Le vieux John

Stéphan Mary

La place du cinéma se vidait de ses voitures pour laisser d’autres véhicules se garer pour les films suivants. Les yeux du vieux John se posèrent sur un papier gras dans le caniveau. A côté, une boîte de coca finissait de déverser le reste de liquide. Le tabac était plein, il fermait dans vingt minutes. Le feu passa au rouge. il fallait traverser cette rue aux bordures de peupliers. A droite une autre petite place, proprette, sans grand intérêt. Pas grand monde. La rue filait droit devant. A droite encore, un squatt graphité de toute part, à gauche un café vide. Plus loin la laverie tournait à plein régime. La porte de la boîte de nuit était ouverte, c’était l'heure du ménage pour Raymond mais le vieux John était pressé. Tout droit, toujours tout droit puis à gauche. Les voitures s'enfilaient prudemment dans le rond-point. A droite. Il aimait longer les quais. De l'autre côté coulait la Seine. Au rond-point suivant, encore à droite. Il y avait plus de monde. Les gens marchaient lentement par petits groupes. Il remarqua deux filles enlacées. Tout droit encore et toujours. Quelques gouttes de pluie s'écrasaient sur les pare brise. L'épicerie du quartier était allumée comme d'habitude. Une bande de copains en sortait, armés de bières et de vin ordinaire. Il vit Fred tendre un joint à Djamel. Au bout à nouveau à droite puis à droite. Voilà c'est là.

Son cœur battait à une vitesse folle. Le cybercafé était plein mais Max, le gérant, sourit au vieux John et lui désigna un ordinateur de libre « Réservé tout spécialement. Ca va aujourd’hui ? ». Le vieux John répondit par l’affirmative, s’installa et enfin oublia tout. Il oublia ses soixante dix ans, ses fonctions d’époux, de père, de grand-père toujours et encore. Ne plus être défini avec ces rôles à tenir jusqu’à ce que mort s’ensuive. Ne plus être dans cette réalité mais aller voir ailleurs, là où l’herbe est verte et le soleil omniprésent. Puis il avait découvert Internet, au tout début installé chez lui par son petit fils pour, paraît-il, recevoir les photos des uns et des autres, des petits mails sympathiques et même des vidéos rigolotes. Cela avait modifié pour Marthe et lui leur quotidien. Marthe faisait ses courses en ligne, vérifiait leurs deux retraites, répondait aux mails des enfants. Marthe…

Le vieux John oublia sa femme pour se connecter sur son chat. Marie était en ligne. Immédiatement, sa tension augmenta d’un cran. Il était tombé fou amoureux au bout de quelques moments partagés avec elle. Il avait menti sur son âge, sur son look, sur sa vie familiale sans aucun scrupule. Qu’est ce que cela pouvait faire ? De toute façon, personne n’en saurait jamais rien. Il proposa à Marie de la retrouver dans un salon privé du chat de façon à ce que personne ne vienne lire, donc abîmer leur conversation. Dès qu’ils se furent installés dans leur espace personnel, John très en forme ce jour là, décida de la séduire.

-          Bonjour Marie, vous allez bien ?

-          Ca va Jean et vous ?

-          J’ai un aveu à vous faire mais j’ai un peu peur

-          Quel aveu Jean ?

-          Je ne m’appelle pas Jean mais John

-          C’est très bien John mais pourquoi avoir inventé Jean ?

-          Mon petit fils m’a recommandé d’être toujours anonyme, de prendre un pseudo

-          D’accord John mais pourquoi me le dire aujourd’hui ? Cala fait quatre mois que nous tchattons

-          Parce qu’aujourd’hui c’est mon anniversaire. C’est un peu comme si je vous faisais cadeau d’un instant de spontanéité

-          Y aurait il autre chose à savoir ?

-          Marie, vous êtes vraiment sur Paris ?

-          Bien sûr

-          Et si on se voyait ?

-          Non, je ne crois pas que ce soit une bonne idée

L’estomac du vieux John se contracta dans un spasme douloureux. Il sentit un excès de transpiration sous les aisselles. Fixant l’écran il ne voyait que ce non définitif, ce non qui venait broyer toutes ses illusions. Il revint à lui et s’arrêta enfin sur leur conversation

-          John, vous êtes là ?

-          Oui Marie

-          Auriez-vous envie de quelque chose de particulier pour votre anniversaire ? D’ailleurs, je ne connais même pas votre âge

-          A votre avis ?

-          Je vais vous étonner mais je n’en ai aucune idée. Je dirai plus de quarante

-          Vous avez raison c’est plus. Vous ne voulez vraiment pas que l’on prenne un verre ? Il fait bon, nous pourrions siroter quelque chose en discutant

-          Non John mais je vais vous faire un cadeau. Vous êtes seul ?

Il regarda distraitement autour de lui et répondit stupidement

-          Oui

-          Alors inventons notre rendez vous. Où voudriez vous que l’on se rencontre ?

-          Il y a une guinguette « La Marne »  que j’adore

-          Je connais La Marne. J’y allais avec feu mon mari. Donc nous nous retrouvons là bas, d’accord. A l’intérieur ou en terrasse ?

-          En terrasse il fait beau. A quoi est ce que je vous reconnais ?

-          C’est moi qui viens à vous John parce que je suis sûre de vous remarquer. De quoi parlons nous ?

-          De rien Marie. Je veux juste vous regarder

-          Et me déshabiller ?

-          Marie !

Il se sentait totalement déstabilisé. La dévêtir… Pour lui offrir son pauvre sexe vieilli et inefficace. Cela faisait combien de mois, d’années qu’il n’avait pas fait l’amour à sa femme ? Combien ? Une larme incontrôlée vint s’écraser sur le clavier.

-          Marie, voyons nous. S’il vous plaît 

Il regarda l’écran qui ne vivait plus. Elle ne répondait pas. Au bout d’une minute qui lui paru une éternité, il commença à paniquer

-          Marie ?

-          J’habite au 23 rue du Désir. Je vous attends.

Lorsque le vieux John sonna, il était à deux doigts de l’infarctus. La porte s’ouvrit mais seule une voix étouffée de femme l’accueillit. Elle lui dit « Entrez John. Ne posez pas de question et faites moi confiance ». Il s’avança dans le vestibule. Il sentait bien qu’elle était derrière lui aussi ne fut il pas surpris lorsque qu’elle lui mit un bandeau sur les yeux. La voix lui murmura à l’oreille « N’ayez pas peur, laissez vous faire John. Je vais moi aussi vous faire un cadeau ». Elle lui prit la main et le dirigea vers la chambre.

Le vieux John se laissa déshabiller sans un mot, le cœur tellement en vie, le corps sincèrement envie. Il était encore debout quand elle posa ses lèvres sur son torse. Elle le léchait à petits coups de langue rapides et efficaces, prenant tout son temps. Il demanda « Marie, embrassez moi ». Il fut surpris de s’entendre répondre « Je n’embrasse jamais. Détendez vous ». Alors le vieux John décida de ne plus décider de rien. Elle le poussa gentiment jusqu’à ce qu’il sente le lit. D’une main elle l’obligea à s’allonger pendant que de l’autre, elle ouvrait le pantalon. Lorsqu’il sentit la chaleur de la paume sur son aine, il cru vraiment qu’il allait mourir. Elle le caressait doucement, cherchant à l’amener vers la rigidité de son pénis. Il se sentait comme engloutit dans le plaisir, gémissant presque de trop de libido. Marie accompagnait sa plainte par une respiration plus rapide, plus audible. Il sentait son sexe gonfler et se tendre vers des horizons inconnus. Lorsqu’elle le mit dans sa bouche, il eu un cri de surprise. Elle commença alors une fellation un peu maladroite mais tellement bonne. Il voulait la toucher mais elle se dérobait à chaque frôlement. La bouche courait sur son membre congestionné, jouait avec son plaisir. Dès qu’il se raidissait, elle arrêtait mais c’était pour mieux reprendre sa valse folle. Elle jouait avec ses bourses pleines comme aucune femme, mais il y en avait eu si peu, ne l’avait fait. Il éjacula assez vite. Elle lui laissa le temps de se reprendre en lui massant doucement les tétons.

Lorsqu’il eu récupéré, les yeux toujours bandés, elle reprit presque avec tendresse des caresses beaucoup plus suggestives. Quand il fut prêt, elle l’amena à nouveau à se tendre vers le ciel. C’est tout du moins l’impression qu’il eu. Etre au ciel, mourir de plaisir le jour de son anniversaire, ce serait si… Il ressentit un immense tremblement quand elle saisit son membre pour l’enfoncer tout doucement en elle. Elle s’était assise sur lui et se balançait de haut en bas puis de bas en haut dans un mouvement régulier. « Un métronome » pensa t-il. Il posa ses mains sur les hanches de Marie qui fermement se dégagea et lui maintint les poignets pendant qu’elle accélérait son mouvement du bassin. Le vieux John sentait venir la jouissance mais il ne voulait pas partir sans elle. Il se mordit violemment l’intérieur de la joue pour dominer le plaisir. Elle accéléra très vite et il comprit qu’elle était prête. Alors dans un cri haletant, il se cambra et ne put s’empêcher de dire « Je vous aime » puis il retomba quasiment inconscient.

Le vieux John se rendit le lendemain au cybercafé pour retrouver Marie mais elle n’était pas là. Idem le surlendemain, et le jour suivant. Plus de Marie. Le quatrième jour, il osa se rendre à l’adresse qu’elle lui avait donnée mais sonna en vain. Paniqué, il descendit à la loge du gardien qui l’assura que Madame était partie en vacances illimitées. Pour combien de temps ? Il n’en avait aucune idée.

John rentra chez lui malheureux comme les pierres. Marthe en le voyant, lui sourit avec bonté.

-          John, quelque chose ne va pas ?

-          Je suis fatigué Marthe, je vais me coucher

-          Tu as fait ta balade quotidienne ?

-          Oui mais je n’ai pas vu Raymond nettoyer la boîte de nuit. Pas de pause café avec mon copain. Demain peut-être

-          Tu as l’air bizarre ! Tu es triste ?

-          Pourquoi ?

-          Cette habitude que tu as de répondre à une question par une question

Il se dirigeait vers les toilettes mais s’arrêta net. En une fraction de seconde il sentit Marie derrière lui. Il gémit en pensant « je deviens fou ! » Il lui sembla même qu’il pleurait. Il se retourna lentement et regarda longuement son épouse puis murmura

-          Je deviens fou

Marthe sourit tendrement et de sa voix douce tenta de le rassurer

-          Mon pauvre chéri, ne te laisse pas abattre. Elle reviendra quand tu t’y attendras le moins mais elle reviendra.

Il frissonna de la tête aux pieds subitement alarmé

-          De quoi parles tu ?

-          De la vie John, de la vie.  Vas te reposer

-          Non maintenant j’ai envie d’aller marcher. Tu viens ?

Main dans la main, ils prirent le chemin que John empruntait tous les jours pour se rendre au cybercafé. Il ne connaissait que cette route. Depuis qu’on lui avait diagnostiqué un alzeimer, il s’était efforcé de prendre des repères. La place du cinéma, les arbres, Raymond, le squatt, marcher encore. L’épicerie. Au bout à nouveau à droite puis à droite.

Voilà c'est là.

Marthe lui proposa qu’ils prennent un ordinateur chacun. Elle devait répondre aux enfants et quitte à être là, autant en profiter. Il y avait bien deux ordinateurs de libres leur expliqua Max mais à l’opposé l’un de l’autre. Marthe pris les choses en main, installa le vieux John devant une des machines et partit s’asseoir de l’autre côté. De fait, ils se tournaient le dos. John se connecta sans grand espoir et fut bouleversé de voir Marie en ligne. 

-          Bonjour Marie. Où êtes vous ?

-          Chez moi John. Vous venez ?

-          Maintenant je ne peux pas. Demain ?

-          Je ne serais pas là. Voulez vous que je vous remémore notre entrevue ?

-          Je n’ai rien oublié Marie, rien ! J’ai envie de vous, terriblement

-          Je peux vous faire l’amour en ligne

-          Comment ça en ligne ? Il faut que l’on soit côte à côte ??

-          En ligne veut dire par Internet. Je peux vous dire tout de suite que je suis encore en nuisette. Vous ne me connaissez pas mais moi je vous connais bien mon ami. Je vous bande les yeux et vous autorise à m’embrasser. Vous êtes allongé sur mon lit et je vous autorise à m’exciter, me caresser. Vous faites monter le désir en touchant subtilement mon clitoris. Longtemps John, j’aime que ça dure. Vous pouvez même me lécher si vous voulez, j’adore ça. Je ne vous branle pas tout de suite, je ne voudrai pas vous tuer

-          Encore Marie

-          Oui encore John. Faites moi jouir sans pénétration. Ensuite je vous prendrais. Quoique non, je crois que je préfère vous tourner le dos. Vous comprenez John ?

-          Oh oui !!! Je suis derrière vous et je vous pénètre lentement. Nous sommes au même rythme. Nous jouissons ensemble. Je passe mon bras sur votre ventre et je remonte jusqu’à vos seins. Je caresse doucement vos tétons tout durs

-          John je mouille, arrangez vous pour venir

-          Moi aussi je bande. Je vous veux à moi, entièrement nue, totalement offerte

-          Comme vous y allez. Je m’offre quand je veux, comme je veux, à qui je veux. Surtout à qui. Venez John, vous ne le regretterez pas

-          Je vais m’arranger mais là présentement, je ne peux pas me lever et encore moins marcher

-          Je vais vous aider. Reprenons notre conversation. Je vous embrasse d’abord le testicule droit, puis le gauche jusqu’à remonter le long de votre queue. Vous jouissez John, maintenant

-          Oui maintenant dit il dans un souffle, maintenant. J’arrive

-          Attendez. Laissez moi une heure que je me pomponne

-          D’accord dans une heure. Je vous aime.

Le vieux John s’approcha de Marthe qui semblait en avoir fini avec ses mails. Il lui dit qu’il avait envie de marcher un peu, seul. Elle lui répondit qu’elle allait faire les boutiques avant les soldes.

Il arriva une heure plus tard rue du désir. Marthe/Marie lui banda les yeux comme convenu puis le dirigea vers le grand canapé en cuir du salon… Elle lui chuchota à l’oreille « Voilà John, c’est là que vont s’arrêter vos souvenirs, sur la plus belle histoire de votre vie ». Il demanda en chuchotant lui aussi « Laissez moi voir votre visage ». Elle refusa prétextant que c’était là le côté singulier de leur rencontre. Tout en le déshabillant, elle frottait son entrejambe avec sa cuisse. Elle n’eut aucun effort à faire pour atteindre une bandaison qui allait les emmener tout deux vers la petite mort et peut-être, pour ne jamais en revenir.

Stéphan Mary

  • hé!! j'avais pas vu! bravo pour le concours! félicitations, c'est mérité!

    · Il y a presque 12 ans ·
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    Karine Géhin

  • Bravo pour le concours, Lanac ou Zoé, ou à quatre mains, pour écrire, mais c'est pas juste, nous n'en avons que deux, (je plaisante), j'avais noté comme je le fais pour mes amis, lu, pas laissé de commentaire, car pas lu à l'époque. mais je relirais une deuxième fois. Je vous embrasse.

    · Il y a presque 12 ans ·
    Moi

    Yvette Dujardin

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