le rappel de la peau
bleuterre
Christine sentit un jour germer ce projet, tout au creux de son esprit. Il vint des fins fonds des mythes et légendes, dans une grotte intemporelle de l'inconscient collectif.
Il prit la forme d'un archaïque saurien, qu'elle a dessiné sur une feuille de papier. Elle l'a rêvé sorti de la terre et de l'eau. Elle l'a rêvé traversant les flammes, royal et robuste, grimpant sur les rochers abrupts de son quotidien.
Elle a regardé des ouvrages, des tables de gravures et de symboles, certains venus des peuples de la mer, férus de cette tradition de marque.
C'était venu quelques temps après la rencontre avec Paul. Elle avait découvert avec lui que son corps pouvait ressentir ce que jamais elle n'avait pu imaginer. Elle s'était au départ sentie belle et appartenir à elle même. Alors ce projet avait pris forme au creux de son corps.
Et puis peu à peu, Paul avait pris possession de son corps de son esprit, de ses sens. Il lui avait tiré une balle dans la peau de ses fantasmes, et puis avait fini par partir.
Alors le projet était revenu hanter Christine, pour tenter d'effacer de façon symbolique cette emprise. Un long chemin douloureux s'annonçait à nouveau pour tenter de s'appartenir à elle même.
Et ce projet faisait partie de ce chemin qu'elle tentait de tracer.
Sans doute que sa mère n'avait jamais vraiment fini d'accoucher cette femme qui accordait si peu de place à ses désirs.
Alors elle avait franchi le pas. Ouvert la porte de l'échoppe, près de la gare, et pris rendez vous.
Elle se sentait étrangère à ce monde, cette communauté, ces photos qui ornaient la devanture de la boutique. Mais l'accueil était à la hauteur de ses attentes.
Elle attendait ce rendez vous le cœur battant, c'était son désir à elle qu'elle allait concrétiser.
Géraldine l'accueillit et pris le temps de donner forme à son projet. Elle montra ses dessins, expliqua les symboles, sa démarche. Un autre rendez vous fut pris pour finaliser, styliser la forme.
Elle revit Géraldine une semaine plus tard. Quand elle vit le dessin, elle se dit que cette femme l'avait comprise, entendue, écoutée. Le prochain rendez vous donnerait corps au projet.
Géraldine l'avait avertie de la douleur qu'elle allait ressentir pour entrer dans la communauté de ceux qui choisissaient de marquer leur corps. Mais Christine était décidée et rien ne la ferait changer d'avis.
Christine pleura de douleur pour sa salamandre, remplis de symboles solaires. Elle repensa à sa mère « il faut souffrir pour être belle ». Elle souffrait déjà tant de naître à elle même, qu'être belle devenait souvent bien secondaire. Mais cette salamandre était pour elle le signe, tatoué sur son épaule, du chemin qu'elle avait choisi d'entreprendre. Elle était cette main paternelle, trop tôt disparue qui la poussait dehors dans les méandres de la vie.
Ce saurien, en hiver, restait caché sous les pulls et révélait sa tête aux beaux jours de printemps. Il devenait le gardien de ce corps et la revendication d'une autre vie à venir. Il était son intime ordinaire qui devait rester en germe au fond d'elle même.
Merci de vos lectures.... bon, maintenant faudra que j'écrive sur le piercing ;-)
· Ago over 12 years ·bleuterre
Graver la peau pour ne pas oublier ce qui a été et changer se qui sera.
· Ago over 12 years ·Magnifique texte qui explique la genèse du tatouage.
ake
C'est très beau. La "revendication d'une autre vie à venir", moi c'est comme ça que je prends les tatouages car même s'ils parlent (parfois) du passé, ils montrent un désir d'avenir différent, dans tous les cas.
· Ago over 12 years ·wen
C'est magnifiquement écrit...moi qui n'aime pas les tatouages, celui-ci est plein de poésie ! Bravo, Bleuterre !!!
· Ago over 12 years ·Pascal Germanaud
La peau qui explique la vie, meme sans tatouage, et la peau comme frontière! Comme tu as raison. Oh! Combien!
· Ago over 12 years ·Et ton texte est superbe.
divagations-solitaires
Une salamandre qui monte la garde ! Juste bien ce texte !C'est beau une salamandre ! Ici il y a des petits lézards au joli nom de "rapiettes" qui se posent comme des virgules sur les murs,les pierres et dans la main juste pour le plaisir ! Mais je m'égare !
· Ago over 12 years ·theoreme
Merci à vous.
· Ago over 12 years ·Émanations du cerveau reptilien ? Ou tentative de représentation de ce qu'il inspire ?
La peau qui explique la vie, sans doute dans la mémoire sensorielle qu'elle garde en surimpression. Je pensais aussi à la peau comme frontière, et à l'animal comme gardien de cette frontière.
bleuterre
...des ballafres d'aventures, des marques, des dessins...la peau explique la vie!?
· Ago over 12 years ·ar-deblain-dit-livel
Hermanoïde a des gros cros d'île, moi des dragons de Komodo, toi une salamandre (à pas confondre avec un axolotle ! quoique ce dernier n'a pas que des défauts) tous ceux-là sont des émanations de nos cerveaux reptiliens à moins que ce ne soit le contraire ?
· Ago over 12 years ·eaven
il est très très bien ton texte, cdc
· Ago over 12 years ·reverrance
mercii Mysteria.... contente que mon texte te plaise....
· Ago over 12 years ·bleuterre
WAAHOU! c'est beau. je suis estourbie. la vache, c'est vraiment un beau texte.
· Ago over 12 years ·le pourquoi du comment, en quelque sorte...
vachement bien!
Karine Géhin