LE JOUR DE CLAIRE

mylou32

LE JOUR DE CLAIRE:
 Claire était une enfant chétive ,presque maigre: elle mangeait peu à table,mais grappillait dans le jardin des fruits et légumes sous l'oeil attendri de sa nounou. Ses parents ne venaient que rarement la voir ou ils la prenaient pour passer quelques repas de noël en famille.Son grand-pére commandait des bombes en chocolat dans une grande maison à Paris,il réunissait tous ses enfants et petits-enfants et c’était le clou de la journée .Claire tremblait quand la méche était allumée ;elle frissonnait de peur derriére le canapé en rotin où tous les plus grands attendaient le moment fatidique où la bombe explosait, livrant ses multiples morceaux de chocolat et cadeaux tel un taille crayon en forme de chien,  parasols en papiers et autres babioles dont les enfants raffolaient.Claire se bouchait les oreilles pour ne pas entendre la déflagration mais elle percevait des bribes assourdies du déroulement. Derriére le canapé elle apercevait, arrivant jusqu’à elle les morceaux de chocolat qu’elle récoltait subrepticement et fourrait dans sa poche avec célérité: «Ce sera pour Mamour» se disait-elle. Des fois sa grande soeur ou ses cousines lui donnaient quelques  petits jouets miniatures qu’elle cachait dans les poches de son pantalon en rosissant de plaisir mais ne les remerciant pas pour autant: elle n’avait pas appris ce mot ou plutôt n’en comprenait pas le sens ; Sa mére insistait pour qu’elle le dise, devant tout le monde! à tout le monde !? à qui? alors Claire s’enfermait dans un mutisme borné . Suivait alors : «C’est une sauvage» et une longue diatribe où elle disait ne plus savoir que faire de cette enfant énigmatique qui aimait l’école mais bougeait tout le temps, ne mangeait rien et bla bla bla. Claire n’était déjà plus là, elle s’était éclipsée pour voir la mer Sa mer, ce petit coin de plage et de récif où elle allait chercher des coquillages; où elle plongeait avec masque et tuba pour admirer ses poissons multicolores qui venaient ,si elle ne bougeait pas trop, la frôler et lui chatouiller les mains. Dans ces moments là elle oubliait tout. Mais là cela faisait longtemps trop longtemps ce matin de Noël était déjà loin pour elle. Mamour l’avait embrassé et glissé «Amuses a ou bien» * tout en la faisant monter à l’arriére de la voiture.Claire avait regardé longtemps sa Mamour, sa silhouette repléte et son doux visage auréolé de cheveux blancs coiffée d’un chapeau de paille qu’elle lui avait toujours connu. Sa robe où les fleurs s’étaient estompées au fur et à mesure que la voiture roulait; Claire fronçait les sourcils ,clignait des yeux, rétrécissait son regard pour la voir encore plus longtemps...jusqu’à ce que les larmes lui viennent aux yeux. Alors elle disparraissait, sa Mamour avec son odeur de savonnette, ses bras où tous ses chagrins d’enfant s’évaporaient comme par enchantement, sa voix douce qui n’agressait pas ses oreilles; ses chansons que Claire ne se lassait pas d’entendre. Et son regard bleu azur , si bleu qui lui rappelait l’océan, le ciel . Claire ne vivait que pour ses moments avec Mamour, il n’y avait que l’école qui la distrayait de son amour pour sa nounou. 
* «Amuses-toi bien» en créole .

Mais quand elle s’éloignait comme ce jour de Noël, ce jour où tout a basculé ,peu lui importait les cadeaux, ses parents et la famille : La grosse bête à l’intérieur d’elle se réveillait, d’abord elle ouvrait un oeil, alors Claire commençait à bouger dans la voiture. Puis le deuxiéme oeil de la bête remuait dans son orbite et Claire priait: «Mon Dieu ,pas maintenant, je suis enfermée ,je ne peux pas bouger!» et alors la bête progressait, rampait dans sa tête et descendait dans sa poitrine, l’envahissait toute entiére, pour se confondre avec sa peau. Claire remuait les jambes, puis les bras pour qu’elle s’en aille, mais elle était là et s’incrustait morceau de peau par morceau , elle avait du mal à respirer, elle demandait alors à ses parents d’ouvrir la fenêtre de la voiture et cela a été non ,encore, sans explications, alors quand elle ne pouvait presque plus respirer et que la bête prenait toute la place en elle, quand ses griffes s’attardaient trop longtemps dans sa tête faisant le bruit de la craie crissant sur le tableau, Claire ouvrait la portiére arriére, sans plus de demandes, sans conscience du danger qu’était la route: elle voulait respirer. Les deux claques que lui administrait son pére aprés avoir pilé avait fait reculer le monstre, mais elle savait qu’il reviendrait, il était là tapi, au fond d’elle ,et ramperait à nouveau dés que la voiture redémarrerai.Sans plus réfléchir, Claire sauta sur la chaussée, au milieu des voitures, elle se mit à courir, les voitures la frôlaient en klaxonnant et elle courait toujours pour faire disparaître ce monstre qui la dévorait de l’intérieur, en courant il s’éclipsait, au fil des pas sur la route, l’étau se desserrait enfin! chaque pas la délivrait un peu plus du monstre, elle lapait l’air par a-coups, puis par grandes goulées au moment où elle ne sentait plus la bête , Claire s’arrêtat , écoutant au plus profond d’elle-même, le moindre souffle, mais il n’y avait que le sien, le moindre raclement qui ne venait pas de sa gorge, elle le savait, mais non! plus rien!Claire entendait de grands coups de freins autour d’elle , le bruit d’une circulation dense arrivait jusqu’à elle; une deux-chevaux jaune la heurta de plein fouet au moment où elle se retournait pour chercher la voiture de ses parents, elle n’entendait plus que son coeur qui lui murmurait : «MAMOUR, MAMOUR, MAMOUR , MA...

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