L'empathique.

Alain Le Clerc

Tout le monde a besoin d'une oreille attentive.

Ceci est une histoire vraie. Aucun animal n'a été blessé durant son écriture.

Il y a une quinzaine d'années, j'étais étudiant de jour, travailleur de soir et j'avais un semblant de vie sociale le weekend.

Une bonne amie à moi  (nous l'appellerons Sandrine) avait une vie peu banale et m'appelait souvent pour me confier ses états d'âme. J'étais le confesseur empathique, ''diffuseur'' d'encouragements et ''remonteur'' de moral. En faite, je passais le plus claire de mon temps à relativiser ses drames et à lui faire voir la futilité de ses débordements affectifs. Elle était toujours dans l'action, j'enviais sa naïveté, sa propension à vivre ses passions. En comparaison, j'étais le peureux cartésien, toutes les raisons étaient bonne pour éviter de varier mes routines. Au fond, j'étais secrètement amoureux de Sandrine.

Un vendredi soir, alors que je m'affairais à laver une montagne de vaisselle, en écoutant le dernier CD de U2,  le téléphone sonna.

-              Antoine, c'est terrible. Il...Il...

Sandrine reniflait.

-              Qu'est-ce qui se passe Sandrine ? 

J'étais crevé. Une semaine de fou. Une montagne d'études et un patron exigeant qui était constamment sur mon dos.

-              C'est Dédé.

Dédé. Le petit caniche royal de sa mère. Sandrine l'adorait plus que sa vie elle-même. Sa mère traitait le canin comme un humain. Avec des privilèges en plus.

-              Qu'est-ce qu'il a ? soupirai-je.

-              J'te dérange ?

-              Non, non. Raconte-moi.

-              Il est très malade. C'est grave.

-              Ta mère s'en occupe ?

-              Oui, mais elle est un peu débordée. Tu comprends.

-              Je comprends. Tu sais Sandrine. Il était quand même vieux.

Sandrine se mit à pleurer.

-              Je sais . Mais je ne veux pas qu'il nous quitte.

Quel pathos.

-              Est-ce que vous allez... euh..l'aider à partir ? 

Sandrine cessa de pleurer.

-              Qu'est-ce que tu veux dire ?

-              Bien, tu sais quand ils sont trop vieux...On leur donne parfois des injections. Pour limiter la souffrance.

-              Mais tu es un monstre ! Je croyais que tu comprendrais.

-              Je comprends Sandrine, mais je trouve que tu fais tout un plat pour un vieux chien.

-              Espèce de salaud !

-              Ho la ! Calme-toi !

-              Me calmer ? Mais tu t'écoutes espèce de sadique !!

-              Sandrine, je m'excuse, je ne voulais pas te froisser. Mais je trouve que tu t'en fais beaucoup pour rien.

-              Pour rien !?! Mais t'es malade ?

-              Écoute, franchement. Je comprends ton attachement, mais tu ne crois pas que tu dramatises un peu ?

-              Je rêve ou quoi ? Il va mourir ! Tu comprends ? Et rien ne pourra le ramener !

Je l'aimais bien, mais j'étais trop crevé pour me taper une crise de larmes pour un chien.

-              Sandrine, honnêtement. Tu n'as qu'à en acheter un autre. Un petit chiot mignon qui te donnera toute l'affection que tu désires. Crois-moi, il remplacera très vite l'autre dans ton cœur...

-              Antoine, je te déteste !

Elle raccrocha. Deux jours plus tard, une amie commune m'expliqua. Le moribond, ce n'était pas  Dédé le chien... C'était  Pépé. Le grand-père de Sandrine  qui luttait pour sa vie aux soins intensifs de l'Hôpital de Montréal. Un étrange malaise me parcourut le corps.

-              Ah bon ...

Je me remémorais en boucle toute la conversation. À partir de ce moment, mes talents  de confident étaient moins requis auprès de la belle Sandrine...

 

 

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