Soporifique voyage

Colette Bonnet Seigue

Soporifique voyage

         Il pleut à l’hôpital. La douleur s’amplifie,  enracinée, tenace. Torture indélébile qui ronge le corps las et consume le cœur en désespoir. Un bip salvateur à l’infirmière et c’est la  venue bienheureuse de la piqûre soporifique ! En un instant béni, dans un shoot réparateur, la maligne se fait victime et mon cerveau élévateur. Je m’élève, corps et neurones sur des sentes fantasmagoriques. Me voilà oiseau de feu, libellule ou goéland, hélicoptère ou Boeing !

  Il fait chaud, je brûle d’envie de trouer la fenêtre de ma chambre de verre. Fenêtre inhospitalière, interdite d’ouverture en cas de shoot trop tentateur !Soudain, devant moi, la fenêtre s’entrebâille pour une invite au voyage ascensionnel.Laissez grand ouverts ses battants ! Ne voyez-vous pas que j’étouffe dans ce microcosme médicamenteux ? Mon corps prisonnier des fils tentaculaires s’abandonne fourbu au flux et au reflux d’un sanguin goutte à goutte. Mais mon esprit en mal de large vagabonde vers cette ouverture, petite brèche aux vitres perméables. Je traverse avec aisance cette cloison invisible pour en découvrir son horizon : Un bateau passe pour quel port, pour quel large ? Un monde de vie libre au rythme de ses tempêtes lointaines qui vous transportent au gré des alizées dans un voyage en solitaire ? Un monde où l’amour-roi a largué ses amarres ? Un monde sans tubulures, où la souffrance en berne serait effacée, volatilisée à jamais ?

   Assise au bord de cette fenêtre mirage, j’entrevoie par-dessus les toits urbains un rai de lumière libérateur. Je me sens happée par cette vision qui m’apaise et me fortifie.

5h du matin : Je flotte, je vogue, je vole sur ce monde endormi dont je suis maître. Mon corps est léger comme  l’air voyageur. Ouvrez-vous fenêtres ! Pour ma  bienheureuse et vertigineuse libération ! Offrez-moi vos horizons de vie,  vos larges de haute mer !

  8h : La maligne aux pinces de crabe se réveille avec la ville, reprend ses droits avec ses hoquets  cinglants, tempétueux,  désinvoltes !

Barricadée ma fenêtre, grillagée au puits des douleurs ?

Ne la fermez pas ! Ne la fermez pas, j’ai encore à voyager…

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