Les masques - 1. Nathaniel (4)

Il fut secoué d’un léger soubresaut, comme s’il retombait dans son corps après une longue chute dans son sommeil. Une seconde plus tard, ses paupières se mirent à papilloter, s’ouvrant progressivement sur l’inconnu. Une sensation de déjà-vu l’assaillit immédiatement, et alors qu’il voulait se redresser, il fut surpris de constater qu’il était retenu par des sangles sur ce qu’il devina comme étant une couchette. Son regard passa fébrilement sur son environnement, et ce fut à ce moment-là qu’il remarqua la perfusion à son bras qui menait à un goutte-à-goutte. Son souffle le lâcha brusquement, et son hurlement se bloqua dans sa gorge.

« Qu’est-ce que… Articula-t-il, terrifié.

- Nat ? S’écria brusquement une voix masculine venue d’il-ne-savait où. Il regarda partout autour de lui, mais il était bel et bien seul dans cette pièce. Seul… En compagnie d’une caméra dont il percevait la lumière verte, dans le coin gauche de la pièce.

- Qu… Qui c’… Qu… Où je suis, putain ? Hurla-t-il après avoir hésité sur laquelle du milliard de questions qui l’assaillaient était la plus importante.

- Euh Nat, calme-toi. Je suis Ira. ‘Fin… un de ceux qui étaient coincés avec toi dans le salon tout à l’heure. Tu te rappelles ?

- Pas de toi spécifiquement, mais je vais avoir du mal à oublier ce salon, répondit nerveusement Nat, agité, en essayant de discerner le moindre indice dans cette pièce désespérément vide.

- Ok, je suis avec…

- Gemma ! S’écria une voix féminine à la limite de l’hystérie, et Nat se sentit brièvement soulagé, presque tenté de rire à l’intervention de la jeune femme.

- Voilà, c’est ça. Et l’autre gars avec son appareil photo.

- Aiden.

- Oui, bon. Tous les autres sont partis à ta recherche !

- Les autres ? Mais… Vous me voyez à travers la caméra, c’est ça ?

- Oui ! On a tout vu, Nat ! Le type, il…

- Ferme-la idiote ! Tonna sévèrement la voix de celui qui s’appelait Ira, coupant Gemma dans une tentative d’explication dont Nat aurait bien voulu. Encore une fois, il entama un mouvement pour se redresser, mais ses sangles le retinrent.

- Attends ! S’écria-t-il. Attends, je veux savoir ! »

Il regardait en direction de la caméra, presque capable de deviner l’allure des trois otages de l’autre côté. Ce silence ne lui disait rien qui vaille. Il les voyait échanger des regards perplexes, incapables de lui avouer la vérité. Pourquoi était-il attaché sur cette couchette ? Et pourquoi y avait-il ce goutte-à-goutte, bon sang ? Il laissa retomber sa tête sur la surface dure de son lit de fortune, quand la voix d’Ira jaillit à nouveau :

« De quoi est-ce que tu te souviens en dernier ?

- Euh… euh bah on était dans le salon, et Gemma venait de réussir à ouvrir la porte. Mais on a été attiré par autre chose. Je me rappelle plus quoi, je me rappelle plus pourquoi. »

De l’autre côté de la caméra, dans la petite salle blanche, Ira, Gemma et Aiden échangèrent un nouveau regard. Cela pouvait correspondre au moment de sa disparition. Ils ne l’avaient découvert que quelques minutes plus tard. Si le fauteur de trouble attaché sur sa chaise pouvait parler, au moins. Mais la seule chose qu’ils avaient arraché de lui, c’était son prénom : Stan. Ce à quoi ça les avançait…

Aiden abandonna d’ailleurs la salle des moniteurs pour aller se planter en face de lui.

« Je suppose que tu ne veux toujours pas parler, Stan.

- Je vous ai dit, c’est le deal ! Vous me détachez, je parle ! »

Aiden coula un regard en direction de l’autre pièce, avisant l’avis d’Ira qui secoua la tête. Ils s’étaient mis d’accord avant que les autres n’arpentent le reste du manoir – qui en était bien un, comme l’avait suggéré l’Endormi – pour le laisser attaché tant qu’ils n’obtiendraient pas plus de réponses sur l’endroit où ils se trouvaient. S’il s’avérait qu’il faisait partie de leurs tortionnaires, ils n’allaient pas le laisser s’échapper comme ça !

« Eh, les gars ? Vous êtes toujours là ? Demanda Nat à l’écran.

- Oui, on est là ! » Répondit Gemma en faisant les gros yeux à Ira. Ils devaient dire la vérité à Nat, et Gemma n’eut pas besoin de l’exprimer pour qu’Ira le comprenne. Penché en avant, les deux mains appuyées sur le moniteur, il réfléchissait. Il leva ses yeux d’un bleu intense sur le premier écran, en haut à gauche.

« Ok, Surfing Boy. Je t’avoue qu’on sait pas du tout comment tu t’es retrouvé enfermé là mais… Son regard dévia sur Gemma, qui s’empressa de surenchérir.

- Il y avait un type avec toi ! Un type avec un masque qui a installé tout ce matériel !

Son ton alarmiste n’était certainement pas du plus conseillé, et Ira se frotta l’arête du nez entre son pouce et son index avec lassitude. Déjà, de l’autre côté, Nat recommençait à s’agiter.

- Quoi ? Mais il m’a fait quoi ? C’est quoi qu’il m’a mis ?

- On n’en sait rien, » reprit Ira en fusillant Gemma du regard. Celle-ci haussa les épaules, les paumes tournées vers le plafond, ne comprenant visiblement pas le mal qu’elle avait commis. « Mais tu peux peut-être nous dire ce qu’il y a d’écrit sur la poche.

Nat se contorsionna pour tenter de lire l’inscription sur la poche qui diffusait le produit qui s’infiltrait dans ses veines. La terreur humidifiait ses yeux, et il s’attendait déjà au pire.

- J’arrive pas à le lire, il est pas du bon côté. J’arrive à lire… Yer… Yers-quelque chose.

- Quoi ? Questionna Gemma à l’intention d’Ira, qui avait brusquement pâli.

- Yersina pestis, répondit-il d’une voix blanche. Gemma fronça les sourcils.

- Ce qui veut dire… ?

- La peste. »

***

« On est parti beaucoup trop loin ! Annonça Briana dans un murmure forcé en s’accrochant au bras de Mike telle un naufragé sur une bouée de sauvetage.

- Comment tu le sais ? On ne sait pas où il est parti !

- Mais ça fait au moins vingt minutes qu’on marche, et il n’a fallu que quelques secondes à Nat pour disparaître et se retrouver coincé dans cette pièce !

- Peut-être que celui qui l’avait enlevé a pris un raccourci !

- Peut-être qu’il y avait une trappe… Supposa Briana, lancée dans leur énumération. Comme un seul homme, ils s’arrêtèrent brusquement et échangèrent un regard.

- Une trappe ! » Répéta Mike. D’un coup, cela semblait tellement logique.

Ils firent volte-face, prêts à retourner au salon pour faire part de leur découverte à Gemma, Ira et Aiden, et tenter de trouver la fameuse trappe. A partir de là, ils pourraient sûrement remettre rapidement la main sur Nat. Sauf que leurs plans furent contrariés par cette apparition qui se matérialisa au bout du couloir, les bloquant dans toute tentative d’avancée. Briana poussa un hurlement de terreur.

***

Nat, complètement apathique depuis l’annonce d’Ira, pensait à son père qui était mort d’un cancer du poumon l’année de ses quatre ans. Il ne se rappelait pas grand-chose de son père. En revanche, il lui arrivait souvent d’être réveillé au milieu de la nuit par des flashes représentant cette silhouette allongée sur un lit d’hôpital. Cet homme sans cheveux et sans couleur, tout prêt à accueillir la mort.

Il avait gardé depuis une phobie de la maladie, et évitait aussi cordialement que possible les médecins et les hôpitaux. Heureusement, il avait hérité d’une consistance solide, et il lui était rarement arrivé d’avoir ne serait-ce qu’un rhume. N’y avaient que ces check-up obligatoires avant les compétitions de surf, mais il avait toujours été capable de prendre sur lui, car le jeu en valait la chandelle.

Mais maintenant, il n’y avait plus de jeu. La réalité le rattrapait. Quelqu’un s’était amusé à inoculer en lui la pire de ses hantises. Et il ne s’était pas contenté d’une simple bronchite, non, non ! C’était à double tranchant : non seulement il y succomberait en quelques jours s’il ne recevait aucun traitement, mais en plus il risquait de contaminer les autres.

« Il ne faut pas qu’on me retrouve… Devina-t-il d’une voix morne. 

- Trop tard. Répondit la voix d’Ira, pas plus enthousiaste. Les autres sont partis. Le temps qu’on les cherche, quelqu’un t’aura sûrement trouvé.

- Je leur dirai alors.

- Non, Nat ! Gémit Gemma, qu’il entendit s’interrompre dans un petit hoquet de stupeur. Ira reprit la parole :

- Il vaut mieux. Il vaut mieux que tu restes en quarantaine tant que… Tant qu’on n’en sait pas plus. »

Il avait l’impression de se répéter ça depuis des heures : « tant qu’on n’en sait pas plus. » Mais ils avaient beau chercher, ils ne trouvaient aucune explication à cette situation ! Assis sur l’une des chaises qu’ils avaient ramenée du salon, les pieds croisés sur la console obsolète du moniteur, il détourna son regard de l’écran, plus capable d’affronter Nat et cet horrible sort qu’il subissait. Il ne le connaissait pas, ce type, et en d’autres circonstances, il se serait pas mal foutu de ce qui lui arrivait. Mais là, ils étaient tous dans le même bateau. Il était clair que Nat n’était que la première victime.

« Mince… » Surgit derrière lui la voix d’Aiden, et Ira, manquant de tomber en arrière, tourna vivement la tête dans sa direction. Le garçon à l’appareil photo eut un mouvement du menton en direction des écrans, et Ira suivit lentement son regard, comprenant avant de le voir ce qui allait se jouer. Le deuxième écran était désormais occupé à son tour. Au centre de la cellule, se tenait le grand Mike, totalement engoncé dans ce qui ressemblait à une armure en métal qui le maintenait totalement immobile.