Mon corps s'en va-t-en guerre

mineka-satoko

Le jour où je le vis, sans un mot je lui dis : « Le dessin de tes lèvres écrira notre histoire. » Et mon corps se mit à faire de la poésie… du bout de mon nombril, j’ai écrit :

Le besoin

Primitif

Nu.

Dénué du doute.

J’étais perdue. 

Silencieusement, il accepta le défi… par la pensée, sans le savoir,  il m’a arrachée à celui que ma tête savait ne déjà plus aimer. J’étais bien mal embouchée et déjà engagée… Traitre, mon corps se mit à se battre, se battre avec ma tête, tandis que mon cœur battait à sa mesure à Lui, en son rythme, perpétrant traîtrise sur traîtrise sur traîtrise… Mon corps avait perdu le nord et ne savait plus où donner de la tête, il s’est couvert d’écailles, du café noir s’est mis à dégouliner dans mes veines, dégouliner à grandes goulées, à gorgées chaudes, du café épais, visqueux, sanguinolent, presque salé. Mon corps, je ne le reconnaissais plus, mais je devais payer. En temps de guerre, tout traître paye le prix du sang.

« Mon corps s’en va-t-en guerre » compris-je un jour. Mon corps portait les stigmates de son combat contre ma tête, le corps qui connaît la vérité, la tête qui se ment…  La raison contre le sentiment, la morale contre l’amour interdit, indécent. C’est quand mon visage livide s’est cerné de noir que j’ai commencé à vivre dans un monde noir et blanc. Je me sentais féline, avec un goût de charbon dans la bouche, féline, du café dans les veines, féline, de ces chats faméliques et nerveux qui vous font de la peine… Les chats ne tombent jamais complètement dans l’inconscience du sommeil ;  et c’est toujours à pas de velours que je me dirigeais vers  mon lit.

Le lit, qui n’était plus rien d’autre qu’un meuble.  

_ Ne devrions-nous pas tous nous incliner devant l’amour ? hurla mon corps, naïvement.  

 _ Comme si nous vivions dans un monde peuplé de poètes ! répondit ma tête, vertement.

Plus de sommeil. Une vie sans saveur, une vie de charbon. La guerre. Un monde où l’on est là, mais où l’on ne vit plus. Une vie caféinée, où les yeux ont le désir de se fermer, sans la force. Une vie démantelée, fragmentée, de celle qui part au front creuser des tranchées contre elle-même.

« Tango Charlie à mon cœur, Tango Charlie à mon cœur, ici la tête. Abandonnez toute résistance et il ne vous sera plus fait aucun mal. » Si seulement c’était aussi simple…

Honte à moi. Alors que les combats faisaient rage, que tout espoir était perdu, prête à y laisser ma peau, la victime de tout cela me sauva. Face à un tel champ de bataille, celui que je n’aimais plus a cessé les hostilités, signé le traité. Parce que cœur, corps et tête sans négociation, se battaient sans merci, dans les tranchées de mes veines. Parce que la caféine en éclaboussait les parois, remontait en rappel le long de mes nerfs optiques et n’arrivait pas à me faire lâcher-prise  sur le passé.

Peu m’importe aujourd’hui le passé, je n’oublierai jamais le corps rassurant de celui que je me suis alors mise à aimer, ce corps rassurant, solide, ce corps protecteur qui rompit le souvenir à grands coups de reins…  Aujourd’hui encore, il m’endort accrochée au dessin de ses lèvres, et je me cramponne à toutes ces choses que mon nombril voudrait écrire de ses lèvres torrides, des lèvres qui écrivent l’avenir.



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