Le nouveau.

ellis

Marie. #3.

Le nouveau. Il a la tête un peu rentrée dans les épaules quand il marche. Il traîne une vieille parka beige doublure carreaux et une cigarette dans la main. Barbe généreuse de quelqu'un qui ne fait pas exprès. Comme une jungle qui serait venue couvrir ce qu'il veut cacher. Mais ses yeux ont le dernier mot. Il ne sourit pas beaucoup et c'est dommage. Parce que c'est à cet endroit que tout se passe, dans ses yeux qui s'allument quand il sourit. La barbe tombe, la parka tombe, la tête sort des épaules, et ça vous prend un peu à la poitrine pour vous donner une petite chaleur agréable. Alors quelque fois, Marie a envie de lui parler, juste pour allumer son sourire. Juste parce qu'il fait trop sombre depuis trop longtemps, et que parfois, elle est un peu fatiguée du silence.

Et puis, il est doux, le nouveau.

Bien sûr les autres sont gentils, bien sûr, elle les connaît depuis mille ans, et ils la connaissent, et tous respectent bien les petites frontières établies au fil des semaines et des vies qui passent. Mais parfois, elle rêve d'un faux pas. D'une maladresse. De quelque chose qui viendrait rompre l'équilibre des flux de ce putain d'open space. Alors quand le nouveau s'assoit en face d'elle le matin, et qu'elle devine son regard sur elle, il y a comme un élan qui lui donne envie de lui tendre un secret.

Parfois, Marie, elle se dit qu'elle pourrait lui parler.

Mais pour ça, il faudrait d'abord qu'il lui parle.

Alors, elle se balance sur sa chaise avec une nonchalance qui n'existe presque pas, et dessine dans sa tête un projet. Bientôt Marie va faire un truc fou. Et lui trouvera ça normal, parce qu'ils sont encore inconnus l'un de l'autre. Terres vierges. Et ça la fait sourire rêveusement, dans ce mouvement de balancier qu'elle opère tranquillement pendant qu'elle l'observe du coin de l'œil. Terres vierges. Terres vierges.  On dirait une chanson.

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