L'essence du voyage ~ Antananarivo ~ III

lilii

Je me souviens de « Tana » ( Antananarivo) comme d'une personne que j'aurais connu il y a longtemps sans jamais l'avoir oublié parce qu'elle vous marque pour toujours. Ce qui m'en reste aujourd'hui, c'est ce contraste sage et fou aux mille visages dans lequel vous avez trouvé le vôtre.
J'avais à peine le pied posé sur la terre ferme, les jambes encore flageolantes du mal de l'air, retournée, inversée dans les heures, à contresens dans l'espace que Tana m'avait pris en otage avec un sourire et ce qu'il restait d'un taxi.
Vévé, le chauffeur roule " mora mora", ça veut dire "doucement" en malgache, plus qu'un mot, c'est une philosophie. Pourtant j'ai l'impression qu'il trace à toute vitesse et que les images et les situations défilent sans que je puisse les traiter. Aucun répit pour digérer l'anachronisme. Un coup de frein, l'estomac coincé dans la gorge, on laisse passer les zébus et les charrettes qui chahutent sur la nationale. On s'en remet sinon on ne vit pas, ce qui est bien pire que mourir à Madagascar.
Je me sens toute petite. Et fragile, comme jamais. Les collines de Tana  qui m'entourent, semblent être un immense jeu de construction brinquebalant. Rien n'est parallèle, droit et géométrique. Rien ne paraît avoir été calculé, pensé. On dirait une épidémie de lignes concassées qui se bousculent et s'entrechoquent, une ramassée de volumes improbables. J'y ai perdu mon centre de gravité quelques heures, perdant l'équilibre, retrouvant l'usage du langage parfois, trébuchant sur mes certitudes.
Puis, j'y ai été consciente pour la première fois, de ma peau, blanche, cuir de   « Vasa », ne plus passer inaperçue, dans l'horizon caramel, quand le soleil tombe, qu'il brûle l'air comme de l'essence, que les couleurs se mélangent aux formes, dans une palette acoustique et brute, l'émotion primitive surgissant dans les reflets des pupilles noires des enfants des rues.
Ils ressemblent à des petits rats en guenille, aux odeurs acides, les joues cramoisies de poussières. Ils me jette à la figure les crayons de couleurs que je leur donne, ils veulent du cash. Ils me suivent, grouillant autour de moi, dépouillant mon sac de quelques malheureuses pièces et de cigarettes. Ils crient, ce que je suis " VASA, Vasa !" ( le blanc) du lait en poudre". Dans leurs yeux, j'ai l'importance d'une reine à la fortune colossale, une mère nourricière qui les adopterait sans concession. En quelque sorte, mon statut d'étudiante française fauchée qui s'est payé à coup de petits boulots, un trip en solo pourrait faire office d'icône de milliardaire à côté d'eux, c'est certain. J'ai honte. Je n'aurais jamais pensé, qu'un jour, j'aurais à échapper à des enfants.
A eux, oui, mais surtout,  à celle que, moi aussi, j'étais encore, une fois arrivée là-bas.

  • Joli texte, l'émotion du lieu est bien rendu par rapport à ce que j'en connais. Pour ma part cela m'a replongé dans les souvenirs de mon trip de 6 mois en Amériques Latines l'an dernier. Sauf que le Vasa est remplacé par le Gringo (ce que je préfére vu mon aversion pour ces similis biscottes)

    · Il y a plus de 10 ans ·
    U3w9e40p

    Jeff Legrand (Djeff)

  • Très joli !

    · Il y a plus de 10 ans ·
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    parismrs

  • Très beau! Kissous .bien observé et fort ressenti...

    · Il y a plus de 10 ans ·
    One day  one cutie   23 mademoiselle jeanne by davidraphet d957ehy

    vividecateri

  • je me repete à chaque fois, mais c'est magnifique, je n'y peux rien! ^^
    Ton vocabulaire soutenu nous transporte dans un autre monde, fait de poésie et de littérature.
    Merci pour ces quelques instants de bonheur.

    · Il y a plus de 10 ans ·
    Barbie 2

    Lou

  • Beau texte, bien écrit, avec une originalité et un style certains. J'aime surtout la description géométrique et cubiste, et les images bigarrées qui peuvent imprégner le lecteur à la découverte de ce paysage. La fin dénote peut-être un peu, comme un retour à la réalité, brutal mais réussi. J'irai lire vos autres textes !

    · Il y a plus de 10 ans ·
    1769087351450 iaymvv16 l

    luz-and-melancholy

  • C'est beau, coloré et typique comme dans tous ces pays où la pauvreté s'efface dans le rire des enfants et le sourires des adultes !
    J'aime beaucoup Lilii.

    · Il y a plus de 10 ans ·
    Version 4

    nilo

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