : l’amour parental », « j’aime mon chien : l’amour des maitres », « j’Aime ma moitié : d’un vrai Amour (le seul)», « j’aime mes amis : l’amour en confiance »… il y en a tant, mais il n’y en a réellement qu’un seul…
    « S’attacher à une personne », ce n’est pas l’aimer, c’est savoir qu’elle est là et que le jour où elle n’y est plus, nous pouvons facilement céder sa place à quelqu’un d’autre…. « S’attacher », « se détacher » tel un simple lien, une corde, sont aussi facile à exprimer, à l’imaginer et le vivre qu’à écrire… par contre « Aimer » et se « désAimer » ne peuvent s’imagine ni même s’expliquer. Certains vous diront « je ne l’aime plus… (mais est-il sûr d’avoir connu « l’Amour » et non un « attachement »)… seule, peut-être, « la haine » peut qualifier un « désamour », car ils sont deux sentiments différents mais tout aussi passionnels !

    · Il y a presque 7 ans ·
    Stop

    attachante

    • Ce qui vous rend d'autant plus attachante.

      · Il y a presque 7 ans ·
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      enzogrimaldi7

    • Merci... ^_^

      · Il y a presque 7 ans ·
      Stop

      attachante

  • Profond.

    · Il y a presque 7 ans ·
    Black

    le-droit-dhauteur

    • C'est l'idée merci. Si a tout le moins une personne l'a trouvé ainsi, c'est "gagné."

      · Il y a presque 7 ans ·
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      enzogrimaldi7

  • Magnifique! merci

    · Il y a presque 7 ans ·
    Kalvmxlw

    minuitxv

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