Mémoires du capitaine

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Impro à thème : Biographie du capitaine Némo Contrainte : le récit doit contenir les objets suivants : - une corde, - un ordinateur, - un bâton de pluie - une montre

Y'a des fois où j'aimerais m'endormir et plus jamais me réveiller. Sérieux. La vie ça craint un max. J'sais pas si j'aurais la force d'aller bien loin. Bon des fois y'a quand même des trucs cool. Des fois. Mais ça dure jamais longtemps. Le plus souvent c'est juste de la merde et moi j'ai toujours les pieds en plein dedans. Ce soir par exemple, papa est rentré complètement torché et avec Anissa on a juste eu le temps de se barrer en douce pendant qu'il cherchait un truc à bouffer dans le frigo. D'une, parce que quand il a bu il devient vite vénère.   De deux parce qu'on savait que le frigo était vide et que ça le rendrait encore plus vénère, qu'il aurait besoin de s'en prendre à quelqu'un et que ce quelqu'un y'avait de grandes chances pour que ce soit un de nous deux.  C'est pas qu'il est méchant ou quoi. C'est plutôt un type cool quand il boit pas. Mais je sais pas…l'alcool ça doit lui faire un truc au cerveau, ça le rend vraiment trop con.

Bref, c'est comme ça qu'avec ma sœur on s'est retrouvé dehors en pleine nuit. Au début je m'inquiétais pas trop : j'étais avec Anissa. Anissa y'a rien qui lui fait peur. Elle a déjà cassé la gueule à des mecs, et des vachement balèzes en plus. Et puis elle se débrouille toujours, dans n'importe quelle situation. Des fois quand elle en a marre, elle se barre loin pendant plusieurs jours et elle se démerde toute seule. Ouais, Anissa elle est du genre Survivor. Donc je marchais derrière elle, tranquille, certain qu'elle allait nous trouver un endroit pour passer la nuit. Sauf qu'arrivés à la hauteur de l'allée B, elle s'est soudain retournée vers moi :


— Qu'est-ce que t'as à me suivre comme ça le morback ? Tu me prends pour ta nounou ?
— Allé soit pas vache, j'ai dit. Tu vas pas me laisser quand même ?

Elle a rien voulu entendre. Elle avait un plan, ça c'était clair, mais c'était un plan sans moi.  Là, ça a commencé à monter. J'ai serré les poings, super fort, parce qu'il était pas question de chialer et encore moins devant Anissa qui allait se foutre de ma gueule à coups sûr et me dire d'arrêter de faire ma tapette. Mais y'avait rien à faire. Ma vue s'est brouillée, sauf qu'au lieu de se foutre de moi  Anissa m'a ébouriffé les cheveux. Du coup à l'intérieur ça me remuait encore plus et j'y voyais encore moins. Heureusement ça a duré que deux secondes. Après elle m'a dit d'arrêter de chialer et de lui tendre ma main et dedans elle m'a collée les clefs de la cave avant de se barrer. La cave, sérieux ! Un endroit trop chelou, avec la nuit plein de types chelou qui font des trucs trop chelou, des putains d'odeurs chelou qui te bouffent le nez et des bestioles encore plus chelou. Genre rats de l'espace. Je déconne pas ! Alors même si des fois j'ai grave envie d'en finir avec tout ce merdier, pas question que ce soit en me faisant becqueter par des grosses  bestioles aussi enragées que le rottweiler du grand Eddy.

Je me suis dit qu'il fallait que je me reprenne. J'ai respiré un grand coup, et soudain j'ai eu une illumination. Quitte à passer la nuit dans un endroit chelou, je préférais encore la crèche du capitaine Némo que la cave. Au moins je serais pas tout seul, et les grosses bestioles, le capitaine il devait avoir l'habitude : je comptais sur lui pour les embrocher !

J'y ai jamais été de nuit, d'habitude je rends visite au capitaine avec Joanes. Les jours où on rouille trop. Assez souvent, en fait. Suffit de sortir de la cité, longer la voie ferrée sur 1 km,  après t'as une sorte de forêt sur la gauche. Enfin une tripotée d' arbres qui font trop pitié tellement y ressemblent pas vraiment à des arbres et qu'on n'a pas abattu pour la seule raison qu'ils camouflent les immondices de la déchèterie. Mais nous on appelle ça la forêt, ça nous donne l'impression d'être ailleurs, de voyager un peu. Donc juste derrière les arbres, si t'as suivi,  t'as la déchèterie et juste entre les arbres et la déchèterie, les trésors du  capitaine Némo. Soit un gourbi pas possible logé sous une tente de fortune. Genre bâche militaire donnée par l'armée du salut, tendue par une corde qui a dû être blanche un jour mais qui s'en souvient pas,  le tout ficelé  à trois pauvres branches.

J'ai commencé à marcher, moitié rassuré, moitié flippé. J'aime pas le noir. J'aime encore moins marcher tout seul dans le noir. Mais j'aime bien le capitaine. Il est complètement fêlé, mais je connais pas une seule personne qui soit d'aplomb t'façon. Pis lui, y fait pas semblant d'être autre chose et en plus il raconte des tas de trucs incroyables. Au début avec Joanes on écoutait ses délires pour se taper des barres, mais en fait il raconte tellement bien que parfois  t'as carrément envie de le croire, tu vois ?

J'étais presque arrivé quand je me suis dit que c'était peut-être pas une si bonne idée d'aller emmerder le vieux en pleine nuit. Je me suis rappelé qu'une fois il nous avait sorti une lame trop flippante. Genre sabre de samouraï. La lame énorme avec des caractères trop space gravés sur le manche. Un truc qui fait pas rigoler quoi. Justement ce jour-là, le capitaine y rigolait pas trop parce que des « gangsters » s'étaient aventurés à lui piquer des trucs pendant la nuit. Il a dit qu'il allait pas se laisser faire et que  la prochaine, ils  allaient gouter la pointe de sa lame en pleine bidoche. Nous on s'est juste dit qu'il délirait parce que je vois pas trop ce qu'y aurait à récupérer dans ses bidules qu'il chourrave à la déchèterie en plus. L'endroit où les gens se débarrassent de toutes les merdes qu'ils veulent plus. Tu parles d'un butin !

Bref, comme j'avais plus la force de faire demi-tour et que je commençais à grave me cailler, j'ai quand même continué. Coup de chance le vieux dormait pas. Deuxième coup de chance, il m'a reconnu direct. Il a même souri. Enfin je crois.  Après il a regardé sa montre, je me demande bien pourquoi vu que c'est une vieille montre à quartz qui a même plus d'aiguilles ! Et puis il a dit :

— Mais bon sang, qu'est-ce que tu fous là à une heure pareille gamin ?

Là, j'ai déchanté. Je me suis dit qu'il allait m'envoyer bouler. Peut-être même taper une méchante crise ou croire que je voulais lui piquer ses trucs tout pourris.  Du coup j'ai un peu paniqué et toute l'histoire est sortie en  vrac de ma bouche : le frigo vide, mon père trop con, ma sœur qui m'avait abandonné à la cave, les rats, le rottweiler du grand Eddy, que je voulais juste pas rester tout seul à cause du noir, des types chelou et des bestioles de l'espace. Le capitaine il a ôté sa casquette de marin. Celle qu'il ne quitte jamais avec une ancre dorée dessus, et qui lui a valu que Joannes le rebaptise. Parce que le vieux lui faisait penser  au héros d'un vieux bouquin dont il m'a rebbatu les oreilles pendant des jours.

Le capitaine s'est gratté la tête, y a relogé sa casquette et s'est levé d'un bond pour sauter vers une malle. Je me suis dit que cette fois c'était fini pour moi, et peut-être que j'aurais mieux fait de rester à la maison, passer un mauvais quart d'heure mais au moins me réveiller le lendemain plutôt que de finir ma courte vie embroché par un vieux cloch' complètement siphonné.  J'ai fermé les yeux pour pas voir ça et le seul truc qui s'est passé, c'est que le capitaine il m'a jeté une couverture sur les épaules. Propre en plus. Ç'a m'a scié.

— Tu peux rester là pour cette nuit à condition de pas m'emmerder. C'est que j'ai du travail moi tu comprends ?

Je comprenais rien du tout, mais j'ai hoché la tête histoire de pas le contrarier. Il a sorti un carton de derrière la grosse malle et il l'a jeté à nos pieds. Dedans y'avait tout un bric à brac de merdes pour les gosses. Des albums à colorier déjà coloriés, de vieux jouets périmés, un bâton de pluie. J'avais envie de me marrer un peu, parce que bon je suis plus un gamin et je savais pas quoi en foutre de ses trucs. Mais c'était pas pour ça. Y'avait aussi un sachet plastique même pas ouvert, avec une photo de matelas pneumatique dedans. Comme je suis quand même pas si con,  j'ai fini par comprendre où le vieux voulait en venir. Mais j'étais pas franchement jouasse parce que j'allais y mettre la nuit pour le gonfler. Sauf que le capitaine il semblait tout avoir dans son foutoir,  il a déniché un gonfleur et en deux minutes l'affaire était pliée. Je commençais à être crevé avec toutes ses émotions, alors je me suis allongé sans broncher. Le vieux s'est rassit en me tournant le dos. C'était pas si mal pour un putain de plan improbable. En me forçant un peu l'imagination et en fixant le ciel au-dessus des arbres, je pouvais m'imaginer en train de camper à la campagne. J'aurais presque pu m'endormir direct, sauf que le vieux faisait du bruit. Je voyais pas ce qu'il bricolait, mais ça faisait «  clac-clac, clac-clac-clac » genre le bruit d'un clavier.

— Qu'est-ce que vous faites capt'ain ?

J'ai demandé en me mordant les lèvres, parce  que j'avais été assez couillon pour que son surnom ne s'échappe de ma bouche ! Heureusement il a pas capté,  il s'est tourné vers moi, juste assez pour que j'aperçoive un vieux mc intosh avec un clavier tout pourave. Genre ordinateur du paléolithique, tu vois ?  Puis il a pris un air super sérieux en me disant qu'il écrivait ses mémoires. Que je devais surtout n'en parler à personne. Que maintenant je devais dormir  et ne plus l'interrompre. J'ai dit ok. Et je pensais « Complètement barré le capitaine Némo ». Dans le fond je trouvais ça bien con qu'il écrive dans le vide, parce que j'aurais bien aimé les lire moi ces histoires. Du coup avant de sombrer je me suis mis à les imaginer. Je me suis rappelé que Joanes m'avait raconté que le vrai capitaine Némo, il avait une sorte de sous-marin. Mais genre sous-marin de l'espace avec plein de trucs trop cools dedans. Je me suis raconté des histoires comme ça, le vieux il était plus dans son gourbi, il vivait plein d'aventures, veillait sur de vrais trésors avec son sabre à la main. Après  je sais plus, j'ai dû m'endormir. Au matin, le vieux était plus là. Je l'ai jamais revu. Des fois j'imagine qu'il vit des trucs cool pour de bon, qu'il a embarqué quelque part pour vivre 20 000 aventures sur les mers. Enfin, un truc comme ça. Genre aventure de l'espace, tu vois ?

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