Masque(s)

J'en pouvais plus de ce masque. J'étouffais.

 Je suis rentré dans ce bar, parce que je voulais me rafraîchir. La gorge, et les idées. Mais j'étais moyen sûr, pour la deuxième partie. Il avait l'air paumé, cet endroit. Et je me suis demandé si c'était les gens qui l'avaient rendu comme ça, ou bien s'il avait toujours attiré des mecs comme moi. Sur les vitres, qu'avaient pas dû être lavées depuis un bail, y avait des étiquettes, des traces blanches de quand on essaye de les enlever mais qu'il y a toujours une partie qui s'accroche. Et quand t'essaie de frotter, ça devient tout moche. Tout crade. Cette pute, elle m'avait fait pareil. Elle s'était barrée du jour au lendemain, en me laissant avec une étiquette mal arrachée sur le cœur.

Je me suis posé sur un de ses tabourets au cuir éventré, et j'ai plaqué mes coudes sur le bois ridé du comptoir. C'était confortable. J'ai vu cette fille. Ce bout de femme. Autrefois, j'suis sûr, c'était de l'eau pétillante. Mais là elle ressemblait plus à une bouteille ouverte, depuis si longtemps qu'y avait plus de gaz. On avait dû la secouer trop fort. Elle m'a lancé un regard qu'elle a repris tout de suite comme si elle n'avait pas le droit. J'ai rien dit. Je déplaçais mon verre de quelques centimètres, il suait à grosses gouttes et moi, je dessinais avec. Je baissais les yeux, je calmais comme je pouvais, le désir que j'avais pour cette fille. Elle avait un cul à se damner.  Et un sourire à vous dessiner au coin des yeux, de ces étoiles qu'on fait sans lever le crayon de la feuille.

J'étais seul, et le brouillard comme couverture, ça dépanne pas mal mais j'avais envie de ressentir autre chose que ce putain d'abîme. Je voulais sentir sa peau à elle contre la mienne. Je la voulais toute entière. Je voulais qu'elle me prenne. Moi et ma douleur. Qu'elle remplisse un à un les vides qui me perforaient. Qu'elle passe ses mains, avec toute la douceur que je soupçonnais, sur les accrocs de mes bonheurs rouillés. Qu'elle suspende les heures.

J'ai avalé les minutes à grandes gorgées pendant qu'elle sirotait les siennes. On a rien dit. Puis elle s'est levée, elle allait se tirer. Et j'avais froid, dans tout moi. Si froid, ça brûlait.

Je l'ai saisie par la taille. Elle a frissonné. Elle m'a fusillé du regard. Je lui ai dit « je suis un connard » Elle a trouvé ça touchant.

 On a baisé. C'était beau, tendre, comme jamais. J'avais envie de l'aimer, pour de vrai.

Le matin a cogné sans prévenir. On s'est rhabillés de notre solitude, chacun dans son coin, en se promettant qu'on se reverrait. Bons amants.

 A la lueur du jour, on a remis nos masques.

Je voulais dire « Retiens-moi ».

J'ai dit « Merci. ».