Les masques - 2. Mike (1)

Il se réveilla dans un sursaut, et aussitôt, comme dans un réflexe de survie, il comprit que quelque chose n’allait pas. Il tenta de bouger, mais constata qu’il était entièrement coincé dans une espèce de carcan aussi lourd que de la fonte. Il était incapable de faire le moindre mouvement.

« Non ! » S’écria-t-il, la panique s’insinuant en lui à la manière d’un geyser. « Non ! Non, non, non ! » Son ton se fit de plus en plus angoissé, de plus en plus larmoyant. S’il y avait bien une chose que Mike ne supportait pas, c’était l’immobilité. Tendance claustrophobe, se retrouver enfermé dans une pièce était déjà pénible pour lui, mais si en plus on l’empêchait d’y faire les cent pas, il avait juste l’impression de mourir sur place. Qui que soit l’instigateur de cette blague, qu’il s’appelle Chester ou Simon, ça n’était pas drôle. Pas drôle du tout. Et Mike était pourtant du genre à rire de beaucoup de choses.

« MIKE !! » Résonna brusquement une voix hystérique dans la pièce intégralement vide en dehors de lui et son carcan. Il leva la tête, comme si la voix venait du ciel, et tendit l’oreille, se souvenant alors des écrans découverts tout à l’heure et de la caméra qui filmait l’agonie de Nat, l’australien. Il devina sans peine qu’il y avait des micros reliés à ces caméras, lui permettant de garder le contact avec ceux qui étaient restés dans le salon.

« SORTEZ-MOI DE LA ! Hurla-t-il de toute la force de ses poumons.

- Personne n’est revenu encore ! Répliqua la voix, qui reflétait un état de panique aussi flagrant que le sien. Ils vont peut-être te trouver ! »

La respiration saccadée, Mike hocha fébrilement la tête, tentant de se convaincre des paroles proférées par cette voix féminine. En compagnie de Briana, ils avaient découvert plusieurs pièces vides de tous genres. Pas tout à fait comme celle dans laquelle il était prisonnier, néanmoins, mais il était probablement enfermé dans l’une de celles qu’ils n’avaient pas réussi à ouvrir. Ou dans une autre. Ils avaient eu le temps de se rendre compte que les couloirs de ce manoir étaient interminables, avant que…

Le souvenir de l’homme masqué lui revint brusquement en mémoire. Il chercha des yeux la caméra qui diffusait probablement ses images auprès des autres, et lorsqu’il la trouva, dans le coin gauche de la pièce, il l’observa de longues secondes.

« Gemma ? Tenta-t-il. Il n’était pas sûr qu’il s’agisse d’elle. La voix lui avait dit qu’aucun autre n’était revenu, et si ses souvenirs étaient bons, seuls le garçon à l’appareil photo, celui aux yeux bleus et Gemma étaient restés dans le salon. Et le « psycho » bien sûr, puisqu’il n’avait pas eu le choix.

- Oui ! Confirma-t-elle vivement, et Mike hocha la tête pour lui-même.

- J’ai vu le mec. Je veux dire, celui qui a installé Nat. Dans le couloir, on l’a vu avec Briana. Il portait le même masque en bec d’oiseau, là, et le même déguisement débile. On voulait retourner au salon parce qu’on… Briana ! S’écria-t-il soudainement en réalisant que si l’homme masqué les avait attaqués, probablement était-elle coincée dans le même état que lui.

- Qu’est-ce qu’il s’est passé ? Demanda brusquement une voix masculine, et Mike, s’il avait pu sursauter à l’intérieur de son carcan, aurait probablement fait un mètre de bond. La différence entre ce ton sec, malgré l’évident accent irlandais, et les intonations de panique dans la voix de Gemma, était saisissante. Mike eut la désagréable impression d’être complètement aveugle. C’était passablement troublant.

- On a été attaqués par le type ! Est-ce qu’elle…

- Non. » Coupa la voix masculine, comprenant sa question avant même qu’il n’ait eu le temps de la formuler. « Y’a que toi et Nat sur les écrans.

- Okay… » Répondit Mike dans un souffle, pas vraiment certain de savoir s’il devait être rassuré ou non. Peut-être avait-il seulement eu de la chance par rapport à Briana. S’il pouvait vraiment considérer être chanceux dans cet état.

Il commençait à sentir des fourmis dans ses membres, et ressentait de plus en plus vivement le besoin de bouger. Il secoua énergiquement la tête, puisque c’était le seul mouvement qu’il était capable de faire. Cet engourdissement était en train d’obstruer son esprit, et il n’arrivait plus à se focaliser sur quoi que ce soit d’autre. Réfléchir était apparemment la dernière chose qu’il lui restait à faire dans cette situation,  alors si en plus il n’y arrivait pas, il deviendrait complètement fou. Il serra les dents, réprimant un hurlement de rage. Bouger, bouger, il avait envie de BOUGER !

Il ferma les paupières et expira un grand coup, avant de relever les yeux sur la caméra.

« Personne n’est revenu, vous avez dit ?

- Non, répondit la voix masculine, dont toute la contrariété transpirait en un simple petit mot. Mike eut un bref éclat de rire amer. La cécité avait du bon, dans un sens. Il réussissait à distinguer des choses qu’il aurait été incapable d’analyser en temps normal.

- Je vais la chercher ! Surgit une autre voix masculine, un peu plus lointaine. Lequel des deux était le garçon à l’appareil photo, et lequel était celui aux yeux bleus ?

- Tu vas pas y aller tout seul ! On sait pas ce qui peut se passer, répliqua le premier, et Mike supposa qu’il s’agissait de celui aux yeux bleus. Il avait déjà fait preuve de son autorité précédemment, et celui à l’appareil photo ne semblait pas être du genre à s’imposer en chef de bande.

- Mais si Briana a été blessée, on ne peut pas la laisser comme ça. Je ferai juste l’aller-retour. Puis franchement, j’ai pas l’impression qu’on soit plus en sécurité en groupe que tout seul.

- Vous croyez qu’il leur est tous arrivé quelque chose ? Couina Gemma. 

- Raconte pas de conneries ! Répondit Ira avec agacement.  Ils sont pas partis depuis si longtemps, ça sert à rien de tirer des plans sur la comète.

Il pointa cependant le regard sur Aiden, qui le fixait avec détermination, semblant attendre son consentement. C’était lui qui avait déjà poussé les autres à partir à la recherche de Nat, et il se demandait s’il n’avait pas fait une erreur à ce moment-là. Il laissa échapper un soupir dépité. Il était presque sûr qu’il n’était pas encore utile de s’inquiéter pour le reste du groupe. Mais Mike l’avait dit : Briana et lui s’étaient fait attaquer. Accepter qu’Aiden parte tout seul à sa recherche, c’était l’envoyer en plein cœur d’un no man’s land avec un costume de vahiné. Puis après tout, il n’était pas son père, et il faisait bien comme il voulait. Il ne voyait pas pourquoi le garçon à l’appareil photo attendait d’avoir son avis. Il tourna alors la tête en direction de l’écran qui diffusait l’image de Mike :

« Vous étiez partis dans quelle direction avec Mafiosa ?

Aiden, derrière lui, eut un sourire soulagé. Il avait cette étrange impression que si Ira consentait, c’est qu’il ne faisait pas une si grosse erreur. Il avait moins la sensation de partir au casse-pipe. Il y aurait toujours quelqu’un pour s’inquiéter de son absence si elle durait trop longtemps. L’irlandais était loin d’être enthousiaste, mais ça lui donnait de la motivation.

- Quand vous sortez du salon, vous avancez un peu et vous atterrissez dans un genre de grand hall avec des putains d’escaliers façon palais de princesse Disney. Juste qu’en face, à la place de ce qui devrait être une porte d’entrée, y’a rien d’autre qu’un mur. Y’a bien une porte qui fait directement face à notre salon quand on sort du couloir, mais elle semblait pas mener à l’extérieur, et en plus c’était fermé. Du coup, avec Briana, on a tourné pour s’enfoncer du côté droit des escaliers. On n’est pas montés hein ! Il y avait un grand couloir avec plein d’autres portes. Elles s’ouvraient pas toutes, mais la plupart du temps, c’était des espèces de chambres, un peu toutes dans le même style. Puis on a trouvé, derrière l’une de ces portes, des escaliers qui menaient à des sous-sols. Comme sur les écrans, ça ressemblait à des genres de caves, on s’est dit que ce serait par là. Elle était du côté droit du couloir, la porte, au fait. Donc on est descendus, mais y’avait pas grand-chose, là-bas en bas. On n’a pas avancé longtemps. C’est là que le type au masque nous a attaqués. 

Ira jeta une œillade à Aiden. Il semblait résolu. Il hocha brièvement la tête, signifiant qu’il avait bien compris toutes les indications de Mike.

- Tu vas y aller avec ce truc ? Demanda Ira en pointant du menton l’appareil photo d’Aiden, et celui-ci le serra farouchement contre lui. 

- Pas question que je m’en sépare !

Ira haussa vaguement les sourcils, ne cherchant pas à discuter plus que ça. Gemma se leva vivement de sa chaise.

- Prends une arme avec toi !

- Quelle arme ? Demanda Aiden. Il n’y en a pas dans le coin !

- Si ! Il y a le couteau d’Ira !

- Eh ! S’exclama celui-ci. Il est hors de question que je lui refile mon couteau ! Prends un des tisonniers de la cheminée, ça fera bien l’affaire ! »

Gemma l’observa avec insistance, et comprenant déjà le phénomène, il sut qu’il n’obtiendrait pas gain de cause sur cette affaire. Dans un souffle agacé, il sortit son cran d’arrêt de la poche arrière de son jean, là où il le rangeait toujours, et l’ouvrit d’un mouvement sec, avant de le plaquer dans la main d’Aiden en le fusillant du regard.

« T’as pas intérêt à le perdre ! Ca a une valeur sentimentale, ce truc !

- T’inquiète, je comprends bien va… » Répondit Aiden en caressant mécaniquement le zoom de son appareil photo. Ira se contenta de grommeler dans sa barbe, et Aiden quitta le salon, sans un regard pour Stan, bien que celui-ci lui demande au passage ce qu’il se passait.