Long Leg

christinej

Le haras était en ébullition, la jument allait mettre bas.

Ils avaient décidé de laisser faire la nature, mais le vétérinaire était dans un coin, il observait, mais surtout il était prêt a intervenir si quelque chose tournait mal.

Il arrivait, doucement. Il était empaqueté dans sa poche de placenta, on le distinguait plus qu’on ne le voyait. Sa tête et ses pattes avant, émergeaient enfin, déchirant l’enveloppe qui les retenait prisonniers.

Apres quelques secondes, il était libre.

Hébété au début, dandinant de la tête, il hésitait.

Puis commandé par une force invisible, il s’est mis a pousser sur ses pattes pour se hisser dessus.

Tremblotant, maladroit, il venait de conquérir le droit a ses premier pas.

A la stupéfaction de tous, ce n’était pas finit, une nouvelle tête apparaissait.

La jument peinait énormément, déjà fatiguée par le premier, le deuxième semblait lui causer beaucoup de douleur.

Elle voulait se relever, gesticulant de souffrance.

Le vétérinaire savait qu’il devait agir vite. Même si il n’aimait pas ce qu’il allait devoir faire, il n’avait pas le temps de réfléchir. En un bond il a attrapé les sabots du poulain et tira aussi fort qu‘il put.

Des jumeaux!

Incroyable!

Le premier déjà vaillant et enhardi, trottinait avec légèreté vers sa mère. Il avait une superbe robe grise et semblait en bonne santé.

Le deuxième était encore emmailloté. Il bougeait a peine, respirait péniblement.

Délicatement, on libera son corps.

Il était noir, d’un noir corbeau. Il leva sa tête, comme surpris par cette nouvelle liberté.

Il semblait frêle et ses jambes étaient longues, interminables, démesurées, comparées a son corps.

Ses tentatives pour se mettre debout, échouaient inéluctablement a chaque fois. Mais il ne s’avouait pas vaincu. Il souffla, respira fort, comme pour prendre courage, poussa un retentissant hennissement et força de nouveau.

Les hommes retenaient leur respiration, ils poussaient avec lui, ils avaient tous ressenti sa détermination.

Et ce fut dans une ovation silencieuse que ce petit poulain vaillant, se tenait désormais sur ses pattes.

Avec précaution, il avança vers sa mère, espérant le réconfort d’une tété.

Mais elle le repoussa sans ménagement.

Stupéfait personne ne comprenait ce geste.

Des messes basses se faisaient entendre, ”il est peut être malade”, “je n’avais encore jamais vu ca”, “il faudrait peut être l’abattre il n’a aucune chance de survivre, regardes on dirait qu’il est tout cabossé”.

Le poulain ne semblait pas du tout apprécier ce qu’il entendait. Il s’est, alors, mis a gratter le sol avec rage a l’aide de son sabot, en balançant sa tête de droite a gauche. Apres quelques minutes de colère et enfin calmé, il a relevé la tête et les a regardé. Il les fixait avec un œil brillant d’intelligence, comme un défit.

La voix retentissante du propriétaire du haras se fit alors entendre.

“ Lucas, tu seras un charge du petit. Tu le nourris, tu es maintenant sa mère de substitution, compris?”.

Le pauvre Lucas du haut de ses 15 ans, les épaules avachies, les yeux ahuris fixant le vide, sentit sa bouche s‘assécher sous le coup de ces paroles. La charge qui venait de tomber sur lui était incroyablement formidable mais aussi très lourde. Lui qui tannait le vieux pour plus de responsabilité, le voila servi et en toute beauté. Tous le regardaient avec insistance pour qu’il dise quelque chose.

“ heu oui merci m’sieur.”

“ne me fais pas regretter ma décision.”.

*******

Le poulain était doté, d’une incroyable envie de vivre. Il n’a pas refusé d’être nourri par le jeune homme, même aussi maladroit que pouvait être celui ci.

Sans discution, ni même résistance, ou si peu, il se laissait pousser, balloter, caresser..tout cela n’avait pas d’importance tant qu’on le nourrissait correctement.

Toujours aussi maladroit avec ses longues pattes, il trébuchait souvent, mais tombait de moins en moins souvent. Le jeune homme qui veillait sur lui c’était avéré être attentif et même tendre. Par contre il parlait sans cesse, marmonnait la plus part du temps.

Le poulain s’était pris d’affection pour lui, il aimait particulièrement quand il chantait le soir. Sa voix mélodieuse pouvait apaiser ses colères et ses frustrations accumulées dans la journée.

Il prenait bien soin de lui, changeant le foin régulièrement, le brossant avec énergie, mais sans brusquerie.

Un jour, le jeune homme est arrivé tout heureux au près du poulain, lui annonçant très fier qu’il lui avait trouvé un nom et que le vieux était d’accord.

Long Leg.

Pourquoi tant d’effervescence, le poulain lui était satisfait de s’appeler poulain, pourquoi changer ca. surtout pour Long Leg?

Le garçon, semblait tellement heureux, alors….

Les journées passaient, les semaines et les mois.

Les saisons s’accumulaient, la chaleur de l’été, l’automne aux couleurs chaudes, l’hiver et son blanc manteau.

Ce premier hiver fut particulier pour Long Leg. Encore maladroit, mais intrépide il avait échappé a la vigilance de son gardien. Et le voila, cette petite forme noire sautillant, gambadant, et explorant ce monde qui lui était interdit jusqu‘alors.

Et quelle aventure. Le sol était recouvert d’une drôle de matière blanche et froide qui collait a ses sabots. Il était fou de joie, bondissant comme une sauterelle, il découvrait ce monde si vaste a ses yeux. Il a même eut cette étrange idée que de gouter a la neige. Que c’était froid et en même temps incroyablement bon. Il aimait cette liberté. Et chose qu’il n’avait pas oser encore faire, il se mit a galoper. Elancer ces longues jambes, faire de grandes foulées, aller vite, quel plaisir. Le vent fouettait ses flancs, sa crinière s’élevait comme un étendard. Il était heureux.

Mais toutes les bonnes choses ont une fin et celle-ci fut bien amusante.

Quel plaisir de laisser le garçon courir après lui. Prenant parfois une pause pour le laisser s’approcher, puis prendre la poudre d’escampette juste avant qu’il ne l’attrape. Recommencer encore et encore, partager un bonheur improbable, des éclats de rire avec le jeune garçon, était tout simplement merveilleux.

Apres s’être fait disputer gentiment, il retourna dans son box et pour la première fois cette nuit la, il a rêvé. Rêvé qu’il volait parmi les nuages, qu’il courait dans les champs d’une blancheur immaculée.

Ainsi l’hiver passa et a nouveau ce fut le printemps.

****

Il était plus fort, le pas sur, l’échine frissonnante et fière.

Le poulain, que beaucoup avait condamnée d’avance, était un jeune cheval plein de fougue, malin et extrêmement têtu.

Quand on l’accompagna ce matin la dans un pré, il ne tenait pas en place.

Des fourmis dans les pattes, le museau qui humait l’herbe humide et les premières fleurs du printemps. Hennissant d‘énervement, tirant sur cette maudite corde qui l’empêchait de s’élancer, pire qu’un garnement impatient d’ouvrir son cadeau, il trépignait.

Pourtant quand ses entraves furent retirées, il resta quelques secondes, hésitant, surpris. Puis il s’élança, avec toute la fougue et la force de sa jeunesse. Sautant dans en l’air, allant d’un coin a l’autre, appréciant la distance qu’il pouvait parcourir avant d’être stoppé par une barrière.

Tout était merveilleux, nouveau, intéressant.

Il gouta a l’herbe fraiche, aux petites fleurs multicolores qui étaient parsemées dans le champ.

Il suivait les mouches, et autres insectes.

Le soleil le réchauffait, l’ombre d’un grand arbre lui offrait du repos.

Les oiseaux l’enchantaient par leur chant, mais aussi par leur vol audacieux au-dessus de lui, virevoltant, cascadeurs pourfendant les airs.

Il les enviait.

Il aimait être libre, courir si il le voulait, paresser si l’envie lui en prenait.

Il regardait les hommes qui travaillaient sans relâche. Poussant des brouettes, transportant de la paille, parlant toujours trop fort a son gout.

Et quelle fut sa surprise, quand il vit un autre cheval accepter qu’on lui fixe quelque chose sur son dos.

Il éclata de colère, comment un homme pouvait oser s’assoir dessus son compagnon, le menant la ou bon lui semblait.

Ce cheval avait perdu toute volonté, ou alors il n’avait plus toute sa tête.

Comment pouvait-il accepter une telle condition?

Non c’était insupportable.

Pris de folie il se mit a galoper aussi fort que ses jambes lui permettaient. Mais il était toujours obligé de rendre les armes et de stopper net devant les barrières.

Il hennissait, se cabrait, il voulait que les hommes comprennent sa colère, cette tristesse qu’il ressentait et qui lui serrait le cœur.

Lucas s’approcha de lui, en répétant

“ tout doux mon beau, tout doux.”

Il ne voulait pas blesser le jeune homme, mais une rage incontrôlable s’était emparée de son esprit. Et il ne pouvait pas rester en place.

Dans sa folie il bouscula Lucas, qui tomba lourdement dans l’herbe.

Les hommes s’affolèrent, criant et gesticulant.

Mais Lucas les arrêta en levant la main dans leur direction.

“ ca va, je n’ai rien, il ne l’a pas fait exprès. Laissez moi le calmer, s’il vous plait.”

Une ligne rouge partait de son sourcil, filait sur sa joue, pour finir sa course dans son cou. Mais Lucas n’était pas en colère contre Long Leg. Il le fixait droit dans les yeux avec douceur et avec toute cette amitié qui était née entre eux.

Long Leg se clamait a chaque fois quand il le regardait de cette façon. Il fut même intriguée par l’odeur qu’il dégageait, une odeur nouvelle, désagréable. Il comprit que cela venait de la blessure du jeune homme, de ce rouge qui coulait sur son visage.

Son instinct, peut être, ou tout simplement a cause de son esprit vif, il comprenait qu’il lui avait fait du mal. Aussi mal que le jour ou sa mère l’avait rejeté.

La tête basse, le pas lent, il se dirigea vers Lucas. Il renifla sa blessure, ressentit sa douleur, sa peine aussi.

Comment se faire pardonner?

De la seule façon qu’il connaissait, en posant sa tête sur son épaule, dans un geste amical. Il souffla fort, secoua sa crinière, les mêlant a ses cheveux.

Lucas éclata de rire, un rire frais et coloré.

*****

Il avait grandi.

Sa robe noir et brillante faisait l’admiration autour de lui. La crinière toujours en bataille car il n’avait pas la patience de rester en place le temps que Lucas le brosse.

Mais il y avait du changement dans l’air, on venait le voir. Des inconnus qui fumaient sans égard pour lui, venaient lui souffler dans le museau. Ils le tapotaient, regardaient ses sabots, son poitrail.

Mais tout ceux qui venaient, repartaient en secouant la tête, ils disaient qu’il était trop sauvage, indomptable et indiscipliné. Qu’ils ne pouvaient rien faire de lui, qu’il était dangereux.

Lucas avait perdu sa joie. Il passait son temps a trainer des pieds a discuter avec le vieux, comme il appelait.

Il partait souvent en colère sans même adresser un regard a Long Leg.

A plusieurs reprises ils ont essayé de le seller, de le sangler, mais a chaque fois c’était peine perdue. En deux ou trois ruades il envoyait valser ceux qui avaient oser s’assoir sur son dos.

Il lui arrivait de se ruer vers eux pour les défier.

Il ne se plierait jamais a leurs ordres.

Il avait grandi en paria, a l’écart des autres chevaux. Même sa propre mère l’avait rejeté a sa naissance. Il avait appris de la façon la plus dure que sa vie serait difficile. Qu’il devrait se battre pour chaque pas qu’il ferait en avant. Mais par-dessus tout il voulait être libre comme les oiseaux dans le ciel. Courir sans restriction, sans barrière aussi longtemps que ses jambes pourraient le porter. Voila a quoi il rêvait, lui le poulain que l’on avait condamné des le premier jour.

Un nouveau jour venait de naitre. On l’emmena dans la prairie, on lui offrit quelques pommes. Il sentait bien les regards remplis de tristesse qui lui étaient adressés. Cela le rendait nerveux. La matinée passait lentement, on venait le voir, lui offrant une sucrerie, quelques caresses.

Et un homme est arrivé dans une grosse camionnette. Une casquette vissée sur la tête, un cigare au bord des lèvres. Chacun de ses pas faisait rebondir sa grosse bedaine ceinturée dans une veste fermée par un bouton près a céder a n’importe quelle occasion. Avec a peine un regard pour Long Leg il discutait ferme avec le vieux. Beaucoup de mots furent échangés, quand le ton s’est calmé, un accord semblait être passé. Quand, sorti de nulle part, Lucas est arrivé en trombe, s’interposant entre le vieux et l’homme a la grosse bedaine. Il hurlait, montrait quelque chose au vieux. Mais il ne voulait rien entendre, il disait que c’était trop tard, irrécupérable et poussa Lucas sans ménagement. Pourquoi le vieil homme a-t-il fait ca?

Long Leg se mit a hennir, a ruer, a galoper. Il devait aider Lucas, lui qui a toujours été la pour lui. Il a mal, il voit dans ses yeux cette pluie étrange qui goutte sur ses joues. Comment a-t-il osé faire du mal a Lucas?

Alors il s’élança, avec toute sa fougue et tout l’amour qu’il avait pour Lucas. Sans une hésitation, il sauta au-dessus de la barrière. Il avait l’impression de pouvoir voler, de voler pour un court instant. Le temps était suspendu, les gestes des hommes restaient figés, leur respiration retenue. Quand ses sabots claquèrent sur le sol, rien ne pouvait l’arrêter.

Il ralentit son allure, il se trouvait devant Lucas maintenant.

Il approcha son museau de ses joues, renifla cette pluie au gout étrange. Et comme a chaque fois qu’il avait quelque chose a se faire pardonner il posa sa tête sur son épaule.

“s’il vous plait.” soupira Lucas.

Le vieux hocha simplement la tête.

Quelques jours plus tard, avec beaucoup de mal pour le faire entrer dans le van, Long Leg se dirigeait vers sa dernière demeure. Le voyage fut long et pénible. Très peu de mots furent échangés sur la route. Le vieux avait insisté pour accompagner Lucas.

Ils étaient enfin arrivés. Devant eux s’entendaient des prairies a perte de vue, des montagnes aux sommets enneigés décoraient un ciel d’un bleu limpide. Une femme les attendait a cote de la barrière ou une pancarte indiquait “sanctuaire pour animaux”.

On sortit Long Leg, encore plus nerveux que jamais.

Lucas posa sa joue sur la sienne et lui dit dans un murmure:

“tu seras bien ici, et tu seras libre. Cours pour moi. Long Leg.”

On le libera de toutes entraves. Il regarda une dernière fois son ami, puis s’élança vers ce nouveau monde plein de promesses et de liberté.

  • Lu cette nuit et j'ai été emballé par cette histoire.
    Ca m'a donné envie de rêver à une liberté possible... mais la liberté se paye tellement cher !

    · Il y a presque 11 ans ·
    Francois merlin   bob sinclar

    wen

  • merci beaucoup gillda tu me fais vraiment tres plaisir et de savoir que cela t'a touche au coeur encore plus. merci

    · Il y a environ 11 ans ·
    521754 611151695579056 1514444333 n

    christinej

  • merci helene pour tes coeurs
    merci woody c'est exactement ca. et dis donc ca fait un moment que tu n'etais pas venu sur WLW.
    et n'oubliez pas votez pour moi, je ferai une tres bonne candidate pour etre votre prochaine presidente...heu je m'egare la... merci a vous 2 de votre passage

    · Il y a environ 11 ans ·
    521754 611151695579056 1514444333 n

    christinej

  • j'aime bcp cette sensation de liberté que tu as su donner ... bravo

    · Il y a environ 11 ans ·
    Img 5684

    woody

  • Très beau.

    Coeurs

    · Il y a environ 11 ans ·
    Avatar

    Helene Bartholin

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