Le manque, Ferrat et Torreton

Stéphan Mary

 

Salut toi. Il est 1h48 et j'ai envie de partager ce moment avec toi, juste toi et moi. Tu me fais entrer ?

Non ?

Bon !

Oui ? c'est très sympa Écoute, nous n'allons pas nous empêtrer dans les civilités. Moi c'est Zoé, toi c'est... toi ! Tu dis ? J'ai une petite mine ? Oui peut-être ! Je n'ai pas franchement le moral. Je n'y arrive pas. Elle me manque terriblement. Oh je ne vais pas te faire le coup des boyaux qui se tordent de douleur mais le manque est pénétrant, aussi glacial qu'un vent du nord par -20°. Ça fait pourtant déjà 9 semaines, 1 jour et quelques heures qu'elle a pris le camion en pleine poire. 3,4 boom, quand son coeur fait badaboum moi je fais boom boom. Il faut écouter Charles Trenet, ça fait du bien. Tu aimes aussi ? Super. Je ne trouve plus le sommeil, pas envie mais je mange, je fume, je bois et il m'arrive même de b... De ? Découcher ? Ah non. Non je ne découche pas, je ne me couche même plus, pas envie. Pardon ? Un coca s'il te plaît. Par contre je suis étonnée des nombreux messages de soutien mais rien n'y fait, elle me manque. Je vis comme la nature qui se cherche un coin d'oxygène sous la couche d'ozone. Je suis comme un orque qui aurait perdu son sonar, totalement déroutée. Ah oui les messages. Je n'ai quasiment pas répondu, pas la force. Pourtant la vie est là, heu non, la survie plutôt. Je sors, je vais au ciné, je vais voir des expos. Je vois mes potes gueules cassées. Fred me tient la main et je récupère petit à petit la dose d'humour qui nous lie. Lanac me sert de kleenex affectif géant. Elle m'a emmenée passer une semaine chez Louise. Lente convalescence après le choc. P'tain qu'elle me manque.

C'est encore trop frais pour en parler. Changeons de sujet, tu vas voter dimanche ? Oui je pense qu'il faut y aller. Il y a des relents de fermetures, exclusions, expulsions en tout genre qui laisse songeuse. Tiens ce soir, je vais changer. Pas de clip lesbien coquin mais un peu de lecture. Ça ne mérite pas le Goncourt mais c'est quand même sacrément bien balancé. Bonne lecture

Lettre à Jean Ferrat, par Philippe Torreton

29 Avril 2012Par olivier perriraz

Jean, J’aimerais te laisser tranquille, au repos dans cette terre choisie. J’aurais aimé que ta voix chaude ne serve maintenant qu’à faire éclore les jeunes pousses plus tôt au printemps, la preuve, j’étais à Entraigues il n’y a pas si longtemps et je n’ai pas souhaité faire le pèlerinage. Le repos c’est sacré !

Philippe Torreton (Hamlet) en 2011 au Château de Grignan© Olivier Perriraz

Pardon te t’emmerder, mais l’heure est grave, Jean. Je ne sais pas si là où tu es tu ne reçois que Le Figaro comme dans les hôtels qui ne connaissent pas le débat d’idées, je ne sais pas si tu vois tout de là-haut, ou si tu n’as que les titres d’une presse vendue aux argentiers proche du pouvoir pour te tenir au parfum, mais l’heure est grave !

Jean, écoute-moi, écoute-nous, écoute cette France que tu as si bien chantée, écoute-là craquer, écoute la gémir, cette France qui travaille dur et rentre crevée le soir, celle qui paye et répare sans cesse les erreurs des puissants par son sang et ses petites économies, celle qui meurt au travail, qui s’abîme les poumons, celle qui se blesse, qui subit les méthodes de management, celle qui s’immole devant ses collègues de bureau, celle qui se shoote aux psychotropes, celle à qui on demande sans cesse de faire des efforts alors que ses nerfs sont déjà élimés comme une maigre ficelle, celle qui se fait virer à coups de charters, celle que l’on traque comme d’autres en d’autres temps que tu as chantés, celle qu’on fait circuler à coups de circulaires, celle de ces étudiants affamés ou prostitués, celle de ceux-là qui savent déjà que le meilleur n’est pas pour eux, celle à qui on demande plusieurs fois par jour ses papiers, celle de ces vieux pauvres alors que leur corps témoignent encore du labeur, celle de ces réfugiés dans leur propre pays qui vivent dehors et à qui l’on demande par grand froid de ne pas sortir de chez eux, de cette France qui a mal aux dents, qui se réinvente le scorbut et la rougeole, cette France de bigleux trop pauvres pour changer de lunettes, cette France qui pleure quand le ticket de métro augmente, celle qui par manque de superflu arrête l’essentiel...

Jean, rechante quelque chose je t’en prie, toi, qui en voulais à d’Ormesson de déclarer, déjà dans Le Figaro, qu’un air de liberté flottait sur Saïgon, entends-tu dans cette campagne mugir ce sinistre Guéant qui ose déclarer que toutes les civilisations ne se valent pas ? Qui pourrait le chanter maintenant ? Pas le rock français qui s’est vendu à la Première dame de France. Écris-nous quelque chose à la gloire de Serge Letchimy qui a osé dire devant le peuple français à quelle famille de pensée appartenait Guéant et tous ceux qui le soutiennent !

Jean, l’Huma ne se vend plus aux bouches de métro, c’est Bolloré qui a remporté le marché avec ses gratuits. Maintenant, pour avoir l’info juste, on fait comme les poilus de 14/18 qui ne croyaient plus la propagande, il faut remonter aux sources soi-même, il nous faut fouiller dans les blogs... Tu l’aurais chanté même chez Drucker cette presse insipide, ces journalistes fantoches qui se font mandater par l’Élysée pour avoir l’honneur de poser des questions préparées au Président, tu leur aurais trouvé des rimes sévères et grivoises avec vendu...

Jean, l’argent est sale, toujours, tu le sais, il est taché entre autres du sang de ces ingénieurs français. La justice avance péniblement grâce au courage de quelques uns, et l’on ose donner des leçons de civilisation au monde...

Jean, l’Allemagne n’est plus qu’à un euro de l’heure du STO, et le chômeur est visé, insulté, soupçonné. La Hongrie retourne en arrière ses voiles noires gonflées par l’haleine fétide des renvois populistes de cette droite "décomplexée".

Jean, la montagne saigne, son or blanc dégouline en torrents de boue, l’homme meurt de sa fiente carbonée et irradiée, le poulet n’est plus aux hormones mais aux antibiotiques et nourri au maïs transgénique. Et les écologistes n’en finissent tellement pas de ne pas savoir faire de la politique. Le paysan est mort et ce n’est pas les numéros de cirque duSalon de l’Agriculture qui vont nous prouver le contraire. Les cowboys aussi faisaient tourner les derniers indiens dans les cirques. Le paysan est un employé de maison chargé de refaire les jardins de l’industrie agroalimentaire. On lui dit de couper, il coupe ; on lui dit de tuer son cheptel, il le tue ; on lui dit de s’endetter, il s’endette ; on lui dit de pulvériser, il pulvérise ; on lui dit de voter à droite, il vote à droite... Finies les jacqueries !

Jean, la Commune n’en finit pas de se faire massacrer chaque jour qui passe. Quand chanterons-nous "le Temps des Cerises" ? Elle voulait le peuple instruit, ici et maintenant on le veut soumis, corvéable, vilipendé quand il perd son emploi, bafoué quand il veut prendre sa retraite, carencé quand il tombe malade... Ici on massacre l’École laïque, on lui préfère le curé, on cherche l’excellence comme on chercherait des pépites de hasards, on traque la délinquance dès la petite enfance mais on se moque du savoir et de la culture partagés...

Jean, je te quitte, pardon de t’avoir dérangé, mais mon pays se perd et comme toi j’aime cette France, je l’aime ruisselante de rage et de fatigue, j’aime sa voix rauque de trop de luttes, je l’aime intransigeante, exigeante, je l’aime quand elle prend la rue ou les armes, quand elle se rend compte de son exploitation, quand elle sent la vérité comme on sent la sueur, quand elle passe les Pyrénées pour soutenir son frère ibérique, quand elle donne d’elle même pour le plus pauvre qu’elle, quand elle s’appelle en 54 par temps d’hiver, ou en 40 à l’approche de l’été. Je l’aime quand elle devient universelle, quand elle bouge avant tout le monde sans savoir si les autres suivront, quand elle ne se compare qu’à elle même et puise sa morale et ses valeurs dans le sacrifice de ses morts...

Jean, je voudrais tellement t’annoncer de bonnes nouvelles au mois de mai...Je t’embrasse.

Philippe Torreton

P.S. Il y a un copain chanteur du Président de la République qui reprend du service dans la grande entreprise de racolage en tout genre et qui chante à ta manière une chanson en ton honneur. N’écoute pas, c’est à gerber.

  • je n'avais pas dû le lire avant. C'est superbe, émouvant et si vrai. Notre Jean si bien évoqué et tellement regretté; Je n'ai eu connaissance que récemment de la chanson de Barbelivien que j'ai quand même aimée sûrement parce qu'elle reprend les mots de Jean Ferrat : ce qui m'a émue aux larmes. Dommage si ce n'était que pour faire du chiffre, ce que le magnifique Jean n'aurait pas approuvé. En tout cas le texte de Torreton est, quant à lui, bouleversant et criant de sincérité : merci pour ce partage.

    · Il y a plus de 10 ans ·
    Default user

    tendresse

  • fana de Ferrat (voir piéce jointe) ce texte me touche toujours autant encore merci de me le rappeler

    · Il y a presque 12 ans ·
    Mariage marie   laudin  585  orig

    franek

  • Je l'ai déjà partagé dernièrement, ce texte mais là, il est bien enrobé...bravo et merci de le mettre en valeur, Lanac & Zoé !!!

    · Il y a presque 12 ans ·
    Pascal 3 300

    Pascal Germanaud

  • merci pour le partage, je n'avais pas pris le temps de lire. Trop ou pas, moi, ça m'a tiré les larmes.

    · Il y a presque 12 ans ·
    120x140 image01 droides 92

    bleuterre

  • Rien à faire, le texte "engagé" - de quelque côté que ce soit - , aussi talentueux puisse-t-il être, je n'accroche pas. N'importe qui peut montrer uniquement le côté noir des choses, ce sera toujours "trop", on n'y croit qu'à moitié, voire pas du tout, et ça fait l'inverse du but recherché. Brassens l'a déjà dit : hurler "crosse en l'air" n'a jamais fait un pacifiste...

    · Il y a presque 12 ans ·
    Photo du 57301621 05    15.55 orig

    le-fox

  • je me doute pourquoi tu a effacé mon texte et celui de Mystéria, donc, on oublie tout, tu l'a lu, c'est le principal. Grosses Bises.Et le texte de Torreton, Pascal Germanaud, l'a publié Hier.Je réitère mes embrassades.

    · Il y a presque 12 ans ·
    Moi

    Yvette Dujardin

  • des demis coeurs, ah putain, c'est terrible. jusqu'au coeurs les bloqués au stade anal. magnifique texte, même si Torreton, hummm !

    · Il y a presque 12 ans ·
    Gants rouge gruauu 465

    eaven

  • Merci Philippe... pour ton PS... pourquoi ne pas préciser qu'il s'agit de Barbelivien? qui se raccroche à ce qu'il peut pour faire du chiffre... et c'est quoi ce demi cœur??? non, mais!

    · Il y a presque 12 ans ·
    Locq2

    Elsa Saint Hilaire

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