Les masques - 3. Malek (3)

octobell

Stan se redressa vivement sur sa chaise, alors qu’il était interrompu dans sa somnolence par un bruit auquel son oreille ne s’était pas habituée. Il eut un bref gémissement en sentant la douleur se réveiller en même temps que lui. Il ne saignait plus depuis longtemps déjà, mais il sentait les hématomes qui s’étaient formés le lancer vivement. Si au moins ils pouvaient nettoyer ses blessures ! Mais il n’y avait même pas un verre d’eau dans cette pièce, et si ça avait été le cas, ils s’en seraient probablement d’abord servi pour boire.

Gemma, qui avait également été alarmée par le même petit tintement, se dirigea vers la porte pour y coller son oreille.

« Tu l’as entendu aussi ? Demanda Stan, bien que son attitude réponde pour elle. Elle hocha rapidement la tête.

- Comme une petite clochette, oui.

- Vous faites quoi les potos ? Interrogea Adam, intrigué par le mouvement de Gemma. Celle-ci plaça son index sur ses lèvres pour l’enjoindre à se taire. La clochette retentit à nouveau, et elle sursauta vivement, s’écartant rapidement de la porte.

- Qu’est-ce que c’était que ça ? Demanda Marpier avec inquiétude.

D’un même mouvement, Kate et Briana se redressèrent pour s’approcher de la porte avec curiosité. Pour la première fois depuis plusieurs heures, le groupe était parcouru d’une agitation nouvelle.

- Vous pensez qu’on devrait voir ? Demanda Gemma, ce à quoi Kate rétorqua vivement :

- Ca va pas non ? C’est probablement un piège pour nous attirer hors du salon !

- Oui, ils doivent nous attendre de l’autre côté avec toute une batterie de haches. » Confirma Briana, attirant les regards sur elle. Elle haussa les épaules. Ira et Aiden, se rendant compte de l’agitation soudaine dans le salon, le rejoignirent à leur tour, tandis que la clochette retentissait à nouveau, un peu plus fort, un peu plus proche.

« C’était quoi ça ? » Questionna Aiden en coulant un regard interrogatif à Marpier, qui leva les deux paumes vers le ciel pour marquer son ignorance.

Adam dansa d’un pied sur l’autre, avant de s’exclamer :

« Moi je vais voir ! Ca se trouve c’est autre chose ! 

- Autre chose que quoi, ducon ? Les Masques ? Riposta sèchement Ira.

- Peut-être qu’ils font pas ça pour nous capturer cette fois, ducon, toi ! Ce serait trop bête, non ? 

- Apparemment pas puisque tu t’engouffres dans la gueule du loup. T’en as pas assez vu peut-être ?

- J’ai vu bien plus que ce que t’imagines ! Et j’suis pas persuadé qu’ils fassent ça au pif !

- Qu’est-ce que tu veux dire ?

Adam échangea un regard nerveux avec Kate, qui se mordilla la lèvre inférieure. Elle poussa un soupir, sentant sur elle le regard insistant du groupe :

- Tout à l’heure, après avoir retrouvé Aiden pour chercher Briana, on s’est retrouvé face à des hommes masqués. Ils étaient deux. Ils ont commencé à nous poursuivre dans les couloirs, et on a vraiment cru qu’on allait y passer. Mais d’un coup, comme ça, ils avaient disparus.

- A mon avis, ils ont juste voulu nous faire peur ! Précisa Adam. On n’avait aucune chance ! Y’a aucun moyen de sortir de c’te baraque ! Y’a même pas de porte d’entrée là-d’dans !

- J’ai du mal à comprendre en quoi ça vous motiverait à sortir de cette pièce pour suivre une cloche à la con ! Répondit Ira en se frottant l’arête du nez entre le pouce et l’index.

- Ils ont un plan ! Répliqua vivement Adam. A mon avis, ils savent précisément qui prendre à quel moment ! Qu’on soit là ou ailleurs, ça changera rien ! La preuve avec Nat !

- On n’était pas vigilant à ce moment-là.

- On va pas rester ici jusqu’à la fin des temps !

- C’est très limite comme argument, tu te rends compte de ça, Bouclette ?

- T’étais pas là !

- Et toi t’étais pas là quand Malek s’est fait bouffer par ces foutus chats de Tchernobyl ! S’enflamma brusquement Ira en pointant du doigt la salle du moniteur. Alors si tu veux y aller, je t’en prie, vas-y ! Mais compte pas sur moi pour partir à ta recherche si tu te retrouves enfermé dans l’une de ces cellules ! »

Ils entamèrent un duel visuel, seulement acclamé par les souffles coupés de leurs spectateurs. S’ils avaient pu s’assassiner simplement par le regard, ils auraient probablement fini dans un double knock out légendaire.

« Ok ! Qui m’aime me suive ! » Reprit Adam avec une lueur de provocation dans le regard. Il s’avança jusqu’à la porte pour l’ouvrir en grand, et s’arrêta dans le couloir, les bras largement écartés, fier de démontrer que personne ne se précipitait sur lui pour lui trancher la gorge. Contre toute attente, Briana fut la première à le rejoindre.

« Mais qu’est-ce qui vous prend à tous les deux ? S’exclama Ira, ahuri. Vous êtes tombés amoureux des Masques ou quoi ?

- Adam a raison, rester cloîtrés dans ce salon ne nous aidera pas à sortir, fit calmement remarquer Briana. Cela sembla convaincre Kate et Marpier qui s’avancèrent à leur tour en direction d’Adam. Gemma, elle, recula d’un pas.

- Oui bah… Partez devant ! Et appelez-nous si vous trouvez un truc intéressant !

- Deal ! S’exclama joyeusement Adam en jetant un dernier regard sur Ira, avant de disparaître dans le couloir. Ira secoua la tête avec impuissance. Qu’y avait-il à ajouter à ça ?

- Ohoh, on dirait qu’il y a des petites tensions dans le groupe ! S’amusa Stan. Je les aurais bien accompagnés si j’avais pu !

- Ta gueule. » Maugréa sombrement Ira dans une sentence qui acheva la conversation.

***

Le groupe mené par Adam traversa le grand hall où trônaient les escaliers massifs. Ils hésitèrent un bref instant, mais le son de la clochette retentit à nouveau, derrière une large porte en bois située en face d’eux. Ils échangèrent des regards intrigués.

« Tout à l’heure, cette porte était fermée, expliqua Briana. 

- C’est p’tet la sortie ! S’écria Adam avec enthousiasme, mais la rouquine secoua tristement la tête.

- Mike avait regardé par le trou de la serrure, et d’après lui, ça n’était rien d’autre qu’un genre de salle de réception…

- Réception ? »

Adam se précipita vers la double porte et l’ouvrit en grand, sans soulever aucune difficulté. Il jeta une œillade satisfaite à Briana, et pénétra, émerveillé, dans ce que Mike avait bien prédit comme étant une salle de réception.

« Un peu trop facile, tu ne trouves pas ? » Souffla Kate à Marpier, mais elles suivirent néanmoins le garçon dans l’immense pièce.

Au centre reposait la plus gigantesque table qu’il leur avait été donné de voir, dans un bois très foncé et probablement de très grande valeur. Des chaises aux dossiers incrustés de pierres et de lourds tissus étaient alignées le long des quatre murs, découpés d’immenses fenêtres au milieu desquelles Adam aurait largement pu tenir debout, si elles n’avaient pas été barrées de lourdes tiges en métal, à l’instar de celle du salon. Des armures étaient disposées à chaque coin de la salle, et un énorme lustre doré descendait pratiquement jusqu’au milieu de la pièce. Ils auraient pu le nettoyer jusqu’en haut en montant sur la table.

Mais nettoyer le lustre ne leur vint catégoriquement pas à l’esprit, et ils ne portèrent pas un seul regard à la décoration. Tous étaient subjugués par la profusion de nourriture qui courait tout le long de la table, n’en épargnant pas un centimètre carré. Il y en avait pour tous les goûts ! Du sucré, du salé, du chaud, du froid, du local et de l’exotique. Chacun pourrait trouver son bonheur.

Ils sentirent leurs ventres grogner de famine, et se sentaient incapables de résister à ces plats plus alléchants les uns que les autres. Adam s’avança encore d’un pas, luttant entre son envie de se jeter sur cette nourriture et celle d’écouter sa raison qui lui conseillait de se méfier.

« Vous pensez que c’est un piège ? Demanda-t-il dans un souffle, incapable de détacher son regard de ces merveilles.

- Peut-être, répondit Marpier sur le même ton. Mais ça donne drôlement envie. Il faudrait en parler aux autres, non ?

- Leur demander l’autorisation de manger ? S’offusqua Adam. Je l’entends d’ici, l’autre rabat-joie de première ! ‘Non, il faut se laisser crever de faim. Peut-être que les plats sont empoisonnés. Peut-être qu’ils ne le sont pas, mais on ne le saura jamais puisque je vous défends cordialement d’y toucher !’ » Imita-t-il en prenant une grosse voix, provoquant l’éclat de rire des trois filles. « C’est pas notre père ! » Conclut-il en s’avançant d’un bon pas jusqu’à la table.

Les filles hésitèrent un peu plus longtemps, mais voyant Adam mordre avec gourmandise dans une généreuse cuisse de poulet rôti, faisant dégouliner le jus sur son menton, elles ne purent y résister davantage. Elles s’approchèrent de la table à leur tour, ne sachant où commencer.

« Adam n’est clairement pas en train de convulser… Remarqua Briana avec sarcasme.

- Seulement de plaisir ! Intervint Adam, la bouche pleine.

- On devrait prévenir les autres… Au moins pour les inviter ! Ils doivent mourir de faim, eux aussi. » Dit Marpier.

Adam ne répondit que par un haussement d’épaules. Peu importe ce qu’elles faisaient, lui resterait ici à manger. Marpier et Kate partirent ensemble retrouver les autres. Elles mirent plusieurs minutes à revenir, et personne n’était resté à l’arrière, pas même Stan qui avait enfin été détaché de sa chaise. Il partit d’un énorme rire qui entraîna tout le monde avec lui, lorsqu’il découvrit le festin qui s’offrit à eux.

« Putain, j’ai du mal à décider si on est en enfer ou au paradis ici !

- La gourmandise est un péché capital, informa doucement l’Endormi, qui avait du mal, lui aussi, à rester indifférent à cette scène enchanteresse.

- Alors je kiffe l’enfer ! » S’écria Stan en se jetant à son tour sur la nourriture, prêt à ignorer la douleur qui l’irradiait encore.

Personne ne rechigna à l’imiter. Aiden prit la table en photo, puis pendant les longues minutes que durèrent leur festin, c’était presque comme s’ils avaient oublié l’endroit où ils se trouvaient. Ils avaient ramené plusieurs chaises autour de la table, ce qui ne les forçait pas à tenir en place pour autant. Ils parlaient fort, riaient tout aussi fort, s’apprenaient, se découvraient, créaient sans réellement s’en rendre compte des liens qu’ils regretteraient probablement plus tard.

« On devrait en donner à Nat et Mike ! » Suggéra innocemment Gemma à un moment donné, alors qu’elle se servait pour la troisième fois d’une part de tarte à la mirabelle. Le silence autour de la table tomba aussi lourdement qu’une enclume, et pliée en deux sur la table, elle se figea dans son mouvement, observant le reste du groupe avec culpabilité. Les autres n’en menaient pas large également, réalisant avec gêne qu’ils s’étaient permis d’oublier le sort des prisonniers. Ira, achevant de mâcher son quartier de pomme dans un mouvement ralenti, les observa en coin, s’abstenant de leur avouer qu’ils avaient besoin de moments de lâcher-prise dans ce genre là pour ne pas mourir de la détresse de leur situation. Il avait comme dans l’idée que l’argument ne les rassurerait pas. Il posa le reste de sa pomme et se racla la gorge, avant de proposer :

« On devrait essayer de repartir à leur recherche. C’est clair qu’il faut les sortir de là ! Mais faut qu’on s’organise ! Pas qu’on s’envole comme des moineaux comme la dernière fois. C’était le plus beau moyen de se faire attraper. Ok, on n’était pas au courant de ce qu’ils voulaient à ce moment-là. On n’est pas plus avisés maintenant, mais si on a un tour d’avance sur eux, y’a moyen qu’on s’en sorte.

Les autres, malgré leur étonnement, approuvèrent allègrement les paroles d’Ira. Le repas leur avait redonné de la motivation, et au fond, ils n’attendaient que ça, de pouvoir agir, d’une manière ou d’une autre.

- On ferait mieux de retourner au salon pour en discuter, non ? Reprit Marpier. J’avoue qu’à la réflexion, je ne me sens pas très en sécurité dans cette pièce.

Tous approuvèrent et retournèrent jusqu’au salon, emportant quelques provisions avec eux au passage. Adam s’octroya dix secondes de plus pour picorer l’un de ces délicieux petits toasts au saumon.

Les discussions reprirent de plus belle, tandis que ce nouvel élan de motivation les rendait presque euphoriques. Pour la première fois depuis leur arrivée dans ce manoir, ils avaient l’impression qu’un espoir était permis. Plutôt que de se lamenter sur leur sort, ils pouvaient s’unir pour contrer au mieux leurs ennemis. Stan, légèrement en arrière du groupe, était loin de partager l’enthousiasme général. Il agrippa Briana par le bras, l’entraînant un peu en retrait des autres. Il se pencha vers elle pour l’interroger dans un murmure :

« T’en penses quoi de ce mec, Ira ?

Briana jeta un coup d’œil sur le dos du jeune homme qui marchait au milieu du groupe, discutant avec Kate et Aiden.

- Je sais pas… Qu’est-ce que tu veux dire ?

- Tu le trouves pas un peu… Trop sûr de lui ?

- Il a l’air de savoir ce qu’il fait oui.

- Exactement !

- Je ne pense pas que ce soit franchement une mauvaise chose pour nous, si ?

- Moi je trouve ça louche.

- De la part du mec qui est resté attaché sur sa chaise jusqu’à y’a cinq minutes, c’est un comble ! Répliqua Briana avec sarcasme, et Stan la lâcha sèchement.

- Tu comprends pas…

- Stan… Ce que je comprends, c’est que je pense qu’on a suffisamment de problèmes pour l’heure pour se focaliser sur lui. J’ai pas envie de me mettre à soupçonner tout le monde de traîtrise ! J’ai bien assez les boules comme ça !

Là-dessus, elle accéléra l’allure pour rejoindre le groupe. Stan secoua rageusement la tête, avant d’accélérer à son tour pour éviter de se retrouver seul en arrière.

Le retour dans le salon ne se fit pas sous d’aussi bons hospices que ce qu’ils avaient imaginé. Ils furent accueillis par des hurlements provenant de la salle du moniteur et se précipitèrent à l’intérieur, brusquement inquiets pour Mike ou Nat. Peut-être qu’ils n’étaient pas tant en sécurité dans leur geôle, tout compte fait. Mais ni Nat, ni Mike n’avaient émis le moindre son. Le groupe eut la merveilleuse surprise de découvrir que le quatrième écran était à présent occupé.

Par le garçon à bouclettes, Adam, l’animateur radio de BBC Radio One.

  • Feuilleton toujours aussi bien mené. Et ne t'inquiètes pas hier j'en été encore à 84 recommandations en retard. Comme toi je cours après le temps et je n'en ai plus pour écrire.

    · Il y a plus de 10 ans ·
    525237 629036707110410 376162468 n

    Marie Cornaline

  • CDC Radio One.

    · Il y a plus de 10 ans ·
    Image

    Archange Flippé

  • Merci à tous les quatre encore une fois !!

    @Yoda : j'faisais de l'ironie. Bien sûr que c'est pas du tout merveilleux ;)

    @Christine : dur dur de savoir quoi faire quand il n'y a pas d'issue, n'est-ce pas ? Tout ce que je peux vous dire, c'est qu'après cette accalmie, il va y avoir de l'action ;)(et moi j'adore ça, l'action ^^)

    · Il y a plus de 10 ans ·
    Logo bord liques petit 195

    octobell

  • Merveilleux moment de "lâcher-prise" pour reprendre le terme d'Ira! Tout ça pour remettre le couvert avec tension (Stan ange ou démon ?) et mieux rester sur un "cliffhanger" !
    Je me répète mais... tu sais y faire avec le feuilleton ! CDC et ... tu as compris !

    · Il y a plus de 10 ans ·
    Avatar loup 54

    matt-anasazi

  • Adaaaam mais pourquoi ?!! Je le savais qu'il fallait pas qu'il le mange ce toast au saumon !!

    Bon ben moi je suis toujours toute en ébullition en lisant ta nouvelle ! Je tiens plus là, je veux savoir la suite !! :)

    Tu mènes ça avec une main de maître, Octobell, j'adore, j'adore, j'adore !

    · Il y a plus de 10 ans ·
    20130820 153607 20130820153847362 (2)

    rafistoleuse

  • un festin pour sceller leur destin, mais surtout un autre dans une cellule, je me demande ce qu'ils vont decider de faire...rester tous enfermes ou partir a leur recherche...

    · Il y a plus de 10 ans ·
    521754 611151695579056 1514444333 n

    christinej

  • On décompresse un peu en lisant ce festin! Il le fallait, mais on sent que les choses vont changer... je ne comprends pas pourquoi tu dis que le groupe "eut la merveilleuse surprise" de trouver Adam... Il ne serait pas prisonnier comme les autres ou alors il est devant la porte d'entrée??? J'ai bien aimé "je kiffe l'enfer" de Stan, manque le "a" pour faire satan... Lol. CDC et la suite! Comme toi, j'ai beaucoup à lire et je n'arrive plus à trouver le temps d'écrire...

    · Il y a plus de 10 ans ·
    Yoda 24 04 09 002 92

    yoda

Signaler ce texte