Le câlin vient de la mer (rencontre voluptueuse, entre deux vagues).

"Fais-moi un câlin !"

Je suis en pleine promenade méditative, au crépuscule, sur une jolie plage déserte, les pieds dans l'eau. Alors, entendre brusquement, cette voix féminine venue de nulle part, ça me trouble un peu.

Coup d'oeil circulaire: Personne en vue. Seules quelques mouettes, trop loin pour être concernées.

"Allez, dis ! Câlin !"   Un peu plus insistante, la supplique...

Je vais aux nouvelles: " Ben... Je ne suis pas contre une discussion, mais vous êtes qui et où ?"

"Bêta !" (Qui ? Moi?) "Oui, toi. Regarde au-delà du rivage, dans l'eau, pas très loin. Je suis visible. Alors ?"

Je scrute les vaguelettes et, là, oui, je vois un visage. Exquis, cheveux très longs, des yeux de douceur et... Le visage sort de l'eau, offrant un buste aux tétons mignons et ronds qui... Hop, tout disparaît en plongeon, remplacé par une queue de poisson étincelante au soleil couchant, elle fouette la mer avec impatience, plonge à son tour, le visage et le buste reviennent. Adorables tétons !

"Bon, ça y est ? Tu as compris ? Alors, ce câlin ?"

"Vous... êtes réelle ? Une Sirène ?"

"Oui. Si on en revenait au câlin ?" 

Je respire fort pour garder mon contrôle. "Rendez-vous compte, Madame... Vous me faites peur !"

"Néréia.  C'est mon nom. Je te fais peut-être un peu peur, mais je  te fais aussi un effet bien plus rassurant et d'excellent augure. Nous, les Sirènes, avons de très bons yeux. Inutile de nier !"

C'est vrai, tout soudain, j'éprouve une raideur forte et de bon aloi, que mon maillot de bain ne dissimule pas dans sa totalité.

"Néréia, votre peuple des Eaux a dangereuse réputation, votre voix peut séduire un mortel et le mener au trépas. Ulysse, la Loreleï,  tout ça... Ne me dites pas que c'est faux !"

Elle éclate de rire.  "Que t'es sot, mon grand ! D'abord, la trouille ne t'empêche pas d'avoir la trique, et de plus en plus.  Oui, nos voix ont un pouvoir terrible sur les mortels, mais seulement quand nous le voulons. Et ce n'est pas ce que je désire pour toi. Moi, je veux..."

"Un câlin, oui. Mais, dites vos chants, dans l'Antiquité..."

"Nos chants ? Oh, mais nous évoluons, mon gentil mortel en rut ! De nos jours, nous, les Sirènes, on s'est mises à la pop, au hard rock, au rock tout court. Genre Amy Winehouse, Janis Joplin, Madonna, Lady gaga, ou plus soft et mélodieux, Joan Baez, Aretha... Et bien d'autres."

"Céline Dion ?"

Elle s'énerve:  "Quoi ? Celle-là ?  Sois pas grossier, mon grand étalon !"

C'est elle qui le dit, hein ! J'y suis pour rien.

"Sans vous offenser, belle Néréia..."

"Oh ouiiii ! Offense-moi encore !"

"Pour un câlin tel que nous l'envisageons tous deux..."

"J'te vois venir, merveilleux humain: Tu te demandes comment je peux recevoir ton... puissant hommage ! Eh bien, pour un instant, je te donne une vue aussi excellente que celle des sirènes. Regarde au bas de mon ventre, juste avant ma splendide nageoire caudale."

Je regarde et je vois. Divines puissances célestes, quel exquis abricot marin ! Tendre et finement ourlé, avec ces douces gouttelettes dont, orgueilleux, j'attribue la présence à mon charme, et non à la mer.   Je demande, bouleversé: "Néréia ! Où vous rejoindre, vite, vite !"

"Les Sirènes commandent aux flots, voyons ! Le waterbed, tu connais ?"

Elle chante quelques notes amoureuses. Aussitôt, les vagues se calment, l'eau devient plate, moelleuse, accueillante comme un lit. La belle s'y allonge, chante encore, vers moi, des vocalises d'émotion dans lesquelles  je distingue mon nom, et "Viens !" Je vais, je bondis, ses bras me reçoivent...

          Ce qui suit appartient au monde des Délices,

          Nul autre que nous deux n'en peut être complice.

Après maints câlins et démonstrations d'affection, Néréia s'étire, m'embrasse, remue doucement le waterbed magique avec sa nageoire.

"Je reviendrai bientôt, mon terrestre amoureux !"

Ses yeux, soudain, pétillent d'allégresse. Mutine, elle m'informe: " Sais-tu que les Sirènes peuvent être fécondées par les mortels quand elles le désirent ? Et ben, hop ! C'est fait. Dans dix mois (on est plus lentes que vos femmes), tu seras un heureux papa de mignonnes triplées. Ouais, on peut choisir le sexe et le nombre. A très vite, m'amour !"

Elle bondit très haut, coquine dauphine câline, retombe en une gerbe de gouttes qui attrapent  les derniers rayons du soleil, et plonge vers les profondeurs.

J'ai repris ma promenade. Trois petiotes... Ont-ils des crèches, les peuples des fonds marins ?

                                Edouard HUCKENDUBLER  (apprenti dauphin)